16 Zenbakia 1999-01-08 / 1999-01-15

Gaiak

Les moissons du voyageur ou l'aventure scientifique des frères d'Abbadie (1838-1848)

TUBIANA, Joseph

Les moissons du voyageur ou l'aventure scientifique des frères d'Abbadie (1838 1848) Les moissons du voyageur ou l'aventure scientifique des frères d'Abbadie (1838 1848) Joseph Tubiana Le basque Antoine d'Abbadie (1810 1897) et son frère cadet Arnaud (1815 1893) voyagèrent beaucoup en Ethiopie de 1838 à 1848 dans le but de découvrir la source du Nil Blanc. Ils n'eurent pas de succès, mais les deux frères, à leur retour en France, ramenèrent une importante collection de données et manuscrits qui relancèrent les études sur l'Ethiopie. Mots Clés: Ethiopie. Voyage. Nil Blanc. Antoine d'Abbadie (1810 1897) euskaldunak, Arnauld (1815 1893) anaia gaztearekin batera, bidaia ugari egin zuen Etiopian zehar 1838tik 1838ra bitartean Nilo Zuriaren iturburua aurkitzeko xedearekin. Haien saioak ez zuen arrakastarik izan, baina bi anaiek Frantziara ekarri zuten gertakari eta eskuizkribu uzta esanguratsuak berriro abiarazi zituen Etiopiari buruzko ikerlanak. Giltz Hitzak: Etiopia. Bidaiak. Nilo Zuria. El vasco Antoine d'Abbadie (1810 1897) y su hermano menor Arnaud (1815 1893) viajaron mucho por Etiopía desde 1838 a 1848 con el fin de descubrir la fuente del Nilo Blanco. No tuvieron éxito, pero los dos hermanos, cuando volvieron a Francia trajeron consigo una importante colección de datos y manuscritos que ayudaron a poner en movimiento los estudios sobre Etiopía. Palabras Clave: Etiopía. Viajes. Nilo Blanco. Le voyage des frères d'Abbadie en Ethiopie oblige, lorsqu'on l'étudie pour savoir cequ'il en fut et ce qu'il en est advenu, à admettre qu'il existe une discipline scientifique peu ou point reconnue, celle du voyage de découverte. Ce n'est pas une variété du genre «voyage», qui est dépaysement, délassement, oubli, évasion, collecte de souvenirs qui se traduit aujourd'hui par les classiques «soirées diapos». C'est un voyage qui fait abstraction, pour avoir un sens, des personnes, des lieux et des temps, même si le voyageur, produit du voyage qu'il a conçu, ne peut les ignorer. Lesexigences et les contraintes du déplacement ne sont plus les mêmes. Ici, le voyage ne consiste pas en un simple transfert dans l'espace. Cependant la précision topographique et chronologique est essentielle, et il n'est pas facile de l'atteindre. Le contrôleur du train qui se décrit, par rapport aux voyageurs de son train, comme «le seul, de tous les passagers, à ne pas ressentir d'inquiétude ni d'émotion parce que le train a du retard, parce qu'il est arrivé ou parce qu'il n'est pas encore arrivé» (1) nous aide à percevoir que le voyage occupe de l'espace mais aussi du temps et que, tel que nous l'entendons, le voyage n'est pas sans but et qu'il y a un lieu et une date qui marquent sa fin. Nous voilà passés du voyage au voyageur, qui a toujours un but, même si c'est seulement de se faire attraper, comme Eluard dans sa fugue prudente de 1924 . Si l'on prend les choses par ce bout, le but du voyageur Antoine d'Abbadie semble avoir été surtout de ne pas être suivi, ni rattrapé, encore moins devancé, car il entendait faire une découverte d'importance: la source du Nil Blanc, il ne savait où, il ne savait quand. Mais, pour être le premier, il lui fallait tenir secret son véritable dessein, le but concret de son voyage, car il y avait sûrement d'autres «explorateurs» tentés par le même exploit. Ce qui permet de parler d'aventure, c'est la tentation de l'inconnu, la volonté permanente d'observer ce que jamais (sans doute) on ne verra ou n'entendra deux fois. Ce qui permet d'accoler au substantif l'adjectif «scientifique», c'est que le voyage est la quête d'un savoir par la mise en oeuvre d'une entreprise longuement réfléchie. Son objet est d'atteindre un but convoité par beaucoup, pour la science autant que pour la gloire. Dans cette compétition géographique, l'aîné des Abbadie a échoué. Il n'a pas atteint la source tant convoitée, mais il a décrit, souvent le premier, nombre d'autres choses qui, pour nous, aujourd'hui, sont plus importantes. Ces choses là ne pouvaientpas attendre le passage du voyageur. Souvent elles ont disparu sans trace, tandis que la source du Fleuve Blanc est toujours là et on aurait bien fini par la situer avec une précision alors inimaginable, ne serait ce qu'à l'aide d'une de ces merveilleuses photos prises par satellite. Ce sont ces découvertes d'Antoine d'Abbadie, faites comme en marge du voyage, comblant les vides de la quête de la source du Nil, qui constituent les moissons du voyageur. Il avait, parmi ses soucis, celui de ne pas perdre un temps précieux, et donc d'enregistrer le plus possible de ce qu'il pensait risquer d'échapper à la plupart de ceux qui voyageaient avec moins de loisir que lui. Le terme de «moissons», qui m'était venu spontanément aux lèvres pour désigner ma contribution à ce Congrès, j'ai eu la surprise de le retrouver sous la plume d'Antoine dans un document manuscrit que je n'avais pas relu depuis vingt ans. La phrase d'Antoine était elle restée latente dans mon esprit? Il écrivait, comme pour s'excuser, que plutôt que de critiquer le travail d'autrui il lui avait semblé «préférable de moissonner à pleines mains dans un champ encore inexploré, celui des langues indigènes». Dans ces moissons d'Antoine, Arnauld a sa part. Il est difficile, quant aux résultats scientifiques, de séparer les deux frères, même s'ils n'étaient pas toujours ensemble et si leurs personnalités différaient, semble t il, à l'extrême. Antoine s'embarque à Marseille le 1er octobre 1837 pour débarquer en Egypte deux semaines plus tard. Il y retrouve Arnauld qui l'avait précédé. Les deux frères passent environ deux mois au Caire, où ils se lient avec le Lazariste Sapeto, arabisant, qui les acompagnera au début de leur voyage. Antoine, né le 13 janvier 1810, a 27 ans; son cadet, né le 24 juillet 1815, en a tout juste 22. Ils quittent l'Egypte à la fin de l'année 1837, traversent la Mer Rouge en six jours, s'embarquent à Djedda le 11 février 1838 et débarquent le 17 dans l'île de Massaoua, où leur vrai voyage commence.«Mon frère était soutenu par l'amour de la science, le Père Lazariste par l'enthousiasme religieux, et moi par le désir d'étudier des peuples inconnus», écrira plus tard Arnauld (Douze ans... I, p. 13). Antoine restera à Massaoua tandis que son cadet se rendra en éclaireur à Adoua en compagnie de Sapeto. Tout s'y passe bien. Arnauld laisse Sapeto à Adoua et revient sur ses pas à la rencontre d'Antoine qui a quitté Massaoua. Ils se retrouvent à mi chemin, à Halay. Il leur faudra un mois pour surmonter les difficultés qui leur barrent la route d'Adoua, mais ils finissent par y arriver. Leur prochaine étape est la capitale, Gondar, où ils arrivent le 28 mai 1838. Antoine se rend compte que les instruments astronomiques dont il dispose ne sont pas suffisants et décide de retourner en France pour compléter son équipement scientifique. Il se joint à la caravane de marchands qui doit quitter Gondar pour Massaoua au mois de juin (c'est la dernière de l'année, avant les pluies), d'où il embarquera pour la France en juillet 1838. Il sera de retour à Massaoua, au rendez vous convenu vingt mois plus tôt, en février 1840. Antoine avait mis à profit son séjour en Europe pour faire une visite à Rome et prendre la parole à la Société de Géographie à Paris, le 5 avril 1839. La grande aventure peut commencer. «On sait assez la différence d'esprit qui existe, souvent même entre frères écrira plus tard Antoine. Né pour commander, le mien prenait son parti rapidement et s'exprimait sur un ton qui n'admettait pas la contradiction. Il était tout simple que, par sa manière de parler et d'agir, il façonnât son entourage, même sans le vouloir, à cette pente de son esprit. La mienne était toute différente; au lieu de surmonter hardiment l'obstacle, je trouvais qu'il était plus facile de le tourner; cédant en apparence, je persévérais toujours et parvenais, à force de patience, à obtenir le même avantage que mon frère obtenait de prime saut». C'est le 19 janvier 1846 que les deux frères atteignentce qu'ils pensent être la source du Nil Blanc. Rentrés à Gondar, ils apprennent que leur frère Charles est à leur recherche et se trouve à Massaoua. Ils quitteront l'Ethiopie un peu plus tard, après une aventure qui aura duré dix ans. Antoine embarque à Massaoua le 3 ou le 4 octobre 1848 et sera au Caire le 2 novembre. Les trois frères reviennent en France et débarquent à Marseille au début de 1849, après un petit périple méditerranéen, semble t il. Antoine ne tarde pas à faire connaître sa découverte. La Société de Géographie et le gouvernement honorent les deux voyageurs. Le Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, Gaston Darboux, les réunira dans l'éloge: «Il était juste de ne pas séparer ceux qui s'étaient montrés si étroitement unis dans les luttes et dans les peines. Si les travaux d'Antoine avaient quelque chose de plus précis et de plus scientifique, il faut bien reconnaître que, seule, l'influence acquise par son jeune frère lui avait permis de les accomplir». Mais l'annonce de la découverte de la source du Nil Blanc sera rapidement contestée. Il faudra à Antoine d'Abbadie un certain temps pour publier ses travaux les plus importants, qui formeront quatre gros volumes. Il commence par la géodésie. En 1859 un Résumé géodésique aurait paru à Leipzig, mais je n'ai pu le vérifier. En 1860 sort à Paris, la Géodésie d'une partie de la Haute Ethiopie, qui sera rééditée en 1873 sous le titre de Géodésie d'Ethiopie, «ou triangulation d'une partie de la Haute Ethiopie, exécutée selon des méthodes nouvelles», «vérifiée et rédigée» par Rodolphe Radau. Il ne m'appartient pas de parler de géodésie, et j'aurais été bien en peine de le faire; mais je peux signaler que l'éthiopisant trouve dans ces publications une moisson incomparable de toponymes corrects et bien situés, dont on ne se sert pas assez. Il est vrai que peu de bibliothèques les possèdent. D'autre part il m'est revenu, et je suppose que c'est exact, que toutes les cartes d'Ethiopie qui ont été faites avantl'utilisation des levés aériens étaient basées sur les travaux d'Antoine d'Abbadie. La toponymie se fait au sol. C'est là que nous retrouvons Antoine d'Abbadie avec, non seulement ce qu'il a vu dans son voyage, mais ce qu'il s'est fait dire (tout n'a pas été publié). Ce sera son dernier ouvrage, paru en 1890 à Paris: Géographie de l'Ethiopie. Ce que j'ai entendu, pour faire suite à ce que j'ai vu. Seul le tome premier a paru; il contient non seulement des toponymes mais aussi des renseignements parfois copieux mais sujets à caution, sur des peuples, des traditions, des usages. Les éthiopisants sont loin d'avoir utilisé tout ce qui s'y trouve; la difficulté de consulter l'ouvrage y est sans doute pour quelque chose. Il n'empêche que ces collectes sur les lieux et les peuples, qui mériteraient d'être plus souvent mises à contribution, devraient être rendues plus accessibles. Voyageur curieux de christianisme et passionné de langues vivantes inconnues ou peu connues (peut être parce qu'il est basque, et de mère irlandaise) Antoine d'Abbadie a consacré deux autres gros ouvrages à l'étude de la littérature éthiopienne et de la langue amharique. Dès 1859 il a publié un Catalogue raisonné de manuscrits éthiopiens appartenant à Antoine d'Abbadie, Correspondant de l'Institut de France (Académie des Sciences), Membre correspondant de l'Académie de Toulouse et de l'Association Britannique pour l'Avancement des Sciences. L'ouvrage est imprimé à Paris, à l'Imprimerie Impériale, «par autorisation de l'Empereur». On est porté à conclure qu'il n'a pas été publié aux dépens de l'auteur. Il n'y a pas d'adresse d'éditeur. Ce Catalogue est d'une grande richesse. Son auteur répudie l'objectivité convention nelle des canons académiques pour innover sur bien des points. Il s'affranchit de certaines règles de la philologie classique, sans rien omettre d'essentiel, affirme ses partis pris et «épingle» presque à chaque notice des remarques originales ou des souvenirs personnels. On voit qu'ilconnaît chacun de ses manuscrits. C'est à la fois l'oeuvre d'un philologue, d'un collectionneur, d'un bibliophile et d'un homme de goût, méticuleux et méthodique, d'une insatiable curiosité. Dans tous les domaines, il sait choisir, ce qui ne veut pas dire qu'il ne se trompe jamais. Mais on ne saurait lui en vouloir: cette misère arrive tout le temps, et à tout le monde. Il faut aussi de la hardiesse, pour découvrir quelque chose. Le Catalogue décrit 234 manuscrits, presque tous en guèze, qui est la langue ancienne, sortie de l'usage, dans l'ordre de leur acquisition. Ainsi, quelle que soit la diversité de son contenu, chaque manuscrit, qui peut contenir plusieurs oeuvres, n'est décrit qu'une seule fois, en tant qu'objet unique. Les 193 premiers manuscrits ont été acquis au cours du voyage, quelques uns, et non des moindres, par son frère Arnauld, ce qu'Antoine ne manque pas de signaler. Les manuscrits, du 194 au 234, lui sont parvenus en Europe. «Ma collection a jusqu'ici continué à augmenter depuis mon retour en Europe», note sobrement Antoine au 19 janvier 1859. Il estime à environ 600 les ouvrages décrits dans son Catalogue, soit, à son avis, plus des trois quarts de ceux qui existent encore en Ethiopie (p. XV). Je retrouve, sur une de mes notes déjà ancienne, cette remarque: «la collection d'Abbadie est peut être la collection la plus intelligemment faite!». Il s'intéresse au livre comme objet et donne des détails d'atelier sur sa fabrication (pp. XII XIII), sans s'appesantir. Il innove en donnant les dimensions en centimètres (pp. XI XII), ce qui est un progrès. La publication de son catalogue l'a incité à des études nouvelles, dans l'ordre de la typographie et dans le domaine des transcriptions. Il a eu la possibilité de faire graver un nouveau caractère éthiopien pour l'Imprimerie impériale. De l'aveu général, encore aujourd'hui, le résultat est magnifique. Il s'est attaché à la lisibilité et à l'élégance, sans rompre avec la tradition. Lorsqu'il décrit commentil a procédé, en prenant l'avis d'Ethiopiens compétents, il nous donne les grandes lignes d'une histoire de la typographie éthiopienne (qui n'existait alors qu'en Europe), et parle des différents types d'écritures manuscrites (pp. I IX). Il expose ensuite le système de transcription qu'il emploie, (résultat de pas mal de tâtonnements), qui a une bonne lisibilité, mais qu'il s'attachera à améliorer par la suite, jusqu'à son Dictionnaire (pp. IX XI). Lorsqu'il décrit le manuscrit d'un livre de l'Ancien Testament qu'il a acheté «en bien mauvais état» (n. 57) il explique que c'est parce que son écriture antique «permet d'y espérer des leçons moins corrompues de gloses et un texte plus pur, au jour, s'il vient jamais, où l'on voudrait faire une édition complète et soignée de la Bible éthiopienne». Ce jour, hélas, n'est pas encore venu, «s'il vient jamais». A propos d'un autre manuscrit (n. 62) il termine sa description par «le bon roi Zar'a Ya'qob quitte brusquement ses exhortations à la vraie foi pour donner un petit traité du calendrier d'après Hénoch, qui a tout compté, dit il.» Au tour de l'historien de relever pour la paléographie que, puisque le dernier roi d'une liste est contemporain du Ras Mikael, cela fixe l'époque où ce manuscrit a été écrit (n. 30). A propos du nom d'un saint (n. 56) il signale qu'en Ethiopie «on a conservé l'usage de donner aux hommes des noms significatifs, et les mères en usent comme Rachel et Lia. Cet usage biblique est un reste touchant des moeurs patriarcales.» Plus loin, à propos du n. 110, il insère un long développement sur le rapport entre écriture et prononciation en Ethiopie (pp. 126 7). Un très beau manuscrit (n. 83), qu'il admire, entraîne une remarque sur «ces scribes entretenus aux frais du roi des rois, qui chômaient toujours les samedis et dimanches, et passaient les lundis à se refaire la main avant d'aborder cette écriture gigantesque, où les fautes étaient ineffaçables, et où le moindre défaut de symétrie se laissait apercevoirà la première vue». Le manuscrit n. 30 provoque la remarque suivante: «Dans ce volume, les noms et les chiffres des sections, qui devaient être écrits en encre rouge, sont souvent laissés en blanc, ce qui est un malheur fréquent dans ce pays, où l'on ne trouve pas toujours de l'encre rouge». On ne peut donner ici qu'une faible idée de l'intérêt des manuscrits collectés par les deux frères et de la méthode dont cette collecte a été conduite, non plus que de la diversité des observations et commentaires contenus dans le Catalogue. Cette richesse n'a pas encore été suffisamment explorée. Le catalogue publié par Antoine, outre qu'il était devenu rare, a dû être jugé trop personnel, et la Bibliothèque Nationale confia au jésuite Marius Chaîne la rédaction d'un catalogue plus conforme aux normes, et donc insipide, qui parut en 1912. La même année commença à paraître dans le Journal Asiatique une «Notice sur les manuscrits éthiopiens de la collection d'Abbadie», rédigée en 1909 1910, sponte sua, par l'érudit italien Carlo Conti Rossini, séjournant à Paris; la publication s'acheva en 1914. Je n'en dis pas plus, l'histoire de cette notice risque de nous entraîner trop loin. Pour Conti Rossini le catalogue novateur d'Antoine «fut le premier des grands catalogues des fonds éthiopiens de nos bibliothèques». Mais il y manquait la détermination de l'âge des manuscrits, lacune qu'il voulait combler. «Il est vrai, dit il, que notre voyageur était, en 1859, dans l'impossibilité de la combler; actuellement encore la tâche n'est pas des plus aisées». La notice de Conti Rossini est digne et de la collection et du collectionneur. Elle recense en outre les Carnets de voyage, dont l'intérêt est considérable, et a l'immense mérite de comporter des index abondants qui permettent de s'orienter dans cette multitude d'informations. Catalogue et Notice se complètent; ils sont l'un et l'autre épuisés et ce ne serait pas un mal de les rééditer, avec l'indication des publications dont les manuscritsdu fonds "Ethiopien Abbadie" ont fait l'objet, car ils ont tenté beaucoup de philologues plus ou moins expérimentés. En principe notre Bibliothèque nationale doit être tenue informée de ces publications par leurs auteurs. En 1924, surprise: Conti Rossini complète sa Notice pour déplorer que les manuscrits 254 et 256 de la collection d'Abbadie ne lui aient pas été communiqués en 1910 lorsqu'il en avait entrepris la description. Il les a donc vus par la suite et précise qu'il s'agit d'environ 500 documents, en quasi totalité des lettres écrites en amharique, adressées à l'un ou l'autre des deux frères par des Ethiopiens, soit pendant le voyage, soit après le retour en France. Cette correspondance mérite l'attention, tant par les auteurs des lettres que par leur contenu, les moins intéressantes livrant au moins des aperçus sur le voyage et les travaux des deux frères. Sous le titre «Epistolario del Debterà Aseggachègn di Uadlà» Conti Rossini a publié le texte amharique d'une quinzaine de ces lettres (Rome, 1925), dont Fusella donnera la traduction italienne en 1954. Leur auteur est un clerc vraisemblablement converti au catholicisme. Conti Rossini a souligné la valeur littéraire de cette correspondance en même temps que son intérêt historique. Le "Debterà Aseggachègn" a été l'un des savants consultés pour cet autre instrument de travail incomparable que nous a légué Antoine d'Abbadie: son Dictionnaire amharique français de 1881, imprimé à ses frais. Ce fut le premier dictionnaire moderne de l'amharique, tant par la méthode que par l'ampleur de la récolte. Son auteur a dépouillé un nombre important d'ouvrages écrits, dont des glossaires dictés ou écrits par des Ethiopiens, et n'a laissé passer aucune occasion de recueillir du vocabulaire de toutes les provinces de l'amharique. Il a revisé le tout avec un Ethiopien réputé pour son savoir, a corrigé, consulté des savants européens, n'a rien négligé pour faire un ouvrage solide. Ce dictionnaire donne des explications détailléesde beaucoup de termes désignant des notions ou des objets inconnus en Europe. Ce n'est pas seulement un dictionnaire de langue, c'est aussi un dictionnaire de civilisation et je reconnais sans peine que j'ai besoin de l'avoir constamment sous la main. La transcription perfectionnée par Antoine d'Abbadie est considérée comme la meilleure possible, sauf quelques modifications mineures. Elle est affranchie des servitudes de la machine à écrire par la découverte de l'ordinateur personnel, qui permet de conserver l'essentiel de la transcription finalement proposée par Antoine. Guidi, au début de notre siècle, préparant son dictionnaire italien, avait revu le dictionnaire d'Abbadie avec un savant éthiopien, qui a corrigé certaines erreurs mais qui a du même élan écarté des termes qu'il ne connaissait pas. Guidi a suivi ce maître avec prudence, car il a, la plupart du temps, conservé les mots litigieux entre crochets. Bien lui en a pris: en effet nous sommes plusieurs à nous être aperçus que la plupart étaient toujours en usage. Guidi pratique la transcription ainsi que l'ordre des mots du dictionnaire d'Abbadie. Nous nous en sommes bien trouvés. Les auteurs qui s'en sont écartés ont fait le cauchemar des utilisateurs par les complications intempestives qu'ils ont imaginées. En dehors de ces directions majeures, les recherches d'Antoine le montrent comme un homme d'une infinie curiosité de l'homme. En matière de langue cette curiosité était insatiable. Au cours de ses pérégrinations il a collecté un nombre imposant de vocabulaires de diverses langues d'Ethiopie, qu'on trouve surtout dans ses carnets. Le vocabulaire kemant est resté inédit jusqu'à ce que Conti Rossini le découvre et le publie (Vienne, 1912); je m'en suis beaucoup servi pendant mes enquêtes dans cette population. Bien d'autres lexiques sont toujours en attente. On l'a incité à se préoccuper des Falacha, les Juifs d'Ethiopie. Il a publié (Archives Israélites de France, 1851) les réponses qu'ils ont faites auxquestions qu'il leur posait de la part d'un rabbin italien. Cette enquête n'a rien perdu de son intérêt, et il reste encore des informations inédites, en dehors de la publication d'AEscoly (Cahiers d'études africaines, 1961). Il a aussi écrit sur les Oromo (ou Galla), dont il a souvent été l'hôte. C'est lui le premier qui leur a donné leur vrai nom («Sur les Oromo ou Galla, grande nation africaine», Bruxelles,1880). Il notait en 1843: «En entrant dans Goudrou, comme il était question de me refuser le passage, que je voulais gagner les Galla par des paroles affables, et qu'il m'était difficile d'entamer une conversation avec des gens que je ne connaissais pas, je dis quelques bonnes aventures d'après la chiromancie, divination comme toutes les autres, qui ment beaucoup, mais rencontre juste parfois. Ceci plut beaucoup, et comme d'ailleurs on me voyait écrire, et que les procédés de l'écriture étonnent les ignorants, qui leur supposent des résultats sans bornes, je me vis bientôt assailli de demandes de bonne aventure et de charmes. Comme on ne voulait pas me vendre du lait et que le blé noir, manger usuel du Goudrou, me gênait beaucoup, je demandai un pot de lait ou une mesure d'épeautre (il n'y a ni froment ni téf blanc dans ce pays) pour chaque personne qui venait, et je vivais aux frais du public. .... Le charme le plus demandé était contre le bouda et le mauvais oeil. Je donnais alors un Pater. Si une femme demandait un enfant, elle recevait un Ave. Si elle demandait un écrit pour ne pas être persécutée par ses taont ou les femmes de son mari, elle s'en allait avec un acte de charité. Dans mes gros charmes j'ajoutais une prière pour la conversion du Goudrou, de sorte que s'ils n'ont pas rempli leur but, ils n'ont sûrement fait de mal à personne». Antoine, se mêlant de dire un peu l'avenir, ne semble pas se douter que les dehors monastiques d'homme instruit qu'il assume s'accordent avec la croyance populaire que les moines ont le don de prophétie. Cela lui vaudraquelques difficultés lorsqu'il voudra quitter ses hôtes pour aller chez leurs voisins. En outre le voyageur s'est intéressé à la signification attribuée aux rêves. On lui dit que «les rêves qui précèdent le chant du coq viennent du Diable. Après son chant ils sont un présent des anges». Il ajoute: «les Galla disent que le premier coq qui chante le fait parce qu'il a entendu ouvrir les portes du ciel pour laisser descendre les anges». En règle générale, on explique les rêves par les contraires: rêver de victoire présage une défaite, la venue de quelqu'un annonce qu'il viendra en retard, etc. Mais il note aussi que rêver d'un arbre mort présage la ruine, rêver d'une hyène qui mange annonce une année de famine, etc. Ce qui est sympathique, c'est qu'il note aussi les rêves qu'il fait (qu'Arnauld a tué un lion, qu'Arnauld est cloué par les deux mains, que le voyageur français Lefebvre est parti pour le Choa avec un Européen inconnu, que Vignaux, autre voyageur français, est mort dans le bas pays, etc.). Voyageant avec une caravane de marchands, Antoine a eu la possibilité d'observer de près le commerce en Ethiopie, ses aléas, son organisation. Pour lui le trafic des esclaves et l'esclavage sont une réalité vécue au quotidien. Il a accumulé des notes «objectives». Mais on sent qu'il est constamment indigné. «Celui qui achète des esclaves devient esclave lui même, disent les marchands chrétiens à leurs collègues musulmans. Dans une caravane, les filles galla semblaient avoir pris à tâche de tourmenter leur maître. L'une d'elles lui demanda un jour le tapis sur lequel il couchait et, sur son refus, demanda un tison à l'une de ses compagnes pour se brûler le visage. Sur quoi le marchand effrayé lui donna le tapis et les plus doux noms de peur de voir flétrir sa beauté et de perdre ainsi le prix élevé qu'il en attendait». Antoine d'Abbadie note une histoire atroce, un drame shakespearien. Le musulman Kahsay, chef des marchands d'Adwa, ravit une chrétienne, parente du dädjatchWubié, grand chef éthiopien de la province, l'emmène à Massaoua et la vend 40 thalers. Un porteur musulman, «l'homme le plus musculaire de l'Abyssinie», assemble les marchands et les prie en vain de faire rendre l'esclave. On l'enchaîne, parce qu'il se mêle trop des affaires de ses maîtres. «On lui fit promettre de garder le secret, ce qu'il fit pour se faire libérer, mais le souvenir de ses chaînes lui pesant, il dénonça l'affaire dès son retour à Adwa et offrit d'amener des témoins aux fils du précédent näggadras, qui voulaient récupérer la charge de leur père . Munis de preuves, ils accusèrent Kahsay de conduite illégale et celui ci, effrayé, envoya son domestique de confiance à Massaoua. Ce dernier fit la route en trois jours et, l'esclave ayant été revendue 50 thalers dans l'intervalle, il ne put la racheter à moins de 60 thalers. Comme ce domestique s'acquitta bien de sa commission, Kahsay lui dit: «Je suis, moi, trop haut placé pour m'en tirer à peu d'argent, mais toi qui es inconnu, on te passera à peu de frais et je te donnerai l'argent. Aujourd'hui que l'esclave est rendue, il n'y a plus à craindre pour sa tête, ainsi, dis que c'est toi qui as vendu et je t'en tirerai». L'esclave eut la simplicité de croire et fit la déclaration devant dädjatch Wubié qui se doutait bien de la ruse mais, comme en Abyssinie on peut être témoin contre soi même, Wubié condamna l'esclave à être pendu sur le marché d'Adwa. Comme le ver solitaire sort d'un corps mort et comme la vue de cette maladie est regardée comme très honteuse, on donne ordinairement trois jours de répit à un condamné pour qu'il rende son ver. Kahsay avait promis de faire la paix pendant ce délai mais, soit qu'il ne put ou ne voulut pas la faire, le malheureux et trop fidèle domestique fut amené sur le marché. A la vue de la potence, il cria hautement qu'il était innocent et qu'il avait tout fait d'après les ordres de Kahsay, mais les bourreaux répondirent qu'il était trop tard». L'esclave fut pendu, et levoyageur conclut: «A moins qu'un musulman ne se fasse dénonciateur, il est presque impossible d'obtenir des preuves de cet infâme trafic. Les Pères de la Merci furent institués pour racheter des esclaves chrétiens; aujourd'hui que la France a fait abolir l'esclavage en Barbarie, pourquoi ne vont ils pas remplir le but de leur institution sur les côtes d'Abyssinie et de Circassie?» On comprend mieux pourquoi Antoine fut si constamment sur la brèche dans la lutte contre l'esclavage. Attentif aux litiges et à la procédure il trouvera dans ses notes la matière d'un article, «La procédure en Ethiopie» (Paris, 1888). Une copieuse récolte de proverbes et adages à valeur juridique figure dans les papiers d'Arnauld, et également dans les papiers d'Antoine: excellent témoignage de la collaboration des deux frères. Tous ces proverbes sont expliqués: ce sont les axiômes du droit coutumier (oral, naturellement). Conti Rossini y a eu recours pour rédiger son traité «Principi di diritto consuetudinario della colonia Eritrea» (Rome, 1916). Antoine s'est intéressé à l'épigraphie, à la numismatique, pour le passé et, pour le présent, au comportement sexuel des Ethiopiens. Il ne semble pas avoir été d'une extrême pruderie, même si dans son dictionnaire il utilise le latin pour nommer certains actes ou certaines parties du corps; il a noté des faits surprenants, qui n'avaient pas été relevés avant lui. Mais les voyageurs ne faisaient pas état publiquement de ce genre de choses. Il se conforme à cet usage et fait preuve de la plus extrême discrétion pour ce qui concerne son frère ou lui même (et la «bonne société» éthiopienne). Malgré tout, le grand dessein reste la découverte de la source du Fleuve Blanc. Antoine, dont le frère est en quelque sorte posté au Godjam, au nord de la boucle du Nil Bleu, assurant les arrières, voyage avec une caravane de marchands. Ils pénètrent le 20 juillet 1843 au soir dans le royaume de Limmu. Le souverain, nommé Ybsa, qui porte le titre d'abba Baggibo,les reçoit en «audience solennelle» le 26. Le voyageur est consigné dans une «misérable hutte» du village de Saka, la capitale, dont il voudrait fixer la position, mais les circonstances ne facilitent pas ses observations astronomiques. Il sera tiré de cette situation pénible pour être joint au cortège de noces envoyé par Ybsa au Kaffa pour lui en ramener une nouvelle épouse. Le cortège quitte le Limmu le 8 novembre et franchit la rivière Godjeb, qui fait limite, le 26 du même mois, sur un pont de lianes. Antoine séjournera au Kafa quatorze jours, faisant des observations hypsométriques, de longitude et de latitude. Le 19 décembre il est de retour au Limmu. Plus de deux mois plus tard, le 28 février 1844, il est autorisé à quitter le royaume avec la caravane des marchands, qu'il persuade de ne pas suivre le même itinéraire qu'à l'aller. Antoine est au Godjam le 10 avril 1844, après 46 jours de route. Il arrive à Gondar le 30 juillet. Il écrit dans son Journal: «Arrivé à Gondar, je discutai avec mon frère les renseignements que j'avais recueillis sur le grand Damot et sur les pays limitrophes. Il devint évident pour nous que le Godjeb tourne autour de Kaffa en formant une spirale tout à fait analogue à celle de l'Abbay autour du Godjam, et que le Godjeb, uni à l'Uma alias Omo , est cette branche orientale qui, en amont de l'île Janken, forme selon Mr. d'Arnaud géographe français en renom , le principal affluent du Fleuve Blanc. J'écrivis en ce sens en Europe sans faire attention que l'Uma pouvait être supérieur au Godjeb par le débit de ses eaux. Nous crûmes, mon frère et moi, que la première indication du haut Fleuve Blanc ayant été faite par des voyageurs français, notre patrie nous saurait gré d'avoir planté le pavillon tricolore sur la source même, et malgré les lenteurs inévitables d'un second voyage en Enarya, nous résolûmes de l'entreprendre encore une fois.» Mais il leur faut, pour cela, attendre la fin de la saison des pluies. Entre temps, Antoine va allerchercher de l'argent à Massaoua, et Arnauld assurer la sécurité du voyage. Les deux frères se retrouvent à Qwarat'a où est stationnée l'armée du protecteur d'Arnauld, Gwoshu, qu'ils accompagnent jusqu'à l'Abbay; ils se séparent: Arnauld reste avec Gwoshu, tandis qu'Antoine le quitte le 14 avril 1845. Le 15 janvier 1846 il est de nouveau au royaume d'Ybsa, toujours étroitement surveillé. Il écrit dans son Journal: «Je bornai donc toute mon activité à recueillir le plus de renseignements possible sur les divers affluents du Fleuve Blanc. Deux mois s'étaient écoulés dans ces occupations...» Mais un incident tragique s'était produit à son insu: deux voyageurs anglais, ayant eu connaissance de l'information publiée par le géographe français d'Arnaud, veulent se rendre au Kaffa pour y localiser la fameuse source. «Ils voulaient passer par Enarya et, n'ayant pu réussir à être amenés dans une caravane, ils s'étaient attachés à suivre mon frère...» L'un d'eux va tuer délibérément deux guerriers oromo de Djimma, et les quatre blancs sont voués à la vindicte de la tribu. Bref, il fallut à Arnauld négocier sa sûreté en contournant le territoire des Djimma, et il n'arriva en Enarya que le 15 décembre 1845. Cependant, dit Antoine, «J'avais employé ma longue attente à multiplier, ressasser et discuter les renseignements qui pouvaient m'éclairer sur les affluents du haut Fleuve Blanc. J'avais renoncé successivement à regarder comme tributaire principal du Godjeb le Walga, le Wabé et même le Baro, auxquels des renseignements un peu confus avaient un moment concédé cet insigne honneur. Tous les jours en me levant, je portai naturellement mon regard vers la porte unique qui me servait de fenêtre et qui, tournée vers le sud, me faisait voir les hauteurs boisées de la forêt de Babya dont j'ai plus tard dessiné avec soin toutes les sommités. Cette forêt vierge recelait la source du Gebé d'Enarya que des éliminations successives m'avaient définitivement fait admettre comme tributaire principalde l'Omo Uma et cette dernière rivière l'emportant sur le Godjeb et par le volume de ses eaux et par l'étendue de son bassin doit être regardée comme le principal de tous les affluents qui dessinent dans son origine le bassin du Fleuve Blanc.» Les deux frères se rendent à la source sous prétexte d'y faire une offrande de viandes sèches et de grains rôtis. «L'hypsométre et même le drapeau tricolore ajoute Antoine ne parurent aux yeux des Limmu que des instruments essentiels au sacrifice, que des attributs du génie particulier de notre tribu.» Antoine est visiblement heureux de noter: «C'est le 19 janvier 1846 que nous atteignîmes la source du Fleuve Blanc et que nous pûmes accomplir enfin le projet que j'inscrivais dans mon journal en quittant la rive du Nil à Qeneh en janvier 1838.» Qu'a t il vu? «La modeste origine du grand fleuve est un petit bassin de quelques centimètres de large: l'eau terne et boueuse sourd dans l'intersection de deux contreforts du mont Bora; elle est ombragée d'un épais bocage dont les essences me sont inconnues à l'exception des fougères arborescentes. La taille svelte de ce grand végétal, son feuillage plus aérien et plus gracieux que la plus fine dentelle jetteraient au besoin un peu de poésie sur une source qui n'est en définitive que le couronnement de longs efforts dans l'étude d'une géographie naguère inconnue.» Restait à sortir de là et rentrer en France. Il y fallut presque deux ans. Chemin faisant, mesures d'altitude, de latitude, observation d'une éclipse de soleil, collecte de vocabulaires, cartographie et, au Godjam, reprise de l'étude de la langue guèze, achat de manuscrits. Le 3 octobre 1848, Antoine rembarque pour la France à Massaoua. La polémique qui s'engage presque dès son retour ne se calmera qu'en 1862, après que Speke et Grant auront découvert que le Nil Blanc est un émissaire du Lac Victoria. Plus tard, lorsque notre Société de Géographie décerne en séance solennelle sa grande médaille d'or à Sir Samuel White Baker,il déclare, dans son remerciement: «Si les Anglais ont découvert les sources du Nil, les Français leur ont frayé la voie». L'éthiopisant, dépassé par ce débat, constate avec, s'il peut, sérénité, les incertitudes de la science: l'Ecossais Bruce croyait trouver la source du Nil Bleu, mais d'autres, qui l'avaient précédé et dont il pensait corriger l'erreur, ne s'étaient pas trompés; le Basque d'Abbadie croyait trouver la source du Nil Blanc, mais, pour s'être trop fié au géographe d'Arnaud, il échoua; Speke et Grant ont gardé longtemps le mérite de la découverte mais, bien plus tard, en 1934, comme nous l'a appris Monsieur Poignant dans sa contribution, la source du Nil Blanc a été située à environ 50 km à l'est du lac Tanganyika . Les biographes n'ont cessé d'opposer les destins des deux frères, Arnauld le guerrier et Antoine le sage. Ils pourraient figurer dans une saga des basco irlandais, s'il en existait, sous les noms d'Antoine le Godi et de Michael le berserk son frère... Mais je préfère les voir comme des personnages de Stendhal, empruntant chacun l'une des deux voies offertes par la France du XIXe siècle: l'armée (le rouge) pour un Arnauld bretteur et querelleur, et la religion (le noir) pour un Antoine érudit, dévot catholique et père du renouveau missionnaire en Ethiopie. «Ces héros de la virtù ne sont nullement des condottieri agressifs et sommaires, mais des êtres d'intériorité. Donc des êtres du secret, et souvent de l'écriture secrète, des signes et des codes...» Ces lignes qui caractérisent les héros stendhaliens s'appliquent fort bien aux frères d'Abbadie, hommes de vertu et de virtù, et j'aurais eu plaisir à citer leur auteur si son texte n'était pas anonyme. NOTES 1) Tawfiq al Hakim, Dans sa robe verte. Théâtre, Antibes, Aresae, 1979, p. 39. 2) "Eluard, bourlingueur timoré de Pointe à Pitre vers Sydney, Saïgon et Port Saïd, lesté de ses 17 000 francs, qui avertit son père par pneu bien tempéré, et qui, sinon repenti, du moins coopératif ou quêtantla coopération, communique bientôt son itinéraire à Gala son épouse et à l'ami Max Ernst: ils le rejoindront à miparcours" (p. 137). Roger Lassalle, "Eluard de par le monde", dans Voyages et voyageurs (J. Tubiana éd.), Bruxelles, Fondation N.C. Fabri de Peiresc, 1984, pp. 135 155. 3) Comment ne pas être écrasé sinon par les incertitudes du moins par notre ignorance? L'un nous dit que Speke voyageant avec Burton en 1858 considère que le Nil Blanc est un émissaire du Lac qu'il vient de nommer Victoria; un autre nous dit que c'est en 1860, en compagnie de Grant (un troisième écrit que c'est en 1853, mais cela paraît impossible!). Espérons que la date de 1863 pour la publication du Journal of the discovery of the Nile est exacte. Faut il refaire l'histoire de la géographie pour les non spécialistes? Joseph Tubiana, professeur INALCO.