277 Zenbakia 2004-11-19 / 2004-11-26

Elkarrizketa

Jakes Casaubon. Chercheur: Je suis un simple chercheur, j'aime le Pays basque et sa culture, j'y ai consacré ma vie, mais je l'ai fait modestement

ETXEZAHARRETA, Lucien

ETXEZAHARRETA, Lucien

Né le 10 novembre 1925 à Ostabat en Basse Navarre, Jakes Casaubon a obtenu le Prix d’Honneur 2004 offert par Eusko Ikaskuntza et la Ville de Bayonne pour son activité en faveur de la culture basque. Exerçant pendant sept ans à l’Office National des Forêts à Saint Pée sur Nivelle puis comme technicien d’hydrobiologie à l’Institut National de la Recherche Agronomique, il a mené parallélement une activité de chercheur autodidacte dans divers secteurs de la culture basque. Membre de nombreuses associations telles les Amis de la Vieille Navarre, Eusko Ikaskuntza ou Euskoarkeologia. Il a participé à de nombreuses conférences, émissions de radio dont “Gure Bazterrak” qu’il anime depuis 1997 sur les radios d’expression basque. Il a été un fervent défenseur de la pelote basque, animant et dirigeant pendant 37 ans des sociétés de pelote à Biarritz. Il vient d’écrire, avec Pierre Sabalo, un ouvrage relatif aux anciens jeux de pelote et aux jeux de bergers. Dans cet entretien effectué en octobre 2004 par Lucien Etxezaharreta, journaliste, il parle des sources de son activité et exprime ses réflexions.

Jakes Casaubon, tout au long de votre vie, le souci de l’enseignement et de la pédagogie vous a guidé, pourquoi?

Souvent, lorsque j’étais à l’école, malgré de bons professeurs, je ne comprenais pas toujours très bien. C’était peut-être un manque dintelligence, mais peut-être aussi qu’on ne m’expliquait pas très bien. J’ai eu ce souci, connaissant mes propres difficultés. Très jeune, je me suis rendu compte aussi que, pour bien faire comprendre, il fallait prendre le temps mais aussi avoir une méthode, en particulier avec les plus jeunes. Je n’y suis pas toujours parvenu mais on m’a souvent exprimé qu’on me comprenait assez bien: pour un enseignant c’est un grand plaisir!

Parmi vos enseignants, certains ont dû vous marquer...

J’ai eu de bons enseignants. J’en ai eu deux dans mon enfance, à Ostabat, Eyhéramendy et Biscay: ils étaient très bons mais sévères; l’un avait toujours son bâton près de lui, ils étaient différents et même s’ils n’avaient pas de grands dons d’enseignant, ils avaient une grande volonté. C’étaient des travailleurs et, à force de répéter, parfois à coups de bâton, ils transmettaient leur connaissance. Ayant continué les études jusqu’à dix-sept ans, j’ai eu deux professeurs que j’ai beaucoup estimés. Auparavant j’avais passé un an au Collège d’Orthez, j’en ai gardé un très mauvais souvenir. Nous étions 216 enfants, j’étais le plus jeune, mon numéro était le 216 et j’ai été très malheureux. Ensuite on me mit à Mayorga, à Saint Jean Pied de Port. Le directeur en était l’abbé Mongaston, un homme de grand savoir, mais aussi quelqu’un qui savait vraiment éclairer les enfants. J’en ai gardé un souvenir ébloui. Ensuite, pendant la Guerre, comme j’étais pensionnaire et que ce n’était plus possible d’y rester à cause des restrictions alimentaires, je dus m’inscrire au Cours Complémentaire, dans l’autre école. Salaberry, un laïc, en était le directeur. J’en ai gardé aussi un très bon souvenir. Les deux étaient remarquables, ils étaient bons. Par rapport à ma connaissance, j’ai une grande dette envers les deux.

Votre père était garde forestier, originaire d’Aramits en Béarn, il a eu aussi une grande influence

J’ai eu cette grande faveur. Il arriva dans notre village, garde forestier, tout jeune et il s’y maria avec ma défunte mère. Il n’avait pas fait beaucoup d’études mais il était très intelligent. L’instituteur voulait le pousser à faire des études mais, étant l’aîné de cinq enfants, dans une famille très modeste, ils n’avaient pas les moyens de le garder à l’école et il s’engagea valet de ferme à onze ans. Mais il aimait beaucoup lire, il fit des études tout seul et même pendant son temps de service militaire. Il était bien plus brillant que moi. J’ai beaucoup appris avec lui. Ce que j’ai appris aussi avec lui, et je lui en ai été toujours reconnaissant, c’est la loyauté! C’était un homme droit, peut-être sévère dans son travail, mais juste et d’une grande finesse. Il nous a appris aussi une chose, car il faut savoir que les gens d’ici ne sont pas toujours très fins, c’est de ne pas dénoncer. Il ne supportait pas que quelqu’un dénonce une autre personne, il nous disait toujours “ne soyez jamais des rapporteurs, même à moi, ne dites rien!” J’ai toujours beaucoup apprécié ça les années suivantes.

Une expérience vous a marqué, pendant la Guerre, vous êtes resté loin du Pays Basque, dans une école de formation de techniciens forestiers et ces temps très durs vous ont beaucoup formé.

A dix-sept ans, j’ai quitté l’école de Garazi, l’année du Brevet et j’ai passé le Concours de Garde Forestier, puis je suis resté deux ans et demi dans une école du Loiret, près d’Orléans. C’était un grand domaine, entouré de forêts et l’expérience que j’y ai vécue m’a servi toute la vie. C’étaient des temps très durs, nous étions entourés d’allemands, nous souffrions de la faim, mais nos professeurs étaient excellents.

Votre vie professionnelle a débuté à Saint Pée, en Labourd, comme garde forestier. Ce monde de la Côte labourdine vous a-t-il surpris?

Au début j’ai eu quelques difficultés, mais j’étais très content d’arriver là. Pour les bas navarrais, ces terres avaient la réputation d’être riches, sur le plan des traditions aussi, de la pelote, nous enviions ces endroits. Les premières années ont été difficiles, j’y avais trouvé une ambiance assez mauvaise, mais j’avais appris à vivre ces dernières années et je me suis assez bien adapté. Je n’y suis resté que sept années mais je trouve que ce sont les plus belles de ma vie.

Vous vous y êtes marié avec Joséphine Albandoz, une jeune institurice. Votre goût pour la pelote s’ est-il développé à cette époque?

L’amour que j’ai pour le Pays Basque date de mon enfance. Je ne sais pourquoi, mais à l’âge de douze ans je savais qu’il y avait Sept Provinces et qu’elles constituaient un Pays. Ma mère, sans doute, me l’avait dit, mais c’est quelque chose que chacun a en soi, ou n’a pas. Je n’ai pas passé un seul jour en dehors du Pays sans y penser. C’est un amour qui m’a conduit à m’intéresser à divers aspects, l’Histoire, les traditions, la culture et dans ce cadre-là, à la pelote, bien entendu. De mon temps, il y avait de grand joueurs de pelote, dans mon propre village et, moi-même, j’aimais beaucoup y jouer. A Saint Jean, à l’école, je m’entraînais avec les meilleurs joueurs, Etchemendy, Chateauneuf et d’autres.

Je peux dire que j’ai consacré à la pelote une grande partie de ma vie. J’y ai passé beaucoup de temps, peut-être un peu trop. J’étais amateur de pelote et quand je suis arrivé à Biarritz, Jean Etcheverry, un homme de vingt ans plus âgé que moi, me fit entrer à la Société de pelote de Jeanne d’Arc. La société était en mauvaise situation alors, il y avait peu d’enfants à l’école de pelote et je remis alors cette école sur pied avec pas mal de succès. Les années suivantes je me mis à tenter de réunir les quatre sociétés de pelote de Biarritz. En les unissant nous avons mis sur pied la société Biarritztarrak. J’ai passé trente-sept ans au service de la pelote mais j’en ai retiré aussi des satisfactions. Il y a aussi beaucoup de difficultés à s’occuper de pelote, tous les joueurs ne sont pas pareils, certains sont reconnaissants, d’autres, bien ingrats... Dans le sport il y a autant de joies que de peines, mais tout compte fait, je n’ai aucun regret d’avoir sacrifié trente sept ans de ma vie pour la pelote.

En même temps, vous vous êtes dédié aussi à la sauvegarde du patrimoine, en aidant les archéologues, en rencontrant beaucoup de spécialistes. Parmi ceux-là, certains vous ont-ils marqué?

J’ai eu cette faveur et cet honneur. J’ai d’abord connu Bouchet de Mauléon, que j’aimais beaucoup, un homme au grand savoir, puis, par son intermédiaire, Chauchat, un préhistorien, aujourd’hui au Pérou. Par eux, j’ai connu aussi le Père Barandiaran. Je l’ai beaucoup apprécié et j’ai même déjeuné avec lui à Ataun. Avec ces personnes, on se sent humble et on écoute ceux qu’ils disent et on s’en enrichit.

Au long de votre vie, vous avez connu de grands changements, une prise de conscience des Basques également. Comment le ressentez-vous?

On peut dire que j’ai connu deux grandes époques. Après la guerre, le folklore prenait le dessus, nous prenions ça comme des enfantillages. A cette époque, au Pays Basque, personne ne s’occupait de notre Patrimoine. Dans une thèse de l’époque, on peut voir les vestiges nombreux de l’Aquitaine, de l’Age du Bronze en particulier et, sur la carte, ici, un grand vide. On disait alors que les vestiges des anciens peuples étaient nombreux en Aquitaine, mais qu’ici il n’y avait rien. Aujourd’hui on peut dire le contraire. Nous avons été parmi les premiers à le montrer, sous l’égide de Barandiaran: il y a ici un vaste patrimoine à sauver. Nous étions cinq à six personnes avec lui. A notre suite, des gens bien plus instruits ont pris le relais et on peut affirmer aujourd’hui que le patrimoine du Pays Basque est l’un des plus riches d’Europe. Il est pénible de constater que le peuple basque ne s’y intéresse pas beaucoup.

En ce qui concerne l’euskara, vous avez connu aussi de grands changements, sa disparition et aussi son renforcement: comment les avez-vous vécus?

J’ai connu trois époques dans ma vie. Dans la première, dans mon enfance, la langue basque était la seule utilisée dans nos villages, entre toutes les générations. Lorsque la guerre est arrivée, elle a commencé à se perdre. Cela m’a fait beaucoup de peine car je considère que le Pays Basque sans sa langue, ce n’est plus le Pays Basque. Quand on entend dire “nous les Basques” ou “le Pays Basque”, ce sont des mots vides de sens dès lors que la langue n’est plus. On trouve tout au long de l’Histoire des peuples qui, dès qu’ils ont perdu leur langue, ont perdu leur identité. On trouve leur trace mais ces peuples ont disparu. C’est ce qui arrivera ici aussi.

Mais, maintenant, et je parle de la troisième époque, il y a une renaissance. Il faut dire que les ikastolas y ont grandement participé, mais il y a beaucoup d’organisations, telles l’Institut Culturel, Eusko Ikaskuntza, l’Académie Basque et d’autres, qui font de grands efforts. Il me semble que si on suit ce chemin, la langue basque ne disparaîtra pas mais, au contraire, renaîtra.

Il y a aussi les sempiternelles divisions entre les basques, nos querelles intestines, certains appuient les politiques de Paris ou Madrid, d’autres s’y opposent. L’Europe nous apporte-t-elle des solutions?

J’ai mon point de vue. La situation que nous vivons aujourd’hui, tout au long de l’Histoire, d’autres peuples l’ont vécue, en Irlande par exemple. Aujourd’hui des jeunes, militants et engagés expriment leurs sentiments de manière vive. Ils voudraient voir un peuple réunifié, une nation: c’est une belle chose mais il faut savoir que dans l’Histoire, les peuples divisés ont mis de nombreuses années, parfois des siècles, pour se réunifier. Il ne faut pas désespérer, mais ce sera long. Faisons toujours des pas en avant et non en arrière. Nos principaux adversaires, ce ne sont pas les Etats voisins ou leurs gouvernements. Ils se trouvent parmi nous! Il faut voir ça clairement, savoir que c’est notre point faible, nous ne nous entendons pas du tout. Pensez alors combien nous rendons service à nos adversaires qui ne demandent rien d’autre!

Après une vie de labeur, il doit vous être agréable de penser à l’avenir: un Pays Basque relié par sa langue et avec tous les Basques du monde?

Il nous faut sauver la langue basque et autour de cette idée, nous devrions tous nous unir. Nous y arriverons si nous nous entendons tous. Si nous continuons avec nos divisions, nous n’arriverons à rien. Il faut écarter les divisions politiques. Chacun peut avoir ses idées, ce n’est pas une raison pour se déchirer. Avec du respect nous pouvons avancer car sinon, nous faisons souvent un pas en avant et deux en arrière et, avec ça, nous n’irons pas loin. J’ai l’espoir que l’euskara ne se perdra pas et que le Pays Basque se construira un jour. Il faut quand même noter combien d’améliorations il y a eu entre les Sept Provinces. Aujourd’hui, il n’y a plus de frontière, les Chambres de Commerce travaillent ensemble, il y a encore trente ans, c’était inconcevable. Entre Universités, des échanges se font. Les étudiants peuvent choisir leur Université d’un côté ou de l’autre. Les échanges se développent sans cesse. Laissons faire le temps, l’eau fera son chemin, doucement. Nous, nous ne verrons pas cet avenir, mais ce travail que nous faisons, les générations futures l’utiliseront et les choses retourneront un jour à leur place. Qu’on le veuille ou non, je suis sûr d’une chose: peut-être que la France et l’Espagne existeront encore, mais ici, on verra un peuple uni de Bilbao à Bayonne ou jusqu’à la Pierre Saint Martin!

“Gure Bazterrak” est une émission que vous animez depuis sept ans. Vous avez eu une grande satisfaction en notant l’intérêt que vous avez soulevé pour notre patrimoine.

C’est l’une des plus grandes joies de ma vie, et je vous en suis redevable en partie. Un jour nous avions fait une émission sur la nature, je pensais qu’on en resterait là et, la semaine suivante, vous m’avez proposé de continuer, je vous répondis que je n’avais pas le temps... et j’ai continué. Cette émission a pris une grande dimension et beaucoup de gens y prennent plaisir.

On vous a remis un makila d’Honneur, de la part de la Ville de Bayonne et d’Eusko Ikaskuntza. Comment prenez-vous ça? Je n’ai jamais beaucoup aimé les honneurs. J’ai souvent vu qu’on donnait des médailles, je ne préciserai pas, à certaines personnes et j’ai eu pensé que si c’était à moi qu’on donnait ce type de médaille, j’en serais deshonoré si j’acceptais... Ceci dit, cet honneur, pour moi personnellement n’est pas si essentiel: je pense que je suis un simple chercheur, j’aime le Pays basque et sa culture, j’y ai consacré ma vie, mais je l’ai fait modestement et non pour figurer dans les journaux ou pour qu’on parle de moi à la radio. A propos de ce makila qu’on m’offre, je me dis: “on te l’offre à toi, simple chercheur parmi d’autres, et ils te le donnent au nom d’autres simples chercheurs et en particulier au nom de ces personnes aux grandes connaissances que sont les bergers de nos montagnes”. C’est ce que je pense. C’est pour ça que ce makila d’honneur, je l’offre à mes amis chercheurs de ces montagnes et je pense particulièrement aux vieux bergers car leurs connaissances sont sans prix.