4 Zenbakia 1998-10-02 / 1998-10-09

Gaiak

La Projectique

LARRASQUET, Jean Michel

La Projectique La Projectique Jean Michel Larrasquet Le thème fondamental de la Projectique est de réfléchir sur le concept de projet entendu comme mode d'organisation de l'activité sociale complexe qui essaye de donner du sens à l'activité. Cette réflexion fait donc appel à des considérant nombreux et complexes. Organiser par projets l'activité des hommes en société va avec des changements dans l'organisation sociale. Cette réflexion a été menée jusqu'à aujourd'hui de façon plutôt généraliste, du monde de l'entreprise, de la recherche, du développement local, à ceux de l'architecture ou de la santé. Notre époque connait en effet dans de nombreux secteurs d'activité l'émergence de nouveaux paradigmes cognitifs et de nouvelles formes d'organisation. On s'accorde à considérer que, pour diverses qu'elle soient, ces formes d'organisation connaissent en commun un certain nombre de caractéristiques. Les équipes y bénéficient d'une certaine autonomie, elles sont plutôt soumises à l'obligation de résultat, en ce sens qu'elles travaillent plutôt de façon finalisée, avec des objectifs à atteindre, elles sont composées d'un nombre restreint de participants, elles travaillent en général sous la pression de diverses spécifications et contraintes: contraintes économiques, de délais, de qualité,... De telles équipes sont en général aujourd'hui qualifiées d'équipes de projet. Le terme "d'objectifs poursuivis " ne doit cependant pas faire illusion: ceux ci doivent à notre sens être appréhendés à la fois comme définis de façon externe, hétéronome (par un type ou un autre de hiérarchie) et produits de façon interne, autonome (par le groupe lui même). On a plutôt affaire à une sorte de mélange des deux modes, parce que l'auto définition des objectifs, même si elle n'est que partielle, est nécessairement une caractéristique de ces groupes. Car, de toutes façons, les objectifs assignés par la hiérarchie ne peuvent être ni assez précis ni assez larges (paradoxalement?) pour servir de référenceunique à l'équipe. Dans un contexte de changement accéléré les situations émergeant effectivement, ou du moins leur appréciation sous forme de représentations mentales, sont nécessairement toujours différentes elles ne sont de toutes façons pas du même ordre des anticipations ou des planifications hiérarchiques. Dans ce même ordre d'idées, il n'y a pas de raison d'ordre général pour que les membres de l'équipe de projet adhèrent complètement aux objectifs hiérarchiques. Si normalement, tout acteur réagit aux injonctions hiérarchiques, ces réactions produisent en général des réflexions alternatives, poussent les acteurs à générer des espaces de liberté (d'incertitude) oú ils trouveront une forme d'autoréalisation (en interprétant, ignorant, transgressant, changeant,... les inconjonctions hiérarchiques). Ces aspects sont bien étudiés dans les grandes organisations bureaucratiques, mais sont certainement d'une certaine façon également pertinents dans le groupe de projet et dans les représentations et rélations que les acteurs entretiennent entre eux et avec lui. Car en effet , le maniement du concept d'équipe de projet doit être prudent et se garder de tomber dans l'illusion cognitive ontologique. Le pilotage du groupe n'a pas la matérialité "du pilotage d'un avion", mais n'est finalement pour tout le monde (encadrement, analystes, collaborateurs, y compris les membres du groupe eux mêmes) qu'un construit cognitif "de second ordre" selon les termes de Von Glasersfeld. Le groupe sera perçu, selon les représentations mentales des uns et des autres de ses membres ou de ses non membres, comme plus ou moins pertinent, approprié, efficient, positif, utisilable... La quête de la zone de liberté des individus (d'incertitude pour l'organisation) y existe certainement aussi. L'enjeu est donc que le groupe soit un attracteur, un lieu de construction de "sens", qui puisse au mieux polariser en cohérence cette quête fondamentale de l'autonomie individuelle. Plus la sensation de construirecollectivement quelque chose de positif et de valable, et donc, l'identité de valeurs seront fortes, plus la cohésion du groupe et la conscience autoréférentielle des membres par rapport au groupe seront elles aussi renforcées. La nature profonde du groupe est une construction continuelle, c'est un processus continuel d'apprentissage. Le groupe de projet nous aparaît être la base fondamentale de la construction du "sens". Trouver des façons positives de travailler ne peut être que le résultat d'un travail et d'un apprentissage collectif. Même s'ils changent car ils sent eux mêmes finalement des concepts largement émergents , des objectifs concrets sont nécessaires, car c'est seulement autour de l'impression partagée d'un travail positif qu'une équipe est en mesure de créer du sens. C'est pourquoi il est important que le groupe soit restreint. Des valeurs partagées (au moins au niveau opérationnel ) et une communion dans la création et le travail en commun sont très difficiles à générer et à maintenir dans les grands groupes. Dans ces grands groupes où existent nécessairement des estructures, une hiérarchie, des définitions de rôles plutôt rigides, et où émergent, comme ailleurs, les graines des conflits d'intérêts et des désaccords profonds, il est très difficile de transcender par la création collective autour d'un objectif opérationnel, concret et à court terme. Le groupe de projet produit son propre futur proche, c'est une forme d'autopoïèse, fondée sur le fait que chaque acteur (autonome) est agi par les représentations mentales (complexes et comportant des jugements de valeur) qu'il a du groupe et de ses valeurs sociales. En même temps, les décisions et actions des acteurs modifient les représentations mentales des acteurs, et les amènent à réagir, ce qui modifie les représentations des premiers... C'est probablement là la base du changement fondé sur le "learning by doing". Le résultat d'un tel processus est que le développement d'un projet, fondé sur l'autonomiedes acteurs qui forment le groupe, peut a priori partir dans toutes les directions. Le fond du problème étant dans la production de sens, identité et direction, par le "learning by doing". Dans ces conditions, le travail des responsables et des managers consiste plutôt à définir les grands principes, les grandes directions que chaque groupe de projet devrait suivre pour travailler de façon compatible et synergique avec les autres groupes et avec l'environnement, à la recherche d'une cohérence générale, à tenter de canaliser les situations émergentes vers des objectifs stratégiques fondamentaux. Il n'y a évidemment pas de talisman qui garantisse qu'un tel résultat soit atteint, même si cela est difficile à admettre pour des gens qui ont été élevés dans une culture positiviste, déterministe et hiérarchique. A notre avis, cependant, il faut absolument comprendre que cette incertitude de l'émergence caractérise de plus en plus le champ de l órganisation et au delà, de l 'économique et du social. Jean Michel Larrasquet Professeur à l'Institut Universitaire de Technologie