325 Zenbakia 2005-12-02 / 2005-12-09
Tout d’abord il faut présenter les cadres spatiaux et chronologiques qui définissent ce sujet. Ainsi d’un point de vue chronologique ce sujet s’appuie sur ce que l’on appelle le « temps long » de l’Histoire rurale, c’est à dire la période qui va du début du XIXème jusqu’aux années 1950 c’est à dire juste avant la Révolution Agricole. Bien sure il faut se rendre compte du fait que les pratiques que nous allons étudier sont pour certaines pluriséculaires. De plus il faut ajouter que c’est justement la Révolution Agricole qui a entraîné la fin des jeux, celle-ci ayant réduit le nombre de bergers. En outre nous étudierons les jeux que pratiquaient les bergers, or ces jeux se limitaient à la période estivale, c’est à dire quand les bergers avaient fait transhumer leurs troupeaux sur les estives. Le début de la transhumance se situe le premier mai, la période de traite s’étend jusqu’au 22 juillet, date à laquelle les brebis redescendent pour être tondues. Vers le 26 juillet les troupeaux sont remontés dans les estives, jusqu’en septembre. Toutefois la période où l’activité en matière de jeux était la plus intense, commençait dès le 22 juillet, car les bergers avaient moins de travail à effectuer et donc plus de temps libre. Pour ce qui est du cadre spatial, le berger que nous avons étudié fait partie du système pastoral pyrénéen, cependant dans le cadre de notre étude sur les jeux, nous avons préféré nous focaliser sur les bergers souletins. Ces derniers sont au centre de notre étude, car c’est en Soule que se situe un système pastoral tout à fait unique. Celui-ci repose sur un système communautaire permettant à plusieurs bergers, de se regrouper au sein d’un même cayolar, et de faire troupeau commun. C’est donc grâce à une organisation de ce type que des jeux singuliers ont pu se développer, mais aussi ont pu réussir à survivre. Ce faisant, même si notre travail se concentre sur la Soule, nous réfléchirons sur les liens de ces jeux avec une civilisation pyrénéenne ou avec la culture basque. Ajoutons même, que des pratiques communes de celles des bergers souletins ont été retrouvées en Bretagne, en Galice et sur les îles Canaries. Pour faire une petite parenthèse je dois tout de même ajouter que la première partie de mon mémoire correspond au terme de « vie pastorale » de mon titre, en effet dans cette partie je réalise une petite présentation des bergers pyrénéens et de leur façon de vivre durant la période de la transhumance, cela dans le but de montrer la particularité du système pastorale souletin. Détail de la représentation de la pastorale Allande d´Oihenart, ã Muskildi (Soule).
Revenons donc sur ce système pastoral souletin, car c’est la clé de voûte de notre travail. La vie pastorale en Haute Soule était, encore il y a trente ans, régie par les droits de cayolar. Ceux ci avaient été définis au XVIème siècle dans le recueil « La Coutume de Soule »1. Ces droits avaient été supprimés par la Révolution Française, pour finalement être rétablis en 1830. Voici un extrait tiré de ce recueil datant de 1520 : « …Les bergers logeaient socialement dans des cabanes qui étaient la propriété indivise d’un groupe d’habitants ou d’une vallée, que les bergers possédaient en copropriété. Egalement le terrain entourant la cabane sur une centaine de mètres, ceci afin d’y établir leur parc à bestiaux. Enfin le troupeau a droit de pacage sur les pâturages du Pays de Soule et les bergers avaient l’usage d’une portion de forêt du Pays et dont ils pouvaient tirer du bois d’½uvre nécessaire aux cabanes… ». Nous pouvons donc nous rendre compte de l’ancienneté de cette institution pastorale souletine. Il faut aussi ajouter que depuis la restauration des Biens du Pays de Soule sous le nom de Syndicat de Soule, en 1830, cette organisation a peu changé, les bergers, il n’y a pas longtemps jouissaient encore des même prérogatives. Selon Théodore Lefèbvre2, les bergers pyrénéens bénéficient de deux droits d’usage : celui de couper du bois pour le chauffage et les réparations, et celui de faire pacager leurs troupeaux à l’intérieur d’une zone de parcours bien délimitée, appelée builta3.
Soulignons que le souletin n’est pas, à la différence du berger béarnais, un berger de métier. En effet le berger béarnais achetait des pacages, jusque dans les Landes et la Gironde, pour nourrir les animaux l’hiver alors que le berger souletin laisse ses bêtes dans la vallée comme tous les autres animaux de son exploitation, que ce soit les vaches ou les porcs.
Cependant malgré une certaine forme d’amateurisme, le pastoralisme souletin est régi par des règles permettant le bon fonctionnement du système. Il est fondé sur un type d’organisation quasi inédite dans la mesure ou le séjour en montagne est presque impossible pour le berger qui n’a pas de cabane, d’où l’importance d’un système pastoral communautaire et égalitaire. C’est alors l’apparition d’un syndicat pastoral, c’est à dire un système d’entraide pour la surveillance du troupeau, celui ci étant principalement utilisé en Soule. Donc la olha est l’espace sur lequel s’étend le syndicat pastoral. Ce dernier est un syndicat à vocation pastorale et fromagère consistant en un groupe de bergers qui, en période de transhumance estivale, font troupeau commun et assurent à tour de rôle les soins des bêtes et la traite. Ce système implique des cabanes détenues et utilisées en commun. De plus ajoutons que la vie au cayolar chez les souletins repose sur une organisation de type collectiviste très curieuse que nous ne retrouvons nulle part ailleurs. En effet au sein d’un cayolar il existe six tâches différentes. La première est celle de l’etxekandere, puis il y a l’artzain nausi, l’artzain mithil, l’antzuzain, l’atxurzain et la neskato. Il serait trop long de rentrer dans le détail afin d’expliquer chaque tâche, il faut juste savoir que chaque berger d’un cayolar durant la même semaine remplit les six tâches. C’est ce que l’on appel asteka, la semaine du berger. Ainsi un roulement se créait au sein du cayolar, car la plupart du temps il y avait sept txotx donc tout les jours un berger redescendait dans la vallée, aussi à son retour il devenait etxekandere, puis au bout de six jours neskato et au septième il redescendait dans la vallée. Alors cette répartition équitable des tâches permettait de bien répartir les fromages en fin de saison, mais surtout elle rendait possible des entraides entre les bergers et donc il arrivait qu’en fin de journée les bergers jouissent d’un peu de temps libre. C’est souvent à ces moments là que les bergers pratiquaient leurs jeux. Voyons donc de façon relativement succincte deux jeux que pratiquaient les bergers dans nos montagnes (il faut savoir que le mémoire en présente d’autres mais il serait trop long de tous les citer). Kiristiak et Türkak (turcs et chrétiens), les deux grandes sous-divisions de la Patorale, en chantant dans la Pastorale "Bareterretx", avec le errejent on directeur Jean Pierre Recalt ã la tête, ã Athérey (Soule).
Voyons d’abord le jeu du Bota luzea, aussi appelé jeu de longue paume. Ce jeu était pratiqué le plus souvent sur des cols situés aux confluents de diverses vallées, de la sorte les bergers pouvaient surveiller leurs troupeaux tout en en s’amusant. Les terrains de pratique étaient de forme rectangulaire et mesuraient en moyenne soixante dix mètres de long pour vingt mètres de large. Ils étaient aussi appelés pilotasoros, étaient recouverts d’un magnifique gazon qui pourrait faire pâlir de honte n’importe qu’elle jardinier anglais. Ce gazon résultait du fait que les troupeaux choisissaient ces grandes étendues plates pour passer la nuit.
Le jeu se pratique à mains nues et à deux équipes de cinq joueurs, chaque équipe étant composée d’un buteur et de quatre autres joueurs qui vont renvoyer la balle, après l’avoir réceptionnée. Nous n’allons pas nous étendre sur les règles et sur la pratique, seulement nous allons ajouter que ce jeu a connu des résurgences dans la vallée, cela notamment avec le jeu du Laxoa ou alors avec celui du Rebot.
Voyons maintenant un autre jeu, celui d’Urdanka, c’est à dire le jeu du cochon. Ce jeu aussi se pratiquait sur les pilotasoros mais le terrain avait une forme circulaire et avait en moyenne un diamètre de douze mètres. Au centre de ce cercle était creusé un trou de quelques centimètres de profondeur, à coté duquel se plaçait l’urdezaina qui était le gardien de la balle appelée urdia. Sur le cercle prenaient place des bergers, etxaiak qui faisaient aussi un trou et qui y plaçaient l’extrémité de leurs makilas. Urdanka nécessitait l’utilisation des makilas des bergers que ces derniers utilisaient comme des crosses. La position du perdant était celle d’urdezaina car il devait, pour laisser sa place, pousser urdia avec son bâton, à la façon d’un joueur de hockey sur gazon, afin de toucher l’extrémité d’un des makilas des etxais situé dans les trous périphériques. Bien sure cette explication ne montre pas les différentes interactions que l’on peut rencontrer avec Urdanka, cependant il faut souligner que ce jeu était intense et qu’il pouvait aussi s’avérer violent car les coups de makilas dans les jambes étaient monnaie courante.
Pour finir avec ce, jeu il faut dire que l’on retrouve des jeux qui s’apparentent à cette pratique dans différentes zones géographiques. Ainsi on retrouve un jeu très proche d’Urdanka en Bigorre, mais aussi en Bretagne, en Galice, et sur les Iles Canaries (Bien sure cela relève de mes recherches il est très possible de trouver d’autres endroits où ce pratiquait ce jeu).
En définitive il faut dire que ce travail qui traite des jeux de bergers pyrénéens, aurait pu être un inventaire complet de ces jeux. Il est vrai qu’avec le choix, délibéré, que nous avons fait, nous n’avons pas traité de jeux tels que le dressage des chiens de bergers, ou alors tous les jeux de forces pratiqués en Pays Basque, comme par exemple le lancer de barre à mine. Cependant un tel travail aurait demandé beaucoup plus de temps. De plus le choix de ces jeux a été dicté par le fait que ces jeux, tout en étant très particuliers, ont des similitudes avec des jeux pratiqués ailleurs qu’en Soule. Aussi ce travail permet de soulever certaines interrogations, comme le fait que sur des espaces géographiques très distants, et composés de populations différentes, l’on puisse retrouver des pratiques similaires. 1 Cf Ott, S. Le cercle des montagnes. Edition du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris. 1993. PP 148-149. 2 Cf Lefèvre (Th), Les modes de vie dans les Pyrénées Atlantiques Orientales, édition Armand Colin, Paris, 1933, p 57 3 Terme qui vient de l’espagnol vuelta, c’est à dire le tour car les bêtes faisaient tout les jours le même tour.