
Gaiak
Le pays basque et l’Europe
professeur émérite Histoire du Droit. Université de Pau et des Pays de l'Adour
«L’Europe se construit. Elle ne se réalisera que si elle tient compte de l’histoire, car aujourd’hui vient d’hier, et demain sort du passé », écrivait Jacques LE GOFF dans la préface du premier titre de la collection intitulée : « Faire l’Europe »..
Le recul historique permet, en effet, de suivre l’évolution de notre société, en particulier pour le sujet qui nous intéresse, depuis la renaissance du Droit romain et de la notion d’Etat, et la construction progressive des Etats en Europe, à partir du XIVème siècle en France, plus tard ailleurs. Les Etats se réalisaient alors en s’opposant les uns aux autres ; les guerres étaient facteur d’identification et de différenciation. Après des siècles de développement, ils parvinrent à leur apogée aux XIXème et XXème siècles. Ils amorcent désormais leur déclin. La disparition des frontières, l’avènement de la monnaie unique… sont des étapes vers la perte de leur souveraineté.
La construction européenne était jadis le fait des seuls gouvernants, intéressés par le territoire et non par les hommes qui y vivaient. Ces temps sont révolus. Les populations assujetties, de gré ou de force, ont pris conscience de l’impérialisme des Etats et se réveillent un peu partout en Europe, provoquant de nouvelles guerres non plus de conquête, mais de libération. Plus les Etats s’affaibliront, plus les minorités se réveilleront, car elles représentent les racines de l’Europe.
Ce ne sont plus aux politiques et aux technocrates à construire l’Europe, mais aux populations elles-mêmes. Elles seules sont aptes à produire un résultat adapté à leurs besoins et à leurs idéaux, donc sain et durable. Or elles ne sont pas prêtes, parce que pas préparées, tout particulièrement en France, modèle de l’Etat unitaire, où elles subissent le poids du passé.
En dépit d’une politique insidieuse tendant à l’unification et à la centralisation depuis le règne de Philippe le Bel, les rois de France, gardiens de la Justice, respectaient les situations légitimes et les droits, qualifiés de « privilèges », des provinces intégrées au domaine de la Couronne de France, au XVème siècle pour le Labourd et la Soule, au XVIIème pour la Basse-Navarre. Mais le peuple, ou du moins la minorité bourgeoise, instruite et militante, qui le représentait, s’empara du pouvoir en 1789 et la nuit du 4 août abolit les privilèges, dont les corps territoriaux et locaux. L’individu dont on consacrait les droits, devait être isolé en face de l’Etat, tout puissant. Le Comité de Constitution de l’Assemblée nationale, dominé par l’abbé Sieyès, conçut alors une réforme capitale d’unification, rationnelle et abstraite. Afin de supprimer tous les particularismes provinciaux, la France fut divisée en départements. Les anciennes patries provinciales, dont le Pays basque, devaient disparaître, fondues désormais dans la Nation française, une et indivisible. Cette réforme fut réalisée par une poignée de doctrinaires, sans consultation des populations locales, voire contre leur gré, comme en Pays basque où le Tiers état labourdin proclamait dans l’article 47 de son Cahier des doléances, se trouver « assez bien de ce régime. Ils craindraient d’en changer ». Les protestations du Biltzar restèrent vaines et les Basques durent se résigner à former avec le Béarn le département des Basses-Pyrénées.
Mais la Constitution civile du Clergé, votée le 12 juillet 1790, provoqua leur opposition à cette révolution qui avait supprimé leur autonomie. Les prêtres ainsi que, pendant les guerres de la Convention, de nombreux jeunes Basques, qui refusaient de servir dans l’armée républicaine, se réfugièrent en Espagne où certains émigrés « dégoûtés des excès révolutionnaires », rejoignirent la légion Saint Simon qui se battait contre l’armée française. La répression fut terrible (C’est le cas de le dire sous la Terreur ). « Les malheureux Basques furent persécutés avec une sorte de fureur », peut-on lire dans le rapport à la Convention du 4 juin 1795, du représentant en mission Chaudron-Rousseau.
On a occulté, par esprit républicain, l’opposition des Basques et de bien d’autres provinces à la Révolution, ce qui, avec la coalition des monarchies européennes contre le peuple français régicide justifiait, aux yeux des idéologues jacobins, la Terreur.
Même après la chute de Robespierre, la doctrine des Jacobins subsista, notamment l’unité de l’Etat républicain : une seule Nation, une seule patrie, unes seule langue, un seul droit. Les manuels scolaires furent refondus. Des instituteurs « français » furent envoyés dans les provinces rebelles, où l’on ne parlait pas français. Toute une mythologie de la Nation fut construite. Les historiens de la IIIème république qui voyaient la France comme la lumière du monde, élaborèrent un schéma du passé destiné à nationaliser les Français et à forger leur patriotisme. Les guerres de ces deux derniers siècles contribuèrent largement à cette conversion. Le schéma proposé n’hésitait pas à présenter l’origine de la France dans une Gaule mythique, ignorant le mélange des peuples et des cultures. On enseignait aux enfants basques ou bretons, comme aux antillais ou aux africains, « nos ancêtres les Gaulois !".
« Le mythe de l’origine gauloise française, un imaginaire inapte à reconnaître et comprendre la diversité culturelle, prompte à la xénophobie », écrivait Suzanne Citron dans un article intitulé « Dénationaliser l’histoire de France », dans Libération du 30 décembre dernier.
Obnubilée par le prestige dont elle jouissait au XVIIIème siècle et par les acquis révolutionnaires qui semblent aujourd’hui la paralyser, la France n’a guère évolué depuis. Or, ce Jacobinisme n’est plus défendable aujourd’hui. Nous ne sommes plus à l’heure d’une République cherchant à fonder sa légitimité sur l’identité nationale. Nous sommes à l’heure d’une Europe pluriculturelle où toutes les cultures ont leur place et où il ne doit plus y avoir de dominant et de dominé.
L’héritage de la Révolution et de l’Empire est un lourd handicap pour la France dans l’Europe qui se construit. La France a pris du retard sur les autres pays qui ont pu se développer en faisant l’économie d’une révolution et qui reconnaissent les minorités intra-étatiques : l’Allemagne et l’Autriche avec les landers, l’Italie, la Belgique, les Pays-bas, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Finlande, le Danemark…
Transcender le cadre départemental et dégager des entités régionales soulèvent des difficultés qui semblent insurmontables. Gaston Deffere fut le pionnier en 1982. Mais sa réforme fut trop timide et surtout mal accueillie par les Français, éduqués depuis Jules Ferry, de la maternelle à l’Université incluse dans un esprit jacobin. Point de droit comparé, point d’allusion aux identités régionales, soigneusement gommées des manuels… Les candidats qui présentaient au CNU, où j’ai siégé de 1981 à 1991, un dossier contenant des travaux d’histoire régionale étaient éliminés parce que « localistes »…
Une profonde réforme de l’enseignement et des mentalités est urgente si la France veut entrer dans l’Europe, la seule voie possible à l’heure actuelle. Il est important que la décentralisation devienne plus hardie si l’Etat jacobin veut se voir épargner les secousses inévitables des revendications régionales et identitaires qui se font de plus en plus pressantes, fortifiées par des exemples se manifestant dans des pays voisins et annonçant, en dépit de la volonté ou de l’aveuglement des technocrates, l’émergence progressive de l’Europe des régions.
Mais les régions telles qu’elles ont été conçues par Gaston Deferre, sont adaptées à l’esprit jacobin, mais non européen. Il s’agit d’une addition de plusieurs départements, alors que ceux-ci ont été conçus à l’origine pour détruire les provinces. Ces régions sont aussi artificielles que les départements ou les Etats. L’histoire enseigne que de telles régions sont vulnérables et insatisfaites . Elles souffrent d’un cruel manque d’adhésion de la part des citoyens. Elles ne peuvent donc qu’être éphémères.
Les véritables régions européennes sont formées selon des critères homogènes, qu’ils soient culturels, historiques ou économiques. Où est l’unité de l’Aquitaine ? Dans l’ancienne seigneurie d’Aquitaine, le duc vivait à Poitiers ; or le Poitou fait partie d’une autre région. L’Aquitaine n’est pas non plus un lieu de développent économique. La langue et la culture des Basques sont totalement différentes de celles des autres Aquitains. Il n’existe pas de lien qui unisse la Dordogne, la Gironde, le Lot et Garonne, les Landes et les Pyrénées-atlantiques ; et même dans ce dernier département aucun lien n’existe entre les Béarnais et les Basques. Un Basque du nord se sent beaucoup plus proche d’un Basque du sud qui a la même langue et la même culture, que d’un Bordelais ou d’un Palois… Où est en Aquitaine ce ciment culturel qui fait merveille dans les autres régions d’Europe ?
La communauté culturelle et historique du Pays basque de France n’est pas avec l’Aquitaine, mais avec le Pays basque d’Espagne. Les Etats-nations ont vécu. Les Nations ont vocation à se dissocier des Etats. A l’uniformité centralisatrice succèdera la diversité et la pluralité qui correspondent à une véritable démocratie, fruit de l’évolution des peuples. Ne lit-on pas dans le Traité constitutionnel européen : « L’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique ». Les Etats ne vont pas disparaître ; ils vont se transformer avec la reconnaissance des identités qui les composent. Ce sera alors la fin de l’impérialisme des Etats, constitués « à coup d’épées ». Tous solidaires. A l’époque de la mondialisation économique, les Etats ne sont plus concurrents, mais complémentaires. Point de dominants et de dominés. Vous allez penser que je rêve, comme Saint Augustin, à la Cité idéale… Il est vrai, qu’après des siècles d’uniformisation à la française, le chemin sera long, eu égard au conformisme des esprits, demeurés très jacobins en France (il suffit de voir les derniers sondages à propos du prochain referendum sur le Traité constitutionnel européen). Mais, sans être Madame Soleil, je pense que cette évolution est celle que nous enseigne l’Histoire.