646 Zenbakia 2012-11-14 / 2012-11-21

Gaiak

La Bastide Clairence, 700 ans d’histoire et de patrimoine

GOETZ, Marjorie



A début du Moyen-âge, la majorité de l’espace du territoire du Sud-Ouest de la France était vide de constructions et de cultures car le pays était recouvert de vastes forêts. Il a donc fallu trouver un moyen de fixer les populations sur ces terrains. En effet, les pouvoirs qui se mettent en place à l’époque prennent conscience qu’afin de garder des habitants sur un territoire donné il faut créer des villes neuves, à travers l’instauration d’un nouveau type de village. C’est ainsi que le phénomène des bastides est né. Ce type d’urbanisme, typique du Moyen âge, montre qu’à l’époque de l’émergence des bastides le développement d’échanges commerciaux à l’échelle continentale et la fonction commerciale située au c½ur d’une ville sont fondamentales. Les bastides révèlent aussi des innovations architecturales de par l’organisation et l’agencement du plan d’urbanisme —le dessin géométrique est largement visible à travers des photographies aériennes— mais aussi d’avancées sociales à travers la signature d’une charte de coutumes des futurs habitants de la bastide, leur permettant ainsi d’accéder à un statut d’homme libre. Ces villes qui sont gérées par la société civile mettent en pratique une rationalité de l’impôt et prévoient un encadrement juridique. Les bastides sont des villes administratives, judiciaires, fiscales voire militaires pour l’autorité souveraine mais elles sont aussi des centres agricoles de défrichement. Les bastides sont, par conséquent, des moyens modernes de contrôler un territoire. Chaque élément a joué un rôle important tel que la politique, la démographie et l’économie. Les bastides ont été créées dans le but de recueillir un surplus de population ; elles rendaient donc des services politiques et administratifs. Nous pouvons donc les qualifier de “petits lieux centraux” au c½ur de leur territoire. De plus, le fonctionnement de la société médiévale est un prémice de notre société actuelle avec des personnes libres de droit et qui vivent en harmonie, sans trop d’encombres.

La Bastide Clairence occupe une place stratégique du territoire car elle fortifie la frontière de la Navarre.

La Bastide Clairence, seule bastide du Pays Basque, n’échappe pas aux règles fondatrices des villes neuves. Créée en 1312 par Louis X le Hutin, cette bastide met en avant des caractéristiques particulières comme notamment son métissage culturel tant au niveau linguistique que patrimonial. En effet, cette mixité culturelle se remarque à travers les deux tendances architecturales prédominantes dans la bastide ; on peut voir d’une part la maison à pignon avec des colombages de couleurs vert ou rouge —identité culturelle locale basque— et d’autre part la maison navarraise rectangulaire avec une entrée principale cintrée. De plus, on peut y retrouver une place située au c½ur du village cernée par des arcades; il s’agit du pôle attractif de la ville au Moyen âge et encore de nos jours grâce à quelques commerces.

La Bastide Clairence respecte aussi un tracé architectural régulier fait sur le modèle gimontois, c’est-à-dire avec un axe principal au c½ur de la ville avec de part et d’autre des ilots d’habitations, le tout ressemblant au dessin d’une amande. L’aspect des bastides a beaucoup changé mais la plupart a conservé en commun un air de famille qui les identifie d’emblée et dont les composantes urbanistiques ou architecturales constituent ce qu’on pourrait appeler le cadre bâti des bastides. Leurs constructions sont des images spécifiques des bastides à travers le style, les matériaux et l’époque. Le tracé en constitue le patrimoine le plus précieux, patrimoine fragile car il n’est pas directement perceptible.

La Bastide Clairence occupe une place stratégique du territoire car elle fortifie la frontière de la Navarre. Elle se situe également à un point d’intersection de deux aires de civilisations, avec au nord des Pyrénées l’aire des bastides et au sud celle des villas nuevas1, cas particulier de l’Espagne. Au milieu de ces deux aires il y a la Basse-Navarre et La Bastide Clairence. La bastide s’est installée en force sur les terres de l’Arbéroue et a réglé les conflits liés à son installation après coup ; il s’agissait de conflits armés et de guerres de police. En effet, la bastide est un espace commercial concurrent dès lors d’Hasparren et un espace religieux avec la création d’une nouvelle paroisse alors que celle d’Ayherre existait déjà. Par ailleurs, le conflit entre ces deux paroisses fut le plus long de l’histoire de La Bastide Clairence. Le village est à la fois un marché et une juridiction qui permet un contrôle en profondeur notamment grâce à La Joyeuse, accès direct pour le commerce avec Bayonne.

La Bastide Clairence, seule bastide du Pays Basque, n’échappe pas aux règles fondatrices des villes neuves.

Un élément spécifique appartient à la bastide, celui des colonisations humaines. En effet, les premiers colons de La Bastide Clairence sont principalement de Gascogne et cela peut se voir dans les noms d’origine des premières familles résidentes. La bastide est donc un poste d’observation privilégié pour les linguistiques. De plus, il est important de noter que les personnes qui viennent vivre à La Bastide Clairence arrivent, pour la plupart, de très loin. Effectivement, la bastide est la seule à compter une si forte proportion d’habitants venant de loin, jusqu’à 100 kms à la ronde. C’est une des raisons pour lesquelles, le village de La Bastide Clairence est appelé un territoire “xarnégou”, un terme local qui désigne le métissage culturel.

Un grand nombre de bastides a perduré jusqu’à nos jours en se développant et en s’adaptant à notre époque. Les bastides sont des projets architecturaux modernes et novateurs. De plus, ces ensembles peuvent également mettre en avant des vestiges de remparts, places, couverts ou encore d’édifices religieux. Les bastides, qui occupent aujourd’hui encore une place importante dans le Sud-Ouest de la France, nous livrent de magnifiques vestiges qui ont plus de 700 ans d’histoire.

Les politiques menées envers ce patrimoine ont plusieurs objectifs. Elles consistent d’une part en la valorisation des biens par l’ouverture de la culture au public, notamment grâce à des actions d’animation des monuments ainsi que la promotion et diffusion des atouts culturels des sites mis en valeur. D’autre part, elles consistent en la préservation, c’est-à-dire conserver, entretenir, restaurer et transmettre les biens patrimoniaux aux générations futures. Tout cela répond à des enjeux d’ordres culturel, économique, touristique, pédagogique et social. Le grand engouement du public pour le patrimoine, et surtout le patrimoine qui l’entoure —le patrimoine de proximité— a engendré la multiplication de créations d’actions de valorisation menées par les agents du patrimoine.

Un élément spécifique appartient à la bastide, celui des colonisations humaines. En effet, les premiers colons de La Bastide Clairence sont principalement de Gascogne et cela peut se voir dans les noms d’origine des premières familles résidentes.

Néanmoins, afin de rendre accessible à toutes et à tous ce riche patrimoine venant du Moyen âge, il est nécessaire que la commune entretienne la bastide et qu’elle assure son devoir de mémoire. En effet, ce patrimoine qui est parvenu jusqu’à nous aujourd’hui est un précieux héritage du passé qu’il faut entretenir, conserver et valoriser. C’est pourquoi, depuis déjà de nombreuses années, la commune de La Bastide Clairence entreprend chaque année des travaux de réfection, restauration et réhabilitation des bâtiments historiques et des locaux municipaux. Parmi ses plus belles réalisations, nous pouvons citer le projet Barsacq qui a permis le développement touristique du village en facilitant la promenade des piétons, les travaux de l’église Notre-Dame de l’Assomption concernant le clocher et les ½uvres exposées dans celle-ci, la restauration de la chapelle Notre-Dame de Clairence et enfin la réhabilitation du trinquet de La Bastide Clairence, le plus vieux jeu de paume au monde datant de 1512. Par ailleurs, la commune a également voulu mettre en lumière sa riche histoire avec la mise en place de deux parcours de découverte du village à travers des éléments architecturaux et des bâtiments clefs du bourg. Il s’agit pour les touristes de faire une découverte historique, présentée dans un cadre de vie hors du commun et privilégié. Il est également important de noter que la présence des artisans au sein du village de La Bastide Clairence résulte d’un projet de revitalisation du bourg, mené depuis 1988, et qui a permis, entre autres, la réhabilitation de la maison et de la grange Darrieux en ateliers d’artistes.

Après avoir réalisé des actions d’études et de conservation d’un bien du patrimoine, il convient ensuite de valoriser l’objet en le faisant connaître et en le rendant accessible au grand public. Pour cause, la restauration d’un bien du patrimoine permet de le réintroduire dans un circuit économique et facilite son appropriation par les habitants. Il s’agit d’un héritage du passé qu’il faut rendre à nouveau dynamique et adapter au présent.

Par ailleurs, 2012 est l’année de la célébration du 7ème centenaire du village. Cette commémoration de la naissance de La Bastide Clairence est importante car il s’agit de l’un des rares villages dont on ait trace de l’acte de naissance précisément. La Bastide Clairence est sans aucun doute la bastide la mieux documenter et cela grâce aux archives de Pampelune et aux documents royaux. Le projet de célébration a été lancé en 2009 par une commission municipale qui a choisi d’opter pour une formule “participative”, c’est-à-dire ouverte à tous les bastidotes et bastidots. La volonté était d’inviter chacun à s’exprimer sur la manière dont le village pouvait célébrer cet évènement et ainsi de recueillir les desirata des villageois. Durant cette période, les bastidots se sont rencontrés, ont échangé et partagé leurs idées.

Cela s’est révélé être une véritable expérience d’animation qui a permis l’émergence de nombreux projets et actions qui s’organisent aujourd’hui autour d’un pôle “Histoire et Patrimoine” et d’un pôle “Création Contemporaine”. Ainsi, ces deux champs d’actions ont permis la création d’animations liées à la restitution historique —récit de l’histoire de la bastide et de ses habitants— à l’investissement artistique des artisans de la bastide grâce à la création d’½uvres en lien avec la cérémonie et enfin à la mise en place d’actions plus spécifiquement portées par la commune avec notamment l’inventaire des archives, la collecte du gascon “bastidot” et l’édition d’un ouvrage. Ces actions culturelles se déroulent tout au long de l’année mais une priorité est mise sur la période estivale afin de faire découvrir le village à un grand nombre de visiteurs venus parfois de loin.

La bastide est un espace commercial concurrent dès lors d’Hasparren et un espace religieux avec la création d’une nouvelle paroisse alors que celle d’Ayherre existait déjà.

Ce petit village du Pays Basque a donc parfaitement réussi le défi de la célébration de son 7ème centenaire. Il n’a pas hésité à faire appel à des partenaires locaux, régionaux, nationaux et européens afin d’obtenir des aides financières pour la réalisation de tous les projets envisagés. Toutes les animations qui ont déjà eu lieu au sein de la bastide ont été une réussite comme par exemple les conférences ou l’installation des extraits de la charte de coutumes dans des endroits clefs et évocateurs de la ville.

Les actions de promotion et de diffusion mises en place par les différents acteurs culturels ont permis le rayonnement du patrimoine des bastides. Elles deviennent un lieu d’échanges et de rencontres et permettent un développement des vecteurs économique, touristique et local. Ainsi on peut dire que la valorisation d’un patrimoine répond à de multiples enjeux d’ordres culturel, pédagogique, économique, touristique et social. La mise en valeur du patrimoine passe aussi par l’action d’accueil, d’encadrement et d’animation par des agents du patrimoine tant institutionnels que bénévoles. Les diverses manifestations effectuées répondent donc à l’intérêt du public. Ce mélange de civilisations, d’architectures et de folklores laisse une empreinte culturelle on ne plus riche et variée à La Bastide Clairence.

Le riche patrimoine architectural des bastides et notamment de La Bastide Clairence intéresse de nos jours de plus en plus de personnes. Pour cause, les maisons côte à côte sont économes en espace, c’est de ce point de vue un aménagement durable du territoire qui interpelle aujourd’hui architectes et urbanistes.

Qu’ils soient publics ou privés, tous les biens patrimoniaux ont une valeur pour les collectivités. Cette valeur était par ailleurs évoquée par Victor Hugo en 1832 lorsqu’il soulignait les intérêts historiques d’un édifice “son usage et sa beauté”. L’usage appartient au propriétaire tandis que la beauté appartient à tous.

1 Les villas nuevas sont bien antérieures aux bastides et s’étendent sur une longue période qui va du XIIème au XVème siècle.