563 Zenbakia 2011-01-21 / 2011-01-28
Dans la cours d'une ferme d'Amendeuix-Oneix, un paysan tient son attelage de vaches lié à une charrette. Derrière, des ouvriers de la coopérative Lur Berri décharge des sacs. Source: Activités en Pays Basque, n°175, septembre 1964.
Dans un Pays Basque qui désire miser sur une agriculture de qualité à forte valeur ajoutée, pourvoyeuse d’emplois et respectueuse de l’environnement, le canton de Saint-Palais semble prendre le contre-pied de ce mouvement. Pourtant, tête de pont des mutations agricoles des trente années d’après-guerre grâce à de profonds changements effectués dans les structures et les méthodes de production, la sphère agricole de ce territoire a été porteuse de foisonnantes innovations.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture est l’activité principale du canton de Saint-Palais. Bien que certains progrès soient perceptibles depuis le milieu du XIXe siècle, l’agriculture conserve dans l’ensemble des méthodes de production routinières. On peut parler d’agriculture vivrière dans la mesure où les échanges sont limités à une zone géographique restreinte. L’organisation agraire est marquée par une forte pression nobiliaire et bourgeoise dans la partie plaine du canton. Cela se traduit par l’importance du système du métayage qui par sa précarité économique et social freine le développement des campagnes. Soixante cinq ans plus tard, les agriculteurs sont minoritaires dans la société, les structures agraires sont transformées et les productions immensément plus importantes. L’agriculture est entrée dans la marche de la mondialisation. Cette comparaison entre 1945 et aujourd’hui est révélatrice de mutations profondes qui méritent qu’on s’y attarde.
Bénéficiant d’une bourse de soutien à la recherche d’Eusko Ikaskuntza et de la Ville de Biarritz et menée dans le cadre d’un Master 2 d’histoire, cette étude souhaite dégager les dynamiques de modernisation de l’agriculture dans le canton de Saint-Palais depuis 1945 ainsi que les acteurs et les structures ayant contribué à ces changements.
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En 1945, l’agriculture du canton de Saint-Palais est certes confrontée à de fortes résistances aux changements mais quelques progrès sont perceptibles depuis le milieu du XIXe siècle. Le système de production agricole dans la région de Saint-Palais est largement basé sur des petites et moyennes exploitations associant polyculture et élevage. L’essentiel de la production est destiné à satisfaire les besoins de la famille et à faire tourner l’unité de production. Les méthodes d’exploitation sont encore routinières et l’amendement des champs se fait principalement à partir du fumier organique. L’importance des modes d’exploitations indirects tels que le métayage n’encourage pas au changement. Néanmoins, derrière une apparente léthargie, l’agriculture s’infléchit vers une certaine spécialisation, l’approvisionnement et l’écoulement s’améliorent et l’outillage se perfectionne.
Inauguration du premier silo à blé par Philippe Olmi, secrétaire d’État à l’Agriculture, le 21 juillet 1953. Source: Activités en Pays Basque, n°175, septembre 1964.
Les trente années après-guerre sont une période de mutations profondes pour le monde agricole. Entre 1955 (date du premier Recensement Général Agricole) et 1979, le canton perd quasiment le quart de ses exploitations. Leur surface étant absorbée par les exploitations restantes, ces dernières augmentent leur superficie de 5 hectares en moyenne passant de 19 à 24 hectares. Mais au-delà de la disparition d’exploitation, ce sont les personnes vivant de l’agriculture qui subissent une baisse plus brutale : entre 1954 et 1982, les actifs agricoles passent de 4010 à 1282, soit une perte de deux sur trois en une génération (principalement due au départ de l’exploitation des aides familiaux). L’arrivée des machines, des tracteurs et des nouvelles méthodes de production ont largement contribué à cette perte mais la généralisation de l’Indemnité viagère de départ a sans doute aussi participé à ce phénomène. Les transformations agricoles touchent également les régimes d’exploitation avec l’abandon du métayage au profit du fermage et du mode de faire-valoir direct, ce dernier se transformant en un mode plus complexe : le propriétaire-fermier. Les landes et les friches utilisées pour le libre parcours des bêtes et l’amendement des terres ne se justifiaient que dans le système traditionnel. Les perspectives de profits tirés de la transformation de ces terres incultes en culture ou en prés amènent peu à peu les communes à lancer des opérations de défrichement et de remembrement. Arbouet-Sussaute devient la première commune du département à conduire ces travaux d’une telle ampleur : après les défrichements débutés dès 1961, elle procède à un remembrement couvrant 1243 ha soit une superficie 30 % supérieur au total des étendues déjà remembrées dans le département depuis 1949. D’autres communes prennent le pas et se lancent dans ces opérations : Labets-Biscay (845 ha), Orègue (3 788 ha) et Béhasque-Lapiste (800 ha). Le canton de Saint-Palais se présente ainsi comme un canton pilote pour le département. Avec 6 600 ha, à la fin de l’année 1976, les surfaces remembrées dans le canton constituent près du quart de celles du département.
Inauguration du deuxième silo à maïs, de l’usine d’aliments pour le bétail et de l’adduction d’eau par Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture, le 24 juin 1963. Source: Activités en Pays Basque, n°175, septembre 1964.
Concernant les productions, l’orientation des exploitations vers l’élevage bovin et ovin observable depuis le XIXe siècle s’accentue fortement durant les décennies d’après-guerre. Les élevages font l’objet de spécialisation de plus en plus poussée. Mais, le canton de Saint-Palais et principalement la dépression du bray est surtout caractérisé par sa production céréalière. La culture du blé n’a cessé de diminuer au cours de la période 1950-1980 au profit de celle du maïs plus adaptée au printemps et été pluvieux mais surtout plus rémunératrice. En 1970, la surface cultivée en maïs représente les trois-quarts de la surface totale cultivée en céréales et en 1979, elle atteint presque les 80 %. La diffusion du maïs hybride a permis aux exploitants d’augmenter considérablement leurs rendements et le canton s’est aussi très tôt positionné dans la production de semences de maïs.
Les structures agricoles mises en place par l’État (notamment la Chambre d’agriculture, le Crédit agricole et la SAFER) ainsi que le mouvement coopératif local existant dans le canton dès l’entre-deux-guerres a permis d’intégrer le secteur agricole dans l’économie de marché. Le rôle joué par la Coopérative de céréales du Pays Basque (créée en 1936) et la Coopérative agricole d’approvisionnement de Basse-Navarre (créée en 1947, succédant au Syndicat agricole de Saint-Palais constitué en 1920) a été central dans les trois décennies après-guerre dans le processus de modernisation du monde agricole.
Le char des jeunes d’Amikuze lors de la Fête de la Terre à Ustaritz le 22 septembre 1957. Source: Bulletin intérieur de liaison des organisations professionnelles agricoles de la région de Saint-Palais, janvier 1958, n° 31.
A partir des années 1950, une nouvelle génération d’agriculteurs animés par l’esprit de l’Eskualdun gazteria (Jeunesse Agricole Catholique) et du syndicalisme a été amenée à prendre en main les structures agricoles pour les porter au service des agriculteurs. La démocratisation de l’enseignement agricole a accéléré la vulgarisation des techniques, tout comme le travail des conseillers et des revues des coopératives. L’histoire récente du canton est également marquée par l’½uvre politique et économique de Jean Errecart, au sein des coopératives agricoles tout comme dans l’aménagement et le développement rural d’Amikuze. En favorisant l’action intercommunale, Jean Errecart a permis à ce territoire de se doter d’établissements d’enseignement agricole, de la clinique Sokorri dont l’organisation est inédite et de nombreux autres équipements ruraux en vue d’offrir un panel de services et de réduire ainsi l’exode.
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Les années 1950-1980 marquent ainsi la fin d’un système traditionnel : les métayers ont complètement disparu, les méthodes de productions routinières ont laissé place à des techniques considérées comme modernes et les paysans sont devenus exploitants et entrepreneurs agricole. Ils prennent désormais en charge de nouvelles responsabilités dans les organismes agricoles.
Opération de défrichement à Arbouet-Sussaute. Source: Activités en Pays Basque, n°175, septembre 1964.
Les années 1980 marquent par contre le début d’un double phénomène. Premièrement, on constate un renforcement du modèle d’après-guerre avec des productions de plus en plus spécialisées tournées vers l’industrie agro-alimentaire. 30 % des exploitations disparaissent entre 1980 et 2000 tandis que la SAU augmente de 2 ha en moyenne dans les années 1980 et de 10 hectares la décennie suivante. Les surfaces en maïs grain et semence croissent entre 1980 et 2000 de 3 ha en moyenne par exploitation. Le nombre de bovins augmente de moitié durant la même période alors que le nombre d’éleveurs baisse de 40 %. Les élevages de brebis, concentrés au Sud du canton, connaissent une très forte progression comme à Uhart-Mixe et Orsanco où leur effectif augmente de 72 et 75 %. La création de l’AOC « Ossau Iraty » et la diffusion du matériel de traite depuis les années 1980 a permis le développement de la filière ovine. Enfin, la spécialisation des élevages se confirme également avec les productions porcine et avicole. Néanmoins, on observe d’autre part un renouvellement des activités de l’agriculture avec la mise en place de productions nouvelles, des procédés de transformation et commercialisation originaux ; mais ces derniers demeurent malgré tout assez rares dans le canton. Depuis les années 1980, une douzaine d’exploitations dans le canton se sont orientées vers de nouvelles activités agricoles. La nécessité s’imposait pour ces petites exploitations de trouver des solutions afin de se maintenir. La faiblesse de leur structure ne leur permettait pas de rivaliser avec celles ayant déjà intégré l’économie de marché. Sortir du système, inventer et innover, telles ont été les solutions adoptées par ces agriculteurs. On a ainsi l’exemple d’un producteur à Domezain-Berraute qui s’est lancé dans la production de foie gras de canards en 1989 dans une démarche de vente directe. Il vend ses produits sous la marque collective Idoki, mise en place en 1992. A Amendeuix-Oneix, un agriculteur a installé une salle de transformations de lait en fromage de brebis. Ces parcours sont marqués par la volonté d’innover et donc de moderniser une exploitation. Ils se rendent compte que le marché économique et son organisation leur ont enlevé toute liberté dans la mesure où ils ne contrôlent plus les tenants et les aboutissants du système. Il est urgent pour eux d’évoluer vers un autre modèle leur permettant de récupérer les profits engendrés par la vente.
Le premier silo de la Coopérative de Céréales du Pays Basque. Source: Activités en Pays Basque, n°175, septembre 1964.
Au Pays Basque, la prise de conscience d’une impasse du modèle agricole d’après-guerre est ancienne. En zone défavorisée de montagne, une prise de conscience s’opère à travers la promotion du lait de brebis. Par une politique de maintien d’exploitations, une valorisation des produits laitiers doit permettre de concilier besoins économiques et conservation de la population rurale et agricole. C’est sur ce terreau fertile que les idées émergées au début des années 1970 trouvent racine autour du syndicat ELB fondé en 1982. Largement accompagnées d’une rhétorique de la paysannerie, les idées qu’il véhicule peuvent être perçues comme une remise en cause des progrès enregistrés. Or, dans la pratique, le type d’agriculture qu’il préconise est le déclic pour d’innombrables innovations, elles-mêmes porteuses de progrès. Les associations et les groupements de producteurs deviennent des acteurs incontournables de ce mouvement.
Dans les années 1980, un foisonnant dispositif d’associations se met en place dans une double dynamique de maintien de la population agricole et de promotion d’une agriculture de qualité. Dès 1979, l’annonce d’une expulsion d’un exploitant en fermage suscite la création d’un Groupement foncier agricole mutuel (GFAM) « Lurra » pour le rachat des parts de l’exploitation. L’Association de formation à la gestion (AFOG) contribue depuis 1983 à l’organisation de formations et de solutions de projets pour permettre aux agriculteurs d’acquérir une certaine maîtrise de leur exploitation. En 1989, l’Association des producteurs fermiers du Pays Basque (APFPB) se forme autour d’un groupe d’une trentaine de fermiers soucieux de développer une « qualité fermière ». Ils mettent en ½uvre une marque collective « Idoki » —« carte sur table » en basque—; afin de promouvoir les produits transformés sur l’exploitation et vendus en filière courte directement au consommateur. En 1992, une Fédération pour un nouveau développement rural « Arrapitz » est constituée autour des structures associatives et coopératives récemment créées afin de « donner plus de cohérence à leurs projets, de partager leurs compétences et de favoriser les initiatives ». Son action s’inscrit dans un processus de recherche, d’expérimentation et de mise en ½uvre d’opérations de développement structurantes pour le Pays Basque intérieur. Son tissu associatif est riche de 800 exploitations adhérentes.
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Ainsi, une première modernisation du monde agricole a eu lieu dans les décennies d’après-guerre et ce modèle prévaut dans le canton jusqu’à aujourd’hui. Cependant, d’autres formes d’activités agricole se sont développées depuis les années 1980 et qui laissent entrevoir une seconde modernisation basée sur des circuits de commercialisation courts, des activités touristiques et des transformations dans l’exploitation-même. Ces démarches correspondent à de nouvelles attentes de la population en matière de qualité des produits, mais aussi de respect de l’environnement et d’entretien des paysages.