486 Zenbakia 2009-05-15 / 2009-05-22

Gaiak

Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (I / III)

DICHARRY, Eric

Doctorant en anthropologie



Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (II / III)

Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (III / III)

Il pourrait paraître dans un premier temps incongru voire inutile de passer une heure à disserter de l’art contemporain si nous nous faisions écho des arguments employés par les adversaires de cet art. En effet comme le note Yves Michaud dans son ouvrage consacré à la crise de l’art contemporain les adversaires le considèrent comme nul, incompréhensible, sans talent, truqué, asservi au marché, indûment subventionné par l’Etat, soutenu par les institutions, produit d’un monde de l’art coupé du public.

Alors, il serait légitime que vous me demandiez à quoi bon donner une conférence d’une heure sur cet art inutile ?

Ma réponse est simple. Si nous nous intéressons aujourd’hui à cet art contemporain basque c’est parce que nous considérons à juste titre que cet art est révélateur de la société dans laquelle il s’exprime. En prenant des exemples puisés dans les créations artistiques en ce début de XXIème siècle auprès d’artistes tels que Clement Bernad et Khuruts Begona nous interrogerons l’autonomie du champ artistique vis-à-vis du champ politique. En faisant référence à des ¦uvres qui font polémique nous rendrons manifeste les tensions perceptibles au niveau de la société basque.

“Pescadora”, Alberto Arrúe.

En guise d’introduction nous voudrions ici nous démarquer clairement des analyses de Michelle Vergniolle-Delalle, spécialiste en histoire de l’art contemporain qui se livre dans son ouvrage « Peinture et opposition sous le franquisme » à une critique acerbe du concept d’art basque.

L’auteur s’interroge sur l’art basque en niant son existence en déclarant :

«Mais qu’est-ce que l’art basque ? (¦) Comment être basque en art, alors qu’on ne peut s’appuyer sur aucune tradition, aucun mouvement artistique de grande envergure, ni le roman, ni le gothique, ni le mozarabe, ni le baroque ne s’étant jamais développés de façon exemplaire dans cette région ?» (Vergniolle-Delalle, 2004, p 340).

L’historienne semble passer sous silence volontairement ou involontairement par simple ignorance un grand nombre d’artistes comme ceux étudiés par Izmael Manterola dans son histoire des courants artistiques au Pays Basque qui étudie de près la naissance de l’art moderne basque à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Nous vous renvoyons donc ici au travail de Manterola pour obtenir des informations sur les artistes basques Alberto Arrue, Aurelio Arteta, Angel Larroque, Pedro Gimon, Valentin et Ramon Zubiaurre, Juan Etxebarria, Antonio Guezala, Quintin de Torre, Julian Tellaetxe, Gustavo Maeztu.

Comment Michelle Vergniolle-Delalle pouvait-elle passer sous silence le travail de peintres comme Antonio Lecuona (1831-1907), Ignacio Zuloaga Zabaleta (1870-1945) ou encore d’un Adolfo Guiard (1860-1916) pionnier dans la modernisation de la peinture basque ?

Mais bien avant cet art moderne les basques possédaient déjà des pratiques artistiques comme le note Juan Plazaola Artola qui repère l’art basque « dans sa culture des stèles funéraires, dans la taille de ses coffres, dans la forge, dans ses croix ». ( J.Plazaola Artola, Euskal Artearen Historia, ostoa.com).

De l’art funéraire et lapidaire à l’art moderne, un art basque a bien existé au Pays Basque encore aurait-il fallu que Michelle Vergniolle-Delalle puisse s’intéresser à la culture basque sans faire preuve d’un aveuglement excessif plus préoccupée qu’elle était de mettre en exergue les relations existantes entre l’art basque et le nationalisme que de s’intéresser à l’art basque pour lui même.

Laissons ici ces débats pour nous consacrer pleinement au sujet de la conférence qui nous réunie aujourd’hui à savoir l’art contemporain basque au XXIème siècle.

Même si la tentation est grande de préférer l’expression d’ « art actuel » à celle d’art contemporain, nous conserverons cette dernière pour sa fonction labelisante tirée de sa modalité géographique comme d’autres, par ailleurs utilisent les expressions art contemporain australien, art contemporain latino-américain, art contemporain africain. Le Pays Basque et ses artistes participant à l’extension multiculturelle de l’offre et à la mondialisation de la scène artistique et à la globalisation du marché. Les artistes basques participent eux aussi à ce qu’il est commun de nommer les « nouveaux gisements artistiques » (Moulin, 2003, p 103).

“La chica del burro”, Aurelio Arteta.

Cette définition sera basée sur une périodisation (la période qui nous intéresse sera le début du nouveau millénaire) tout autant que sur la caractérisation esthétique des ¦uvres. Les spécialistes de l’histoire de l’art ne s’accordent pas pour situer la naissance de l’art contemporain. Pour certains il remonte à la fin de la seconde guerre mondiale alors que pour d’autres celui-ci se situe dans la décennie 1960-1969.

«L’adjectif contemporain est ici ambigu: il désigne à la fois une période dans l’histoire, grosso modo le 20e siècle et un type d’art particulier, l’art abstrait, dont on présume qu’il caractérise notre époque comme l’impressionnisme a caractérisé l’époque antérieure».

Pour Marc Jimenez, l’auteur de l’ouvrage intitulé La querelle de l’art contemporain publié chez Gallimard en 2005 dans la collection Folio essais : « Tracer une frontière nette entre l’art moderne et contemporain est illusoire » (Jimenez, 2005, p 68), car nous assistons à l’effondrement de la conception linéaire de l’évolution de l’art, incapable nous dit Jimenez de « résister à la fin de l’unité des beaux-arts, à la riche diversité des matériaux et des pratiques artistiques et surtout à leur extrême hétérogénéité ». (Jimenez, 2005, p70).

Toujours pour Jimenez, « est dit contemporain un type d’art qu’on ne peut assimiler à aucun des mouvements et courants antérieurs à la modernité ou aux avant-gardes de la fin des années 60 » (Jimenez, 2005, p71). Dès lors, l’art qui s’impose dans les années 80 sous le qualificatif de contemporain tente de se définir sans référence explicite au passé. Il n’y parvient pourtant pas totalement. Pour Jimenez, « les ¦uvres antérieures aux années 60 ont très rarement leur place dans les lieux consacrés à l’art contemporain. Le renouvellement, l’appropriation, l’hybridation, le métissage des matériaux, des formes, des styles et des procédés, (¦) la recherche de la nouveauté, de l’imprévu, de l’incongru, l’intention de provoquer, de choquer, de transgresser définissent cet art qui suppose l’adoption d’attitudes, de postures artistiques où les concepts, les mots et les discours tiennent une place importante surtout lorsqu’il y a peu ou rien à voir, à sentir ou à toucher » (idem, pp 152-153).

La difficulté de toute définition nous la retrouvons sous la plume de la sociologue Raymonde Moulin pour qui il n’existe pas « de définition générique du terme contemporain appliqué au champ artistique en raison du fait que la fin de la modernité et des avant-gardes rendait cet enjeu ambigu car un grand nombre de cellules de création font coexister des styles ou des exercices artistiques d’origines historiques et géographiques diverses ».

Nous reprendrons par commodité, pour cette conférence, la définition qu’en donne la curatrice, directrice artistique de l’exposition « Chacun à son goût » Rosa Martinez. Organisée à l’occasion de l’anniversaire des dix ans de l’ouverture du Musée Guggenheim à Bilbao l’exposition est destinée à encourager la créativité d’artistes basques contemporains. Selon Rosa Martinez, ces artistes appartiennent au panorama de l’art du Pays Basque tantôt « parce qu’ils s’y sont formés, tantôt parce qu’ils ont consolidé leurs trajectoires artistiques au Pays Basque ».

“La chica del gato”, Ángel Larroque Echevarría.

Les préoccupations des artistes ne sont plus aujourd’hui centrées autour de ce qu’il est possible de représenter et comment. L’art contemporain propose désormais des modèles vitaux d’expériences afin de favoriser la communication et d’activer la communication en vue de provoquer une prise de conscience. L’artiste n’est plus producteur de beauté mais créateur de formes quelles qu’elles soient, ces formes instituant un échange social par l’intermédiaire de l’émotion ou de la réflexion. L’artiste sert de relais entre la société civile et le pouvoir politique. Pour ce faire, il devient transdisciplinaire et utilise toutes les techniques dans les expositions, sons, lumières, films, images qui viennent appuyer gestes, danses et déclamations. Les artistes travaillent dans plusieurs domaines à la fois, le cinéma, l’architecture, la scénographie, la danse, les nouvelles technologies de la communication.

Le début du XXIème siècle est le temps de l’interactivité. Les artistes utilisent les nouvelles technologies afin d’une part de modifier leurs rapports avec le public et d’autre part de promouvoir leurs réalisations. Le XXIème siècle est une période d’uniformisation dans l’art contemporain comme le note Pierre Gaudibert, ancien conservateur au musée moderne de la Ville de Paris. Selon Gaudibert, un « art contemporain international » a été constitué à partir d’un système de sélection, de promotion, de commercialisation impliquant bien des acteurs et des musées ce qui a eu comme résultat de retrouver « les même produits à l’identique dans toutes les collections et musées ». A ce pessimisme affiché répond l’optimisme de curators comme Harald Szeemann, responsable de la sélection de la Biennale de Venise et de la Documenta de Cassel qui sont les deux évènements les plus marquants pour l’art contemporain international. Selon Szeemann, la création mondiale suscite un nouvel optimisme, « je le vois en Amérique, en Europe, et sur tous les continents, il y a dans cette énergie beaucoup d’espoir ».

Ce qui paraît indubitable c’est le foisonnement de l’art au XXIème siècle. Les artistes ont modifié leurs postures. Comme le note Richard Leydier :

«Il n’y a sans doute jamais eu autant d’artistes, ni d’expositions et de lieux consacrés à l’art. On a jamais imprimé un si grand nombre de catalogues, ni écrit autant d’articles sur l’art vivant». (Leydier, 2005, p307)

De marginaux critiques, les artistes jouent désormais la carte de l’intégration à la société et aux structures de pouvoir. Dans son ouvrage intitulé art tomorrow, Edward Lucie-Smith résume bien cette réintégration des artistes par la société.

«Since the first public appearence of Modern Movement the irruption of the artists of the Fauve group into the Salon des Indépendants of 1905 the perception has been that contemporary art and the great mass of society surronding it are always and irrevocably opposed; that progressive art protest against the sensibility of a complacent bourgeoisie; and that official institutions exclude or persecute experimental artists. One cannot plausibly make that claim today. Since the middle of the 20th century there has been huge growth of events that celebrate contemporary art and make available to a mass public» (Lucie-Smith, p 8, 2002).

Nous assistons à la multiplication des centres d’art contemporain, des musées en nombre et en taille et le Pays Basque, je veux ici parler des quatre provinces Sud, n’échappent pas à cette tendance avec en 1997 la création du Guggenheim Bilbao par l’architecte Frank O. Gehry ou encore l’inauguration le 26 avril 2002 du centre d’art contemporain basque Artium dans la capitale de la communauté autonome basque Vitoria/Gazteiz. La popularité de ces institutions et leur capacité à attirer un nombre très important de visiteurs indique une volonté politique de la classe dirigeante pour que l’art contemporain occupe une position de plus en plus centrale dans la société. Cette préoccupation nouvelle du politique à l’endroit de l’art contemporain tenant au rôle de ce dernier comme véhicule de la compétition culturelle. Comme le note Edward Lucie-Smith : «Nations feel diminished if their artists are not among the most prominent and discussed of their time» (Lucie-Smith, p13, 2002).

“Café holandés”, Ramón de Zubiaurre Aguirrezabal.

En ce sens, en France, la création récente par le Président de la République Nicolas Sarkozy d’un Conseil pour la création est symptomatique de l’attitude des politiques vis à vis de la création artistique.

Certains analystes considèrent qu’avec l’avènement des nouveaux moyens de communication l’idée d’un seul centre culturel dominant est devenue obsolète. D’autres observateurs constatent que Paris qui était la capitale des arts plastiques jusqu’à la seconde guerre mondiale à laissé sa place de leader à d’autres mégapoles New York, Londres ou Berlin.

Le gouvernement basque avec le musée Guggenheim a permis au Pays Basque de s’inscrire sur la carte mondiale de l’art contemporain avec les retombées économiques d’une telle inscription. Mais ces calculs politiques concernant une possible rentabilité des investissements dans l’art contemporain s’ils pouvaient s’avérer payant dans un contexte économique à forte croissance semble bien devoir aujourd’hui être remis en cause dans une situation de crise telle que la connait actuellement la communauté autonome. De plus il est important de s’interroger sur la réalité d’une émancipation de l’art contemporain basque à travers ces nouvelles créations d’institutions. En d’autres termes la création d’un musée tel que le Guggenheim à t-il véritablement permit de servir la promotion des artistes basques ou a-t-elle parachevé une hégémonie d’artistes américains déjà positionnés en tant que leaders sur la scène internationale.

Cette hégémonie n’avait pas échappé au gouvernement français qui en 2001 sollicitait une enquête sociologique à un chercheur du nom d’Alain Quemin. Les résultats n’étaient en rien une surprise. Ils notaient en guise de conclusion que sur une centaine d’artistes considérés comme les plus populaires dans le monde de l’art contemporain, 34 % étaient Américains, 30% Allemands, 7,5 % Anglais et seulement 4 % Français. Si je cite ici ce rapport c’est pour mieux souligner l’hégémonie de quelques nations et la place restreinte de celle du Pays Basque sur cet échiquier international. L’édification du musée Guggenheim ne changerait rien à la donne.

Le Musée Guggenheim a part ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques. On citera ici les thèses de Paul Virilio et d’Enrico Baj pour qui le Guggenheim représente pour notre époque « la principale réalisation de l’art officiel, celle que j’ai définie comme optically correct ». Il est l’art officiel de la technoscience (¦) ». (Virilio, Baj, 2003, p 28). Pour les auteurs la publicité est la forme initiale de l’optiquement correct (p 26) et ils critiquent les collusions entre art contemporain et monde publicitaire.

«L’image correct elle qui est fabriquée par le système dans ses cathédrales et dans les palais du pouvoir, les musées dans le cas de l’art. Les images doivent être efficaces. Nous avons là une sorte de Darwinisme des images, qui est celui qu’impose la publicité : les images doivent être productives, efficaces pour la marque. Le langage politiquement correct est donc passé dans l’image, dans l’optique. Ce concept d’une optique correcte parce qu’efficace est une dérive qui peut mener à la disparition de la peinture, du dessin et de la gravure». (idem, p 19).

Peinture et dessin seraient remplacés par l’art du moteur (photographie, cinéma¦) symbole d’un art officiel devant lequel s’établit la procédure du consensus, de l’obéissance et du silence et qui ne laisse pas de place aux débats et ou les responsables du monde de l’art (directeurs de musées, commissaires d’expositions) ne veulent pas parler de polémiques. Ce consensus serait préservé pour conforter les spéculations du monde du marché de l’art ou «un publicitaire peut transformer n’importe qui en artiste capable de vendre une photo pour des millions». (idem, p 15).

“Eva”. Gustavo de Maeztu Whitney.

Le Musée Guggenheim de Bilbao participerait à cette édification de l’art officiel, du musée global, de « musées vides » (idem, p 43), un prototype du musée avec peu de murs, qui en dépit de ses vastes dimensions, abrite en fait très peu d’¦uvres. Pour Paul Virilio et d’Enrico Baj nous sommes dans un cercle vicieux : les puissances économiques, en se servant de leurs fondations, collections et maisons de vente aux enchères, veulent désormais aussi régenter la mondialisation de l’art. Le Guggenheim est désormais armé d’une politique multinationale avec un réseau de niveau mondial. Les auteurs du discours sur l’horreur de l’art considèrent que le public n’a aucun accès au contrôle des fonds, des sponsors et de toute l’idéologie de l’art officiel. «L’art, comme tout de nos jours, devient affaire d’experts, cependant que les autres sont exclus, ils ne peuvent participer qu’à des visites guidées, pour se tenir au courant». (idem, p 18-19).

Dans ces nouvelles conditions, les artistes se conforment aux «visions et aux habitudes instituées, ils sont conduits à ne pas trop dévier de ce qui a été reconnu par les critiques, les collectionneurs, les responsables de galeries et de musées» (Richard, 2002, p 233).

Les artistes basques ne semblent pas échapper à cette tendance internationale qui consiste pour les créateurs à planifier les carrières de façon stratégique naviguant entre bourses, prix, galeries, centres d’art, musées, associations, publications dans les revues plus ou moins spécialisées, apparition dans les médias. Sur un marché de l’art de plus en plus concurrentiel avec une démultiplication des ¦uvres et des créateurs, l’artiste se « normalise », il doit organiser son existence d’artiste comme une « profession normale » comme le souligne le critique suisse Mark Siemons spécialisé sur les relations entre l’économie et la culture. C’est cette même constatation qui résume la position de Dominique Baqué pour qui : «c’est la première fois, sans doute, dans l’histoire de l’art moderne et, plus encore, des avant-gardes, que l’art ne conteste pas le modèle économique dominant, à savoir le capitalisme, mais tente à l’inverse d’en épouser les lois de fonctionnement». (Baqué, 2004).

Derrière un discours d’autorité omniprésent proclamant la nécessaire nature critique de l’activité artistique se cache selon Baqué une impuissance inopérante. Face à un monde chaotique en crise et en souffrance où règne tortures, guerres et attentats meurtriers, l’artiste « ne dit ni ne fait ». En effet, face aux horreurs perpétrées par les forces d’intervention américaines en Irak et les exactions des militaires US, le travail photographique tel que La inteligencia eficaz d’un Txomin Badiola ou l’intervention d’un Gianni Motti à Roland-Garros, demi-finale des internationaux de France 2004.

Bibliographie

Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (II / III)

Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (III / III)