485 Zenbakia 2009-05-08 / 2009-05-15
“Nous avions mauvaise réputation : chanteurs extrémistes. Nous utilisions la critique. Les bourgeois, certaines pratiques de l’Eglise, les problèmes du Pays Basque... en ironisant nous les attaquions directement.”
“Nous savions que nous ne parlions pas pour ne rien dire, qu’il y avait un public prêt à nous écouter.”
“Nous voulions ‘tirer vers le haut’ le Pays Basque. Créer un environnement basque, une conscience d’être basque, tout en évoquant les problèmes du Pays Basque.”
“Moi j’écris les chants pour qu’ils soient chantés dans les bars, que le maximum de gens puissent les reprendre.”
“Nous, anciens chanteurs, nous nous sommes réunis récemment car nous avons un projet d’organiser un spectacle. Nous souhaitons chanter les chants de notre époque pour les jeunes.”
Vous avez participé dans les années 1960-70 au mouvement de renouveau de chants et poèmes. Comment avez-vous commencé à écrire ?
En 1970 j’avais 29 ans et je venais de commencer à travailler au musée basque. Alors la référence de la culture basque était le musée basque. Il n’y avait pas d’autre lieu pour approfondir la langue basque et la culture basque. Aussi j’ai eu l’occasion de connaître beaucoup de gens. La plupart des bascophiles qui avaient des projets ou des recherches à faire, passaient par le musée basque. C’est moi qui leur faisais souvent l’accueil. C’est là que je pris conscience que la documentation se trouvant au musée était plus importante que je ne l’imaginais. Je m’étais rendu compte de l’importance et de l’étendue de l’apport du Pays Basque sud. Dans ces années-là j’étais perdu. Je ne savais plus quel Pays Basque j’avais en tête et j’avais commencé des études d’ethnologie. J’ai continué les études jusqu’au doctorat d’anthropologie. Je voulais donner une touche scientifique à la connaissance que j’avais du Pays Basque et ceci m’avait motivé pour faire ces études. Je me posais des questions : quelle relation a l’histoire avec la culture, la culture avec l’économie, la sociologie...
Il est vrai, que j’avais déjà commencé à écrire des chants. J’avais commencé environ à l’âge de 17 ans. En 1958 j’avais publié mon premier chant dans le journal Panpin : Zikilimarro un chant pour enfants. J’écrivais dans Herria et aussi dans Enbata.
Alors, le musée basque était un lieu de rencontre pour la culture basque.
Oui, c’était un lieu de rencontres. Si des jeunes avaient un projet d’étude ils venaient au musée consulter nos fonds de documentation... Là ils s’inspiraient pour un projet d’étude. Les étudiants aussi y venaient souvent. A cette époque il n’y avait rien à Bayonne. Pas de faculté, pas d’association basque, de radio basque, la seule référence était le musée basque.
C’est quand vous étiez au musée que vous avez ressenti l’intérêt croissant pour la culture ?
Oui. Dans les années 1970 nous avions commencé à publier notre travail. Nous avions tous une volonté commune : faire prendre conscience aux gens de la valeur de la culture basque. La société glissait au français majoritairement. Dans les concerts les chants étaient en français. Tous les loisirs étaient en français. Nous voulions attirer le public en lui offrant le chant basque. Quelques orchestres commencèrent à mettre dans leur répertoire des chants basques. Il y avait un orchestre très réputé qui s’appelait El Fuego. Ce fut le premier orchestre qui donna quelques chants en basque. Il y avait des chants de Ez dok 13, les miens, ceux d’Etchamendy et Larralde... c’étaient des airs qu’on entendait pour la première fois sur les places.
Tout était à faire. La première ikastola, les premiers concerts en basque, les premiers pas du nationalisme basque. Vous aviez cette conscience abertzale ?
Oui, notre conscience abertzale était très forte. Il y avait un militantisme important. Un réveil politique eut lieu. C’est autour du mouvement Enbata que s’organisa ce réveil. Il y avait aussi beaucoup de réfugiés basques et des relations se nouèrent avec les gens d’ici. Ces relations firent naître un autre “environnement”. A vrai dire le travail se faisait en fin de journée. Nous avions tous les jours des réunions après le travail. Quelquefois nous avions deux réunions dans la soirée. Nous étions tous persuadés qu’il n’y avait qu’un seul Pays Basque, opprimé d’un côté par la France et par l’Espagne. Ce pays devait prospérer, se développer...
Nous avions tous une même préoccupation. C’était clair pour nous qu’il fallait procèder par pédagogie. Les gens ne savaient rien du Pays Basque. Ils n’avaient en tête que la France. Nous voulions faire prendre conscience aux gens de nos préoccupations, et que le changement était possible. Nous voulions les préparer à l’avenir. Le futur basque devait être un espoir.
Vous étiez mal vus et vous aviez aussi mauvaise réputation...
Ils nous firent mauvaise réputation assez rapidement. Dans les journaux tels que Sud-Ouest, ils parlaient de chanteurs extrémistes, engagés. Ils disaient que nous étions des séparatistes. Nous leur répondions que c’étaient eux les véritables séparatistes. C’étaient eux qui avaient divisé la terre basque. Nous leur répondions dans la mesure du possible.
Vous parliez basque dans les chants et lorsque vous évoquiez le Pays Basque. Quel a été pour vous le plus grand changement, parler basque ou parler du Pays Basque?
Je crois que le grand changement fut la thématique du chant. On évoquait les objectifs pour le Pays Basque pour la première fois en basque, des thèmes politiques mais aussi des thèmes concernant la société. On se positionnait et c’est pour cela que nous étions si critiqués.
Les obstacles étaient considérables, la dictature entre autres... mais il y avait beaucoup de ponts entre le Pays Basque nord et sud.
Moi je n’y allais que pour chanter, mais il est vrai que les chanteurs avaient moins de problèmes en chantant côté sud que côté nord. Pour la police espagnole nous étions considérés comme français et c’était plus problématique pour eux d’arrêter des gens du nord. Nous étions souvent sollicités. J’ai chanté au sud jusqu’en 1974 dans une centaine d’endroits.
Des relations s’étaient créées avec les chanteurs Lete, Lertxundi, Iriondo.. et d’autres aussi. Nous organisions des concerts ici et nous les invitions. Cela était aussi une nouveauté.
Comment est ce que le public a pris cette nouveauté, ceux du nord chantant au sud et ceux du sud au nord ?
Quand nous allions au sud il y avait une ambiance extraordinaire, un public énorme, des abertzale.... Alors qu’ici c’était plus dur. Il y avait peu de gens lors de nos premiers concerts. Ils firent courir le bruit que nous étions des révolutionnaires, des rebelles, qui ne parlions que de sujets anarchistes.
Ceci nous amena à organiser un spectacle “Zazpiri bai (oui aux sept provinces)”. Ce fut un spectacle grandiose pour lequel nous avions fait beaucoup de publicité. Ce fut un grand succès. Le public fut nombreux. Il y avait jusques là un public pour le théâtre, l’improvisation. Lors de nos concerts pour attirer le public, nous faisions du théâtre, du bertsularisme avec Xalbador, Mattin, Ezponda.... On essaya de jouer avec ces forces. Nous voulions entrer dans ce mouvement.
Vous aviez dû faire un effort pour attirer le public ?
Comme je l’ai dit avant nous avions mauvaise réputation. Enfin, nous avions un discours critique. Nous critiquions les bourgeois, le préfet, le maire... en ironisant. Par exemple j’avais écris alors le chant “Jaun mera, monsieur le maire”. Je racontais l’histoire de mon village. Il n’y avait pas d’eau courante dans mon village, il fallait chercher l’eau à la source. Le maire du village avait un café et lui avait assez d’eau mais pas pour les habitants du village.
Dans votre mouvement cet esprit critique était important ?
Oui très fort. Nous savions que nous ne parlions pas pour rien dire. Qu’il y avait un public pour écouter ce type de chant critique. Le théâtre et le bertsularisme avaient déjà travaillé cet aspect. Cet esprit critique nous avait été favorable. On s’entraidait mutuellement. Nous allions voir les pièces de théâtre et écouter les bertsularis. Certains faisaient déjà du théâtre...
Vous vous étiez inspirés du chant basque traditionnel ?
Les auteurs de chants et tous les autres chanteurs étions déjà des passionnés du chant. On s’inspira beaucoup des chants traditionnels. Nous connaissions beaucoup de chants. Nous connaissions les paroles, les mélodies. Personnellement je connaissais environ 1500 mélodies avant de commencer à écrire des chants. Nous avions appris environ 2000 bertsu. Nous connaissions tous les chants anciens “Sotoko oporra”, “Aitak erran zerautan”... et autant de bertsus anciens, ceux de Bordatxuri et d’autres. Enfin chacun s’était forgé ainsi. Nous avions fait une sélection parmi les chants anciens, et on s’en inspira pour créer de nouveaux. Nous étions tous des passionnés du chant.
Les nouveaux chants eurent beaucoup d’effet. Labéguerie m’impressionna. Nous avions là la preuve que nous pouvions créer un nouveau style de chant. J’ai écouté ses disques des dizaines de fois. J’ai étudié ses paroles, ses musiques. Je fais aussi référence à Etxahun de Trois-Villes. Tous les mois il créait un chant et publia un disque. Cela eut aussi beaucoup d’effet sur nous.
Que vouliez -vous faire, donner un peu de modernité à la tradition ?
Nous voulions greffer le renouveau de la société basque dans le chant basque. Nous étions dans une nouvelle ère et nous voulions lui apporter cette nouveauté.
Vos chants pour beaucoup sont en relation avec Peio et Pantxoa.
Les paroles et les musiques de mes chansons que Peio et Pantxoa chantent sont les miennes. Eux orchestrent les chants. Il faut savoir que je ne créais pas les chants spécialement pour l’un ou pour l’autre. Je les imaginais et puis ils venaient me demander si j’avais écrit quelque chose et moi je les leur proposais. D’autre fois, nous nous réunissions et nous faisions un montage “on apportait des modifications à une chose et une autre”. Avec le temps on créa un réseau d’amis.
Au début vous chantiez, mais la plupart de vos chants ont été donnés par d’autres chanteurs.
Mon objectif était que mes chants soient chantés par les autres. J’aimais écrire les paroles des chants et la mélodie. Mais une fois fait, pour le travail de mise en orchestration et chanter sur les places je n’ai eu ni le temps ni l’envie. Du côté technique il fallait avoir des connaissances et moi je ne me suis pas senti capable de réaliser cette orchestration professionnellement. Il fallait du temps, et moi je n’en avais pas, j’étais occupé dans d’autres affaires. C’est pour cela que j’ai écrit des chants pour les autres. Et puis je me suis rendu compte que ces chanteurs avaient du talent : Peio et Pantxoa, Erramun Martikorena, Anje Duhalde, Maite Idirin... cela me suffisait qu’ils chantent mes chansons.
Qu’est ce que l’on ressent quand d’autres chantent les chants écrits par soi-même ?
Dans la plupart des cas, ils sont bien donnés. Bien sûr, je préfère les interprétations des uns ou des autres. Certains chants ont été donnés par plusieurs chanteurs. Chacun lui apporte sa touche, son style. La plupart du temps je les aime beaucoup.
A part les chanteurs, les gens aussi les chantent dans les bars, entre amis, les repas. Cela vous fait plaisir n’est ce pas ?
Pour dire la vérité, avec le temps je m’y suis habitué. C’est sûr que cela vous fait plaisir quand les gens chantent vos chants. Mais d’autant plus je ressens ce plaisir très fort car cela prouve que le but que j’avais lorsque j’ai écrit les chants a été atteint. En fait, j’écris les chants pour qu’ils soient chantés rapidement dans les bars. J’écris les gens pour que les gens les mémorisent facilement. Alors si en entrant dans un bistrot j’entends que les gens les chantent je suis heureux, j’ai accompli mon objectif.
Comment créez-vous un chant ?
Normalement j’écris les strophes et le refrain. Puis j’adapte la musique. Je réalise les deux en même temps. Une fois les paroles écrites aussitôt j’y greffe la mélodie. Une fois les premières paroles écrites je cherche les accords pour imaginer la musique. Sur un accord il y a mille notes qui jaillissent. Et moi sur ces fils sonores je choisis ceux qui conviennent le mieux à mon texte. Une grande concentration est nécessaire et en passant du temps on obtient un résultat.
Certains écrivent le texte entier puis ils adaptent la musique. D’autres imaginent une mélodie puis écrivent les paroles. Moi je fais les deux en même temps. Pour moi c’est comme un jeu entre les paroles et la musique. Bien sûr il y a des fois où je dois tout abandonner n’ayant pas d’inspiration où parce que je fais un blocage, je dois tout laisser pendant une semaine puis je recommence jusqu’à ce que quelque chose en sorte. Il y a des fois où rien ne sort. J’avais écrit un chant après les événements de l’Hôtel Monbar . J’avais le couplet avec des mots forts “quatre hommes, quatre basques” mais je ne trouvais pas la musique pour terminer “fils bien aimés de leur maman”. Je n’avais pas réussi sur le moment ni encore de ce jour.....
Devant le succès quelle a été votre attitude ?
Moi je n’ai jamais écrit les chants pour être célèbre. Moi comme la plupart de cette même génération nous avons ½uvré pour apporter une dynamique au pays. Nous y avons pris plaisir, le chant étant un plaisir, lorsqu’on voit que les gens ont compris le message que l’on voulait passer et certains comportements ont changé. Si j’avais cherché la célébrité j’aurais pris d’autres moyens.
Regardons vers le futur. Avez-vous des projets d’écriture ou d’autres ?
J’ai toujours eu un rêve. Je souhaiterais créer une musique. Un air récitatif, mais chaleureux, donner de l’importance aux mots et de les ciseler.
J’ai aussi d’autres intentions, d’écrire des chants sur les métiers. Le receveur des impôts, les commerçants, les peintres... toujours en utilisant l’humour, la critique. Je veux des chants comiques, ironiques.
D’autre part, avec d’autres anciens chanteurs nous avons fait deux à trois réunions. Nous avons un projet. Il n’y a rien de décidé, mais nous voudrions faire une création pour dire “nous sommes là” autour d’un grand spectacle. Le but est de faire voir aux jeunes ce que nous avons fait, en montrant quelques photos... il n’y a encore rien de décidé, mais c’est sûr nous ferons un spectacle.
Et comment voyez-vous le mouvement culturel aujourd’hui ?
Je suis l’actualité, les concerts, les bertsularis, théâtres... quand je vois tout cela je me rends compte que tous ces événements durent. Il y a une grande offre, d’une grande qualité, dans tous les domaines. Je suis très content parce que j’y vois une grande capacité. Pour proposer une telle offre il faut beaucoup travailler. Et j’en suis d’autant plus très étonné, nos moyens n’étant pas importants. A mon avis de vrais moyens sont nécessaires pour que la culture basque dure. En voyant qu’avec peu de moyens on a de beaux résultats, en ayant des moyens autres, nous aurions des résultants meilleurs. Manex Pagola (Landibarre, 1941) Manex Pagola, né à Lantabat (Basse Navarre) le 28 juin 1941, 5e enfant d’une famille de 6 enfants. Scolarité aux collèges de Hasparren, Mauléon et Ustaritz, puis aux grands séminaires d’Auch (Gers), Dax (Landes) et Bayonne.Coopérant enseignant en Algérie (Constantine). Marié, 2 enfants. Ancien membre de la direction du Musée Basque de Bayonne sous la direction du Professeur Jean Haritschelhar et Olivier Ribeton. Ancien étudiant en anthroplogie culturelle jusqu’au doctorat à Bordeaux III. Cofondateur entr’autres de Seaska, de la radio Gure Irratia, du collectif Euskal Herriko artistak (Artistes du Pays Basque). Auteur compositeur (mélodiste) de chansons basques. Engagé en politique basque surtout depuis 1988.