458 Zenbakia 2008-10-24 / 2008-10-31

Gaiak

La conception basque du droit de propriété. L’exemple d’Iparralde

LAFOURCADE, Maite

Professeur émérite. Université de Pau et des Pays de l’ Adour



Établis depuis la plus haute antiquité sur leurs terres, les Basques se donnèrent un régime juridique adapté à leur mode de vie pastoral, qui est le régime naturel de la propriété indivise. Cette conception du droit de propriété subsista à travers les siècles, imperméable aux influences extérieures.

Mais l’individualisme et le concept d’État firent des progrès à partir du XVIe siècle. Les atteintes à la conception basque du droit de propriété se firent de plus en plus nombreuses, sans toutefois l’anéantir.

Les terres incultes appartenaient à la collectivité des habitants qui formaient une communauté naturelle dans un pays comme en Soule et en Basse Navarre ou une paroisse en Labourd. Les maisons et les terres mises en culture étaient la propriété des familles. 1. La propriété collective des terres

La répartition des terres et leur gestion variaient d’une province à l’autre. En Labourd, elles appartenaient par indivis aux habitants d’une même paroisse, en Soule, aux habitants de tout le pays, en Basse Navarre, à chacun des sept pays ou vallées qui composaient la province.

Les droits des habitants de chaque pays étaient limités aux communaux du lieu de leur résidence. Pour jouir des terres communes, il fallait «faire résidence habituelle et continuelle avec sa famille» dans le pays et contribuer aux charges ordinaires et extraordinaires.

Il ne s’agissait pas d’un droit de propriété, tel que nous l’entendons de nos jours. Ce n’était pas un droit réel, mais un droit personnel. Il était attaché à la qualité d’habitant du pays, sans jamais devenir, sauf concession accordée par la communauté, un droit exclusif de propriété. Les droits sur les terres communes faisaient partie intégrante des patrimoines familiaux et étaient ipso facto transmis avec eux.

Ce patrimoine collectif était géré démocratiquement: En Labourd, les décisions étaient prises, dans chaque paroisse, par les maîtres de maison, réunis en assemblée, le dimanche, après la messe. Toutes les questions concernant la communauté y étaient débattues et soumises au vote. Chaque maison avait une voix, quelle que fût son importance. La décision était prise à la majorité. Le maire-abbé et un jurat par quartier, élus chaque année par l’assemblée, étaient chargés de son exécution.

Photo: mimentza.

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En Basse Navarre, la gestion des communaux revenait à la Cour générale de chacun des sept pays ou vallées. Dans chaque paroisse, les maîtres de maison désigaient un ou deux mandataires pour s’y rendre, munis d’un mandat impératif. Après une première session où les problèmes étaient posés, les députés revenaient dans leur paroisse respective porter les questions à la connaissance des maîtres de maison qui votaient sur chacune d’elles; les réponses des communautés paroissiales étaient ramenées par les députés à la Cour générale, dans une seconde session; la décision était prise à la majorité, chaque paroisse ayant une voix. Un syndic, élu, veillait à son éxécution.

En Soule, l’assemblée générale des habitants, appelée Silviet, groupait les représentants des paroisses, dont le mandat était impératif. Un syndic, organe permanent du pays, était chargé de l’exécution des décisions prises.

Le fonctionnement de ces assemblées était donc éminemment démocratique.

Leur compétence était universelle; mais leur principale préoccupation était l’administration des terres communes.

Les ventes de terres demeurèrent exceptionnelles jusqu’à ce que, à la fin de l’Ancien Régime, notamment en Labourd, les paroisses endettées, victimes d’un fisc royal de plus en plus exigeant, ne soient contraintes de vendre leurs communaux, là où ils n’étaient pas indispensables à l’économie locale. De plus en Soule et en Basse Navarre, les usurpations furent de plus en plus nombreuses. Étant donné l’essor démographique, des cadets dépourvus de terre, défrichaient, clôturaient et s’appropriaient des terres communes. Les autorités locales étaient dépassées par l’ampleur du phénomène et n’étaient guère aidées par les agents du roi.

L’individualisme se propageait. La royauté, sous l’influence des physiocrates, était hostile au collectivisme agraire. Elle autorisa puis ordonna, sous Louis XV, en 1773, le partage des communaux.

Mais, comme le constatait Arthur Young, ce voyageur anglais qui parcourut la France de 1787 à 1789, en parlant des Basques: «Ils mirent des entraves continuelles à la division d’un bien qui était devenu pour eux une sorte de patrimoine».

Quelques partages eurent lieu, mais ils furent loin d’être généralisés. Là où les communaux étaient indispensables à l’économie locale, ils ne furent pas partagés. Le régime des terres, même après le bouleversement révolutionnaire et la loi du 10 juin 1793, demeura tel que sous l’Ancien Régime, à tel point que le législateur, sous Louis-Philippe, dut intervenir en 1838 pour légaliser cette situation de fait. Cinq commissions syndicales furent créées pour administrer les biens indivis, qui n’étaient autres que les anciennes Cours générales qui avaient survécu et survivent encore dans la vallée de Baïgorry, les pays de Mixe et de Cize, d’Ostabarret et dans le pays de Soule. 2. Les patrimoines familiaux

Selon la même conception du droit de propriété, les patrimoines familiaux n’appartenaient pas à un seul individu, mais à la famille toute entière. Ce patrimoine constituait un tout intangible, propriété de la famille. Il se perpétuait ainsi, indisponible et indivisible, à travers les siècles, géré à chaque génération par un couple de gestionnaires.

Le responsable du patrimoine familial pour une génération, désigné par la Coutume, était obligatoirement l’enfant aîné, sans distinction de sexe. Le droit d’aînesse était une règle impérative à laquelle personne ne dérogeait. Des dérogations n’étaient admises que si l’intérêt de la maison l’exigeait. L’«Etxerakoa» n’avait aucun droit exclusif de propriété sur les biens reçus. Il n’en était que le gérant devant les transmettre dans leur intégralité à la génération suivante.

Photo: carthesian.

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Les deux couples, celui formé par l’héritier ou héritière et son conjoint, et celui de ses père et mère, «maîtres vieux» et «maîtres jeunes», voire les grands-parents ou le survivant d’entre eux géraient conjointement le patrimoine familial, tous ayant des droits égaux, quel que fut son sexe et sa qualité. Les actes d’administration et, à plus forte raison, de disposition, nécessitaient le consentement de tous les indivisaires, la femme ayant dans chaque couple les mêmes droits que son mari. C’est l’institution typiquement basque de la coseigneurie, qui témoigne de la conception collective du droit propriété.

Les ventes de terres et de maisons, étaient très exceptionnelles. Elles n’étaient possibles que pour urgente nécessité, dûment constatée et avec l’assentiment de tous les gestionnaires. Un bien vendu en pareil cas pouvait toujours être racheté sans condition par le vendeur ou son héritier, au prix où il avait été vendu, parfois plusieurs générations après la vente. Cette pratique subsista jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, en dépit des plaintes réitérées des bourgeois bayonnais qui ne pouvaient pas investir en terre basque et de l’action conjuguée du parlement de Bordeaux et des intendants qui étaient les adversaires les plus résolus de cet usage auquel ils reprochaient de paralyser l’activité économique du pays. Elle était fondamentale pour la société basque parce qu’elle visait à la conservation des patrimoines familiaux, donc à sa survie.

Cet objectif a survécu aux lois unificatrices de la Révolution française.

En dépit du dogmatisme du législateur révolutionnaire qui, pour détruire tout particularisme provincial, divisa la France en départements, en dépit de l’unification du Droit français par le Code Civil de Napoléon en 1804 qui imposa à tous les français un droit individualiste et bourgeois aux antipodes du droit basque, les coutumes basques survivent encore.

La propriété indivise des terres subsiste ça et là, vestiges du passé. Elle subsiste surtout en Soule et en Basse-Navarre où leur statut fut légalisé en 1838 Mais les commissions syndicales qui furent alors instituées mènent une politique d’investissement au détriment des bergers sans terre. C’est un conflit entre la tradition et la modernité.

Ce même conflit se retrouve au niveau de la propriété privée. Si, dans l’arrière pays, la tradition est encore respectée et la maison ancestrale «sacralisée», il n’en est plus de même depuis longtemps sur la côte.

L’introduction de la conception romaine, individualiste, du droit de propriété et la libre disposition des biens par leur propriétaire, ainsi que la diffusion de l’esprit capitaliste dans nos campagnes ont des conséquences alarmantes pour la survie du Pays basque en France.