Anthropologie du concept de paysage dans l'espace basque Anthropologie du concept de paysage dans l'espace basque Claude Dendaletche Le concept de paysage est un concept flou, plus affectif que scientifique que sa récente utilisation par la technocratie administrative dévoie. Le paysage peut être un visage dominant. Ainsi le paysage agro pastoral associant les bocages atlantiques de basse altitude, les étendues pastorales (comprenant les landes puis les pelouses d'altitude) où s'exerce la transhumance annuelle au fil des rythmes saisonniers l'illustre bien. La répartition des dolmens et cromlechs sur ces sites a permis aux disciples de l'école ethnologique traditionnelle de J.M. de Barandiaran de situer au delà de la protohistoire l'origine du mode de vie correspondant à ces paysages. Ce faisant on évoque implicitement la pérennité de ces paysages et des sociétés patriarcales correspondantes qui les ont façonnés. Certaines conceptions ethnocentristes de la culture basque (réduite à son aspect rural !) enracinent à ce niveau la prééminence de cette culture sur celles d'alentour. Le succès du roman de Pierre Loti : Ramuntcho (1897) a immortalisé côté francophone l'image romantique idéalisée de ce paysage basque rural. Le paysage, comme toute chose vivante, évolue. Aux basses altitudes, ce que les esthètes et le sens commun notamment paysage, est le visage (l'apparence) d'une réorganisation de l'espace construite comme un outil de production agraire. Que les systèmes socio économiques changent et le visage changera. Ainsi, dans les années du franquisme, une grande partie des prairies du Guipuscoa furent plantées d'arbres résineux (Pinus insignis) afin de fournir des matériaux ligneux (bois) aux fabriques de papier. Ceci eut un double effet : transformer visuellement le paysage traditionnel (grandes taches de vert perenne), engendrer indirectement la pollution des rivières du fait du rejet des effluents de ces usines. Cette mutation traduisit vraisemblablement une sortede crise pyscho sociale car il n'est pas commun qu'un paysan plante des arbres sur une surface agraire. Vendre de la terre agricole celle qui procure le pain et le vin est une sorte de sacrilège dans l'esprit de tout paysan, surtout si cela est pour une finalité industrielle. Ce n'est sûrement pas un hasard si l'artiste basque Ibarola utilisa ultérieurement les troncs de ces pins comme support de ses étonnantes peintures dans la nature. On peut voir là comme une sorte de pratique expiatoire liée à un sacrilège : avoir vendu la " terre âme " d'un paysage tellement lié au peuple basque ! Concept pseudo scientifique supportant la schématisation et très " parlant ", le paysage a désormais été récupéré par la technocratie administrative dans tous les pays d'Europe occidentale, alors même que la mode de la recherche scientifique sur les paysages n'a plus cours. On parle désormais de restauration et de réhabilitation de paysages, de reconstruction de paysages. Ce faisant on enterre des lignes électriques, on démonte des installations industrielles, on détruit certaines routes devenues inutiles, on reconstruit même certaines bordes inusitées. A vrai dire, ces interventions balbutiantes ont pour finalité de donner un visage policé à des espaces souvent abandonnés pour mieux promouvoir leur fréquentation touristique. Ce faisant on passe donc de la notion de " paysage visage esthètiquement optimisé d'un cadre de vie ludique pour le tourisme ". On voit donc que, sauf aux hautes altitudes qui n'existent pas au Pays Basque le concept de paysage est très lié à l'aventure humaine et à ses choix existentiels. Grâce aux extraordinaires progrès scientifiques et notamment des biotechnologies, l'homme à le pouvoir d'inventer de nouveaux types de paysages : productifs, ludiques, existentiels, écologiques. Mais il ne peut guère intervenir sur les rythmes de croissance des arbres in situ ou sur les relations au sein des biocénoses ou écosystèmes. Car ces paramètres sont le produit de l'évolutionbiologique dont les mécanismes essentiels échappent encore à l'homme. Claude Dendaletche, professeur d'Ecologie et anthropologie de l'Université de Pau
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