288 Zenbakia 2005-02-11 / 2005-02-18

Gaiak

Differents statuts de maisons dans le pays de Cize de l´Ancien Regime

LEGAZ, Amaia

doctorante, FraMEspa, UMR 5136, CNRS, Université de Toulouse II. Le Mirail

1 ) Les communautés et les conseils

Au XVIIIe siècle, les différents villages du pays de Cize constituent chacun une communauté représentée par un conseil et des jurats qui siègent lors des assemblées de vallée, les cours générales ou les juntes. Le registre des délibérations de la cour générale du pays de Cize qui débute en 17451 donne la liste des députés se réunissant à St-Jean-le-Vieux pour traiter les affaires du pays. Ces députés représentent la ville de St-Jean-Pied-de-Port et les vingt-quatre conseils suivants : Uhart, Çabalce2 , St-Michel, Ispoure, Bascassan, Urrutia3 , Alciette, Çaro, Garateguy4 , Aincille, Ahaxechilo5 , Mendive, Gamarthe, Béhorléguy, Mongelos, Janits6, Ainhice, Bussunarits, Suhescun, Sarasquette, Lacarre, Jaxu, Bustince, Iriberry.

C’est à travers les délibérations des juntes et des cours générales7 et des procès qui ont lieu entre les communautés, les juntes et des maîtres de maisons que nous pouvons, dans le détail, saisir les différentes composantes de la société bas-navarraise de l’Ancien Régime Dans la vallée de Cize, les communautés sont réparties au sein de quatre parsans. Ainsi, le 13 juillet 17608 , sont mentionnés les quatre parsans composés ainsi : le parsan d’Uhart qui comprend aussi Ugange et Çaro et les communautés voisines le parsan de Sarasgoity, avec Lécumberry et ses hameaux, Sarasquette et Ahaxe le parsan de Suhescun, avec Mongelos, Lacarre et Bustince le parsan d’Urrutia avec Çabalce, St-Jean-le-Vieux et ses autres hameaux, Bussunarits et Jaxu.

Ces parsans sont la base de la répartition des impôts et des paiements. Un acte du 11 décembre 17639 semble montrer que la constitution des parsans pourrait être modulable en fonction de leur charge démographique ou pastorale.

En effet, il est déclaré dans cette acte que des commissaires ont été nommés pour partager le pays en quatre parsans “conformément à l’ancienne constitution le fort supportant le faible c’est-à-dire en déchargeant les parsans qui sont affaiblis et chargeant ceux qui ont augmenté et autrement ainsi que de raison”.

Un document du 3 février 176510 indique que cette répartition en quatre parsans serait l’un des éléments de “la constitution primitive” du pays de Cize, qui est détaillée plus loin : “le pays était partagé en quatre parsans égaux, les impositions, corvées et autres charges publiques étaient réparties sur ces quatre parsans en quatre portions égales qui étaient subdivisées ensuite sur les communautés qui les composaient selon le nombre des feux qu’elles portaient”. En théorie, ces parsans ne subissent pas d’importantes modifications car le nombre de maisons semble fixe et, officiellement, les seuls changements reconnus sont les rotures, c’est-à-dire les défrichements mis en culture, qui sont considérés comme négligeables. Nous verrons que dans la réalité, de nouvelles constructions et de nouvelles maisons s’ajoutent aux “rotures”.

Cette vision “officielle”, théorique, de la constitution des parsans vient d’une conception traditionnelle de la vallée qui veut que le nombre de maisons soit fixe. Ainsi, dans un acte du 25 janvier 117511 où sont insérés les articles du partage des communaux du 16 février 1774, la ville de St-Jean prétend à un tiers du total des terres communes arguant du fait qu’autrefois “et dans l’origine” la ville était composée de deux cents maisons et le pays de Cize de quatre cents. Cette proportion est constamment reprise dans la documentation normative ou judiciaire. Elle est invoquée aussi dans le cadre de la gestion des pâturages. Ainsi, dans un acte du 3 juillet 174912 qui s’inquiète du renouvellement compromis du contrat de facerie entre le pays de Cize et la vallée d’Aezcoa, il est précisé que les accords donnent à quatre cents maisons du pays de Cize et à deux cents de St-Jean le droit de facerie. Il semblerait que ce qui est qualifié de ville de St-Jean soit en fait formé des communautés de St-Jean-Pied-de-Port certes mais aussi d’Ispoure, La Magdeleine avec le quartier de Taillapé, Çabalce et Ugange, ce qui pourrait expliquer le nombre étonnant de deux cents maisons pour cette entité.

Cette quantité théorique d’habitations est en fait largement dépassée. En effet, elle compte seulement les maisons et non les bordes qui en principe ne servaient d’habitations que durant une partie de l’année “pendant la récolte”, des plantations, de la fougère ou du fourrage d’hiver.

Petit à petit, certaines de ces bordes sont devenues des résidences principales, entraînant la constitution de villages. L’installation de ces nouvelles habitations entraîne bien sûr des conflits mais surtout l’émergence de nouveaux statuts que nous allons étudier maintenant. 2 ) Les anciennes et les nouvelles maisons

Il est fait allusion à ces différents statuts dans les règlements des vallées et les registres des délibérations mais c’est évidemment lorsque ces maisons anciennes et nouvelles s’affrontent à l’occasion de procès que leurs différences sont les plus manifestes et que l’on peut tenter d’en déterminer l’origine.

Ces nouvelles et ces anciennes maisons s’opposent fréquemment semble-t-il et un document des Archives Nationales françaises13 rappelle deux de ces affaires symboliques.

L’une oppose des habitants de plusieurs communautés du pays de Cize associés au sieur Dujac, prieur de Ste-Madeleine d’Orisson aux députés de St-Jean-Pied-de-Port et du Pays de Cize. L’autre voit s’affronter les dénommés Etchepare et Minaberriet, propriétaires à Mongelos contre les syndics de la communauté de Gamarthe et ceux du pays de Cize.

Leurs différends portent essentiellement sur le droit ou non qu’ont les maîtres des nouvelles maisons de s’approprier et de fermer des terres dans les communaux.

Il semble que les contestations soient déjà anciennes entre les deux types de propriétaires. Les anciens propriétaires se plaignent que les nouveaux propriétaires ont défriché des lieux interdits par un règlement du pays de Cize de 1695 et qui doivent demeurer communs. Les nouveaux propriétaires considèrent ce règlement irrégulier, contraire à la déclaration d’Henri IV du 6 novembre 1611 qui accorde une pleine disposition des communaux de la Basse-Navarre à ses sujets de ce pays. Apparemment, les uns et les autres ont une interprétation différente de la déclaration royale. Les maîtres des anciennes maisons considérant que cette pleine disposition signifie jouissance commune alors que les propriétaires des nouvelles maisons y voient l’opportunité d’approprier les terres vides.

L’abbé Dujac, prieur d’Orisson représente les maîtres des nouvelles maisons contre Charles d’Irumberry et Jean de Gaillardon, syndics du pays de Cize et de St-Jean-Pied-de-Port, porte-parole des maîtres des anciennes maisons.

Dans un premier temps, Dujac déclare que les maîtres des anciennes maisons ont cherché à extorquer de grosses sommes d’argent pour autoriser les maîtres des nouvelles maisons à garder leurs terres, avant de se rétracter et d’assigner leurs adversaires devant le Parlement et la Cour. Sans faire abstraction de la possible mauvaise foi de Dujac, un tel procédé de la part des anciennes maisons ou du moins de certaines d’entre elles ne semblent pas aller dans le sens de la conservation des terres communes et d’un usage traditionnel dont elles se font les protectrices. Ces terres, comme les autres, sont devenues un enjeu financier et l’objet de tractations.

Dujac s’érige en défenseur de son église d’Orisson mais aussi de “l’Etat et de tout le pays, clergé, noblesse, anciennes et nouvelles maisons”. Chacune des parties est donc, à l’en croire la garante de la tradition et d’un ordre ancien et nécessaire.

Le premier argument de Dujac est que plus il y aura de familles dans le pays, plus il y aura de sujets pour porter les armes, remplir le régiment de milice pour la guerre contre l’Espagne qui est pressentie, garder les frontières, payer les tailles et les impôts. Il utilise évidemment des arguments susceptibles de convaincre le roi.

Par conséquent, plus il y a d’habitants, plus il y a nécessité de terres en culture, prairies, vergers et vignes pour leur subsistance et faire baisser les prix. Un autre argument est l’obligation de réserves importantes de fourrage en cas de guerre et pour la citadelle de St-Jean-Pied-de-Port. Ce fourrage est fournit par chaque paroisse. C’est donc la preuve de la nécessité absolue des prairies dans les montagnes qui demandent donc un entretien et leur fauche. Un autre argument est que si l’on supprime les terres cultivées, il s’ensuivra une famine entraînant la fuite des habitants en Espagne. Les anciennes maisons qui sont en plus petit nombre que les nouvelles devront ainsi supporter seules les impôts.

Dujac indique que le pays de Cize est très peuplé. Il prône la nécessité d’accroître les défrichements. Il rappelle que dans toute la France la population a augmenté considérablement et qu’il est nécessaire d’augmenter la production agricole en augmentant les terres cultivées. Serions-nous dans l’opposition commune et ancienne de l’éleveur contre l’agriculteur ?

Mais “il n’y a guère lieu d’extirper en France, où tout est presque en valeur, à la réserve des bois et de quelques petites montagnes, au lieu que les Pyrénées fournissent au pays de Cize des quartiers immenses propres à la culture et au fourrage de l’hiver et de l’été”. Ces terres communes sont donc considérées par Dujac et ses associés comme une sorte de réserve de terre jusqu’alors inutile et inexploitée, à disposition, dans une certaine mesure.

La deuxième affaire se manifeste par une requête des sieurs de Lafaurie et de Dufourq, syndics du pays de Cize et de la ville de St-Jean-Pied-de-Port, contre Joannes Detchepare et Joannes de Minaberriet, maîtres propriétaire et adventif, c’est-à-dire beau-père et gendre, de la maison de Barberarena de Mongelos, à l’Intendant d’Etigny, datée du 15 novembre 175414 . Cette maison a pris dans les communaux du quartier d’Axomendy (Oxomendy) trois arpents comme l’autorise le règlement mais aussi une pièce de terre, de façon illégale. De plus, les maîtres de cette maison ont défendu cette terre nouvellement fermée les armes à la main, provocant une grand scandale dans le pays.

Les maîtres des nouvelles maisons, comme les maîtres des anciennes maisons, ainsi que chaque habitant de la Navarre, ont le droit de défricher trois arpents de terres vagues. Selon les règlements invoqués par tous, les uns comme les autres ont donc la jouissance assurée des terres vagues. Le problème tourne surtout autour de l’interprétation de cette notion de jouissance des terres communes sur laquelle nous reviendrons.

On trouve dans les pièces de cette affaire un début de définition des anciennes et nouvelles maisons. En effet, il y est déclaré que “la Navarre est un pays de franc-alleu où il est permis à chaque habitant qui s’y établit de défricher et mettre en valeur à son profit un morceau de trois arpents de terres vagues dites communes ; et dans chaque canton on distingue sous les désignations d’anciens ou de nouveaux maîtres propriétaires ceux qui ont anciennement ou nouvellement défriché et fermé des habitations”.

D’après ce paragraphe retranscrit à partir du document original, la différence entre les anciens et les nouveaux propriétaires serait donc, simplement, d’ordre chronologique. On peut supposer que le grand nombre de bordes devenues des habitations principales ont été logiquement considérées comme des nouvelles maisons. On peut de façon tout aussi logique imaginer que les nouvelles maisons d’un moment sont devenues plus tard les anciennes maisons. Chaque maison pourrait donc être ancienne par rapport à une de ses voisines et nouvelle par rapport à une autre. Mais on constate que les anciennes maisons semblent constituer un groupe organisé, identifié où s’exercent des solidarités.

Ce lien entre les anciennes maisons paraît se manifester dans la délibération de la junte du 15 mai 175415, où elle déclare que d’Etchepare et Minaberriet sont maîtres d’une maison ancienne et non nouvelle, “membres qui veulent se soustraire de la discipline du corps et de la justice des magistrats naturels”. Il semble donc que l’appropriation dans les communaux soit mieux acceptée de la part des nouvelles maisons et que les nouvelles maisons soient tenues par une surveillance mutuelle au sein de leur groupe et des intérêts communs. Les anciennes maisons n’auraient-elles donc pas la possibilité d’accroître leur domaine ? Ces trois arpents autorisés représenteraient donc une sorte de minimum vital pour celui qui n’a pas de domaine ?

Cela signifie-t-il que les maisons sont anciennes ou nouvelles par rapport à une époque ou un événement bien déterminés et que les groupes ne sont pas si perméables ? Autre interrogation posée par ce paragraphe, celle de l’origine des maîtres des nouvelles maisons. En effet, il est dit que chaque habitant a le droit de défricher trois arpents de terre dans les communaux. Au vu de la farouche volonté de préserver les communaux manifestée dans la documentation et des règlements du pays de Cize, on a peine à imaginer que ce droit soit ouvert à toute personne venant s’établir dans la vallée. On peut donc supposer que ce droit est réservé à ceux qui habitent, c’est-à-dire qui vivent, ou qui sont propriétaires, dans la vallée.

Enfin, ce paragraphe laisse entendre que les nouvelles maisons se trouvent dans les terres communes, et donc que les anciennes maisons seraient dans les anciennes terres communes. On apprend dans ces documents que les nouvelles maisons sont les plus nombreuses ; puis que les maisons nouvelles sont aussi appelées “petites maisons”. S’agit-il d’une appellation péjorative ou pour le moins un jugement de valeur ? Les anciennes maisons ou grande maisons constitueraient-elles une élite minoritaire16 ? Ce statut n’empêche cependant pas les nouvelles maisons de participer aux délibérations de la junte.

Vient ensuite un autre élément d’explication : “les maisons nouvelles ont été construites sur des démembrements des maisons anciennes ; ceux qui les possèdent sont appelés les maîtres des petites maisons”. Cette phrase conforte l’hypothèse d’une subordination des nouvelles maisons aux anciennes. Ces ? démembrements ? sont-ils dus à des usurpations, des ventes, des partages, des lotissements et des installations moyennant un revenu ?

On se trouve ici devant une contradiction par rapport au premier paragraphe que nous avons commenté qui tendait à faire penser que les nouvelles maisons sont installées sur les terres communes. Ou peut-être ces deux notions sont-elles complémentaires : est considérée comme nouvelle toute maison construite soit sur la terre d’une autre plus ancienne soit sur une parcelle prise dans les terres communes. Les nouvelles maisons sont donc, quelque soit leur époque de construction, celles qui se sont installées après les anciennes maisons, groupe empreint d’une certaine supériorité et dont l’époque d’installation est inconnue, dont la mémoire a été perdue. Ce groupe semble imperméable et les petites maisons, quel que soit leur âge, paraissent devoir toujours restées nouvelles.

Ils semblent que les anciennes maisons oeuvrent pour conserver un système qui les favorise. Ainsi, elles déclarent par la voix de leurs représentants : “Les nouvelles colonies qu’on pourrait faire dans les herms communs seraient une triste ressource, les nouveaux habitants seraient dans la misère, n’ayant pour tous bien que les extirpations qu’ils feraient, et ils ôteraient en même temps aux anciennes la ressource que leur donne la propriété des herms et la liberté d’y faire pacager leurs bestiaux”.

Dans le registre de la cour générale du pays de Cize17 , l’acte daté du 10 mai 1747, indique l’interdiction à l’avenir aux habitants d’introduire du bétail étranger par la vente de maison ou de sol de maison18 , “sans préjudice du droit et privilège attaché aux maîtres propriétaires des maisons anciennes des pays et ville pour leur jouissance particulières des herms et communaux”. Les maisons anciennes ont donc des droits qui leur sont propres sur les terres communes que n’ont pas les maisons nouvelles.

Les petites maisons, elles, plaident pour leur autonomie par rapport aux grandes maisons et revendiquent de pouvoir subvenir à leurs besoins, à celui de leur bétail et payer les impositions. Il semble que les maîtres des nouvelles maisons ne voient pas d’intérêt à laisser libres de grands espaces pour le passage des troupeaux. Cela semble indiquer qu’eux-mêmes ne possèdent pas de grands troupeaux et n’ont pas l’utilité de tels parcours.

Il semble que certains membres de la noblesse exercent une influence considérable sur les jurats qui siègent dans les assemblées du pays et on peut évidemment se demander dans quelle mesure ils n’influencent pas les décisions prises pour tout le pays.

Ces mêmes nobles sont dénoncés par Dujac comme ayant eux aussi effectué des appropriations. La formulation est imprécise et semble indiquer que ces fermetures ne sont pas tout à fait illégales. On constate cependant que leurs superficies dépassent largement les trois arpents autorisés en théorie. Ainsi, vingt arpents ont été pris dans les communaux pour les prairies de la Dame de Berval, qui en a rajouté vingt trois arpents où elle a bâti une maison, installé un jardin, une vigne et un verger et obtenu le droit de chapelle. Le sieur de Lalanne et le baron d’Harriette ont pris et marqué une grande quantité de terres communes dans le quartier d’Ugarre pour le premier et tout un côté de la grande montagne Derrunzatte (Errosaté ?) pour le dernier.

Ces personnes dénoncées par Dujac sont nobles et parmi les plus grandes familles du pays. La fermeture et l’appropriation de terres dans les communs seraient donc un privilège de la noblesse et le conflit se résumerait donc à celui de la noblesse contre le tiers-état ?

La situation semble pourtant bien plus complexe notamment par le fait que le statut de noble est traditionnellement porteur de nombreuses nuances. En effet, la distinction entre les nobles et les infançons, que l’on trouve systématiquement dans les textes antérieurs, n’est pas toujours respectée. Il semble que les maisons nobles aient certains privilèges concernant l’accroissement de leur domaine ; ce qui ne serait pas le cas des maisons infançonnes. Certaines, comme la maison Elisseche d’Uhart, sont d’ailleurs solidaires des maîtres de maisons qui revendiquent le maintient de leurs bordes et fermetures19 .

Les syndics du pays de Cize, d’Irumberry et de Gaillardon, assimilent ce conflit à celui des cadets contre les aînés. Selon eux, les maîtres des petites maisons sont des cadets qui tentent de s’émanciper. Ils déclarent par exemple que “les cadets de famille ne seraient pas en état de travailler par eux-mêmes qu’ils quitteraient leur maison pour vivre dans l’indépendance et dans l’idée de se procurer un patrimoine, ils se plongeraient dans la misère et priveraient leur famille de l’utilité qu’elles pourraient retirer de leur travail20”.

Il semble inconcevable qu’un cadet puisse subvenir seul à ses besoins : “Les nouveaux habitants ne pourraient être qu’à charge à l’Etat et aux anciens habitants qui seraient obligés de supporter toutes les charges”.

Il s’agit ici d’une conception ancienne, voire archaïque de l’exploitation agro-pastorale qui ne peut s’envisager que par un travail collectif de tous les membres de la famille sur le domaine familial. Leur volonté de créer son propre domaine, d’acquérir de la terre n’est pas valorisée, comme si l’organisation de la terre devait rester figée.

Christian Desplat a parfaitement décrit cette prééminence des maîtres des maisons et des pasteurs au détriment des non propriétaires, autres membres de la famille, culture et cultivateurs qui sont strictement contrôlés21 . Le cadet, souvent seul, parfois en couple, était tenu de travailler au service de la maison tenue par son aîné. Il s’agit d’un bel exemple de main d’½uvre gratuite au service d’une famille patriarcale qui écrasait toute liberté individuelle22 .

On voit donc qu’on a ici deux conceptions différentes d’exploitation qui s’affrontent : l’une plutôt tournée vers l’élevage, soucieuse de maintenir avec les voisins des accords de faceries permettant aux troupeaux de profiter des meilleurs espaces de dépaissance, nécessitant une main d’½uvre relativement nombreuse et donc le maintient des structures familiales où l’aîné dirige l’exploitation et les cadets non mariés l’aident, afin de faire fructifier ce capital qu’est le troupeau par le commerce et la spéculation : l’autre, plus agricole ou en tous cas plus diversifiée, où l’espace libre doit être partager et exploiter le plus possible, plus tournée vers une économie d’autosuffisance, voire de nouvelles activités.

L’opposition entre l’élevage et l’agriculture a été décrite par Christian Desplat en Soule et en Navarre, “alors que dans de nombreuses provinces, les “communaux” étaient des terres sans valeur, abandonnées aux plus déshérités, dans les Pyrénées, elles étaient le fondement de la richesse des bonnes maisons. Mais, on l’a noté, dès la fin du XVIe siècle, la prépondérance des grands pasteurs était battue en brèche par l’émergence de catégories sociales qui étaient portées à une appropriation et à une mise en valeur individuelle des sols23”.

Les grandes maisons qui veulent, par la voix d’Irumberry et de Gaillardon, préserver les terres communes en indivis et libres d’habitations permanentes expriment aussi très fortement cette opposition archaïque du pasteur contre l’agriculteur : “Si au préjudice de ces mêmes lois, les particuliers pouvaient disposer à leur gré de ces herms communs et d’y faire un nouveau patrimoine en abandonnant les terres anciennement réduites en culture, toutes les communes seraient insensiblement usurpées par ceux qui seraient en état de faire des extirpations, le pays serait privé d’un bien qui lui appartient suivant la coutume et la volonté du prince, il n’y aurait plus de pacage pour la subsistance des bestiaux, qui sont la seule ressource du pays et qui y procurent l’abondance” ; et encore, “Les nouvelles colonies qu’on pourrait faire dans les herms communs seraient une ressource bien médiocre, les nouveaux habitants n’ayant pour tout bien que les extirpations qu’ils feraient, et ils ôteraient en même temps aux anciens la ressource que leur donne la liberté de faire paître leurs troupeaux dans ces communs”.

On retrouve ici l’affirmation de la prépondérance de l’élevage sur l’agriculture. Cette idée est d’ailleurs reprise dans un tout autre contexte lors des conflits sur les Aldudes24 . Il est traditionnellement considéré que les gens du pays sont éleveurs faute de mieux, car ils n’ont pas le choix, cette activité étant la seule possible sur ce type de terre.

En 1672, les Etats de Navarre déclarent que les habitants du royaume sont “en possession immémoriale” des terres communes, eaux, forêts et montagnes et de leurs propres fonds. Les maîtres de nouvelles maisons s’appuient alors sur cette déclaration : “En conséquence de ce droit chaque habitant du pays jouit paisiblement et sans trouble ni contestation des eaux, forêts et montagnes du commun, chacun y prend du bois à bâtir et à brûler qu’il vend à prix d’argent en place publique, il use des eaux pour abreuver son troupeau de vaches, chèvres, brebis, agneaux et cochons ; pourquoi n’aura-t-il pas la faculté de prendre des terres ?”. On retrouve ici la même dialectique qui semble confirmer l’hypothèse qu’une opposition entre une exploitation agro-pastorale de subsistance face à l’intérêt des grandes maisons qui ont besoin des grands espaces ouverts pour leurs grands troupeaux et leur élevage spéculatif. Le même type de conflits relatifs à la mise en valeur des terroirs a été observé dans le Quercy des XVIIIe et XIXe siècles par François Ploux25 . Les enjeux et les arguments sont similaires autour d’une organisation des espaces proche de celle de la Basse-Navarre. 1Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques, fonds de la commission syndicale du Pays de Cize, BB1. Il s’agit du plus ancien registre disponible aujourd’hui. 2Aujourd’hui quartier de St-Jean-le-Vieux 3Idem 4Aujourd’hui quartier d’Ahaxe 5 Idem 6 Aujourd’hui quartier de Lécumberry 7 Dans le cas du pays de Cize, le plus complexe, la cour générale est constituée des représentants des vingt-quatre communautés du pays, tandis que la junte réunit trois représentants de la noblesse, deux représentants de St-Jean-Pied-de-Port et un jurat de chacune des dix-huit communes représentant le pays. La composition de ce corps change à chaque assemblée, les communes s’y relaient. 8 A.D.P.A., fonds de la Commission syndicale du pays de Cize, BB 1 9 A.D.P.A., fonds de la Commission syndicale du pays de Cize, BB 2 10 Ibid 11 A.D.P.A., fonds de la Commission syndicale du pays de Cize, BB 1 12 Ibid 13 Archives Nationales, H 83 14 Archives Nationales, H 83, pièce 80 15 A.D.P.A., fonds déposé de la commission syndicale du pays de Cize, BB 1 16 Dujac insiste d’ailleurs sur le fait que les contrevenants, maîtres des petites maisons, sont ? simples ?. 17 A.D.P.A., Archives du syndicat du pays de Cize, BB2 18 Article 2 des règlements 19 Archives Nationales, H 83, pièce 64 20 Ibid 21 DESPLAT, Christian, ? Les ? républiques montagnardes ? des Pyrénées occidentales françaises à l’époque moderne : mythe et réalité ?, 108e Congrès national des sociétés savantes, Grenoble, 1983, Histoire moderne, t. 1, p. 52-53 22 Ibid, p. 58-60 23 DESPLAT, Christian, ? Règlements des pays d’Etats Pyrénéens : la gestion de l’espace ?, Actes du 48e congrès de la Commission internationale pour l’histoire des assemblées d’Etats, Bilbao, 1997, p. 82 24 Archives Nationales, K 1235 25 PLOUX, François, ? Généalogie et logiques d’un discours populaire sur les droits d’usage et les espaces ruraux collectifs dans le Quercy des XVIIIe et XIXe siècles ?, communication au colloque Espaces Collectifs et d’utilisation collective dans les campagnes du Moyen Age à nos jours, Clermont-Ferrand, 15-17 mars 2004