148 Zenbakia 2001-12-21 / 2002-01-04

Berrikusketak

Bulletin de littérature basque. Domingo de Aguirre

LHANDE HEGUY, Pierre

Berrikusketak: Pierre Lhande Pierre Lhande Heguy "Bulletin de littérature basque. Domingo de Aguirre" Título de la publicación: Revista Internacional de los Estudios Vascos Año de la publicación: 1920 Páginas del artículo: 148 160 Resumen: Pequeño homenaje a Domingo Aguirre, autor de "Kresala" y "Garoa". Se describe su obra y se analizan las dos mencionadas. Quand, au début de nos sessions de l'Académie basque, en novembre dernier, vint s'asseoir parmi nous, avec son attitude douce et modeste, l'auteur de Kresala et de Garoa, nous nous flattions de pouvoir, longtemps encore, compter sur la collaboboration précieuse du romancier qui avait écrit les plus pures pages de l'euskara littéraire et connaissait tous les secrets du vocabulaire de la côte aussi bien que ceux du parler paysan. Hélas! Domingo de Agirre nous a quittés avant d'avoir pu nous communiquer ses incomparables lumières. Un jour de l'hiver dernier nous avons accompagné sa dépouille mortelle à ce joli cimetière de Zumaya qu'une verte colline hausse dans la pleine lumière des champs et de la mer. A quelque temps de là, le 25 avril 1920, l'intelligente et active société Euskal Esnalea organisait à Saint Sébastien une séance littéraire solennelle pour honorer la mémoire du grand écrivain. Tour à tour M. l'abbé de Azkue, directeur de l'Académie, M. Carmelo de Echegaray, chroniqueur des Provinces basques, et enfin l'auteur de ces lignes célébrèrent, dans la langue où furent écrits Kresala et Garoa, le Prêtre, le Poète et le Romancier. En attendant que le bulletin de la Euskal Esnalea publie le texte de ces conférences basques, il nous paraît nécessaire de dédier aussi un hommage à notre confrère défunt dans les pages de cette Revue où il publia d'abord ses oeuvres maîtresses. Puisse cette légère esquisse inspirer à mes lecteurs labourdins, navarrais et souletins le désir de connaître des chefs d'oeuvre qu'ils ont trop longtemps ignores et le zèle de rivaliser avec leurs frères d'outre mont dans ce genre du romanpopulaire basque, jusqu'ici trop méconnu parmi eux. * * * On a souvent plaisanté le P. de Larramendi au sujet du titre prétentieux qu'il a donné à sa grammaire: El imposible vencido. A mon avis, Agirre aurait pu revendiquer pour son oeuvre, avec autant de raison que le fougueux jésuite, l'exergue incrimine. Premier romancier basque, par la date et par le mérite, il a pu écrire une oeuvre parfaite (Garoa), dans une langue que nul avant lui n'avait tenté de plier aux nuances et aux subtilités d'une oeuvre littéraire de longue haleine. En vérité, vouloir écrire des analyses psychologiques et des descriptions délicates, vouloir tracer des caractères et peindre des états d'âme avec un vocabulaire qui n'a servi, pendant des siécles (du moins ou témoignage actuel de l'histoire) qu'à exprimer des idées frustes de labour et de pêche, ce n'était rien moins que l'impossible. Cet impossible, Agirre, le premier, l'a vaincu. Je dis qu'il l'a vaincu: il ne l'a pas tourné. Le danger, en effet, d'une pareille entreprise était en ceci: que l'audacieux écrivain ne réussît qu'à nous donner, à nous les lettrés, une sorte de «tour de force linguistique», une oeuvre laborieusement bâtie dont seuls les connaisseurs pourraient apprécier les finesses et qu'il faudrait déchiffrer le lexique et la syntaxe à la main, un livre, en un mot, fermé à la masse des lecteurs. Mais pas du tout! Agirre est un romancier éminemment populaire: il est surtout cela. Trois choses, à notre avis, lui ont permis de réaliser cet exploit: le choix de ses sujets, la langue de ses personnages, le ton humoristique et doux de sa pensée. * * * Toute langue comporte une vie à laquelle elle est intimement liée et dont elle est l'expression. La vie fait la langue. Or,comme la vie basque est essentiellement simple et rustique, la langue basque, à son tour, doit exprimer, nécessairement, surtout les concepts simples et rustiques. On ne peut, sans lui faire violence, lui demander encore de rendre des complications sentimentalesou intellectuelles qui n'existent pas dans la vie dont elle est la formule. Si on veut l'euskara plus subtil, il faut que l'euskaldun le devienne aussi davantage. Le style c'est l'homme; la langue c'est la race. C'est pourquoi la première condition de respecter l'euskara c'est de ne lui faire traduire que la vie basque, la vie simple et patriarcale. Tel fut le mérite de Domingo de Agirre. A vrai dire, il n'y parvint pas du premier coup. Séduit, peut être, par le succès du célèbre roman espagnol, de Villoslada, Amaya le débutant voulut écrire en basque un roman historique des temps mérovingiens. Il fit choix de la vie de Sainte Rictrude dont il fit sa Fleur des Pyrénées (Auñemendiko Lorea) . L'oeuvre, couronnée en 1897 au concours organisé par la revue Euskalzale, n'atteignit pas le grand public. La langue se pliait mal à ces exposés d'histoire ancienne et torturait dans une déclinaison difficile les noms barbares de Chilpéric (Tsilperiko), Childebert (Tsildeberto), Theodoric, Bladaster, Adalbald et autres vénérables héros de l'époque. Agirre comprit son erreur et se tourna vers la vie moderne. Il devina qu'il est plus facile de rendre par la plume une vie observée directement que de la reconstituer d'après des mémoires de seconde main. La préface de Kresala nous prévient de ce changement de manière: «Bertan agertuko diran gizon da emakumeak eztira neure irudimenak asmau dituanak: oso itsua espanago eta amesetan ezpanabill, bizi biziak dira, Arrondonoko sardiñak legez; nik ikusi ditut Arranondon eta edonok edozeñ itsaserritan ikusi daikez». De fait, il suffit de lire dans Kresala les pittoresques portraits de Mañasi (p. 53), de Tramana et de Bris (p. 67), pour constater que ces types de femmes et de filles de pêcheurs ont bien été croqués tout vifs sur les muelles de Lequeitio et d'Ondarroa. Nulle évocation du passé n'aurait su nous rendre d'une façon aussi nette la physionomie de nos ports de la côte basque. Afin de saisir sur le vif scènes et personnages Agirrequitta le studieux cabinet où il avait tâché de faire du roman basque en compulsant les vieux livres d'histoire et gagna, son bréviaire et son parapluie sous le bras, les ruelles qui mènent au port. La méthode était bonne. Mêlé aux groupes de mariniers ou abordant les vendeuses de sardines et d'anchois, il fit à son tour bonne pêche: les expressions savoureuses, les récits pittoresques de la vie en mer, les portraits d'après nature encombrèrent bientót ses carnets. Le roman était fait: il ne restait plus qu'a l'écrire. Kresala sortit tout frémissant de cette vie journalière saisie à même la rue. Certaines pages sont passées presque sans retouche du carnet au manuscrit définitif. Ainsi cette scène du chapitre VIII où deux marchandes de poisson échangent leurs amabilités: «Otzarakada bat atunegaz etorrela, nasa gañean etozen emakumien artetik igarotean, bultzada bat emoeutsan otzara orregaz Brisek Tramanari, uste bage edo naita, ori eztakigu, bada era bietara gertatu zeikean. Tramanak, burua biurturik, ikusi eban bere arerioa ta asi jakon: ¿Nor da berau, ainbeste leku bear dabena? Erregiña delakoan, Bris zorgiña baño ezta. Tramanaren esan garratza entzun orduko, itsi eban Brisek lurrian bere otzarea, ipiñi zituan esku biak gerrian, da inguruetakoai begira, buruari eragiñaz, esaeban: Ara, ara oin be zelan asten dan, kaskamotz, zikin, urdiori. Ta arerioari ausarditsu arpegia emanda, jarraitu eban: Entzuizu, Traman zabala, atso popandia, ¿zein zorgintsutan ikusi nauzu neu? Zeu izango ziñan zorgintsuan, zeu, baña orditurik, eta ezenduzan esagutuko zeugaz ibiltzanak be zuk. ¿Ordituta, neu? ¿Zegaz gero ordituta? ¿Zeuri atzo amantalpetik kalean jauzi jatzun bonbillekoagaz? ¿Eee? ¿Zeeer? ¿Neuri bonbilla jauzi jatala atzo kalean? Guzurra diñozu, zaskil, zantar, tsarri, urde, zorritsu, lotsabageorrek. ¿Miñ emoten deutsu egiak, miñ? Alperrik ukatuko dezu ba, Marikontzek be ikusi zenduzan ba. Marikontze eskallu, tsatsala, eskel, petralari ta zuri, biori, arpegiko narruakenduko deutsuet nik, neure atzamarrakaz, lodia daukazue baña...» . Avec Kresala Agirre avait trouvé la veine du roman populaire basque. Ce premier essai dans la peinture des moeurs paysannes accuse quelques hésitations. De plus, le livre est écrit dans le dialecte biscayen, peu accessible aux lecteurs basques des autres provinces, Les termes techniques de pêche e't de marine arrêtént forcément la marche du récit. Agirre qui avait pu, à la faveur d'un long séjour à Zumaya, apprendre à fond le dialecte guipuscoan et observer les moeurs des laboureurs, voulut alors écrire un nouveau roman plus abordable à la masse des lecteurs, autant par la langue employée que par le choix du sujet. En 1909 la Revue internationale des Études basques commença la publication de Garoa. Le volume parut à Durango trois ans plus tard. Garoa est le chef d'oeuvre d'Agirre et la plus belle oeuvre d'imagination qui ait été écrite dans la langue basque. Autour d'une fragile intrigue l'auteur a su grouper tous les épisodes les plus charmants de la vie basque: les coutumes pastorales (ch. I et VII), les travaux des champs (II et IV), le four à, chaux (p. 22), la récolte du froment (p. 23), les noces (p, 50 56), le baptême et l'enfance (72 76), le marche, les aizkolaris (p. 84, 103). Toutes ces traditions invétérées de la race, avec le riche trésor d'expressions qu'elles renferment, devaient nécessairement fournir au romancier une mine inépuisable de mots varies et des plus purs. Aussi l'auteur a t il pu, sans recourir à cette abondance de néologismes qui rend certaines productions modernes si pénibles à lire, nous donner une oeuvre à la fois très littéraire et très compréhensible. A ceux qui prétendent que le basque est une langue pauvre je conseillerais de se reporter à la page 3 du roman où le mot «bruit» se trouve exprime en 20 mots différents ou encore à la description si minutieuse d'un intérieur de ferme (p. 15) ou enfin à ce paragraphe de la page 41 d'une allure tellement euskarienne queje le juge tout à fait intraduisible dans une langue indo européenne pour riche qu'elle soit: «Bi ama oiek les deux belles mères débattant le contrat de mariage ... egiñ zituzten egiñalak... alkar zuritzen ta zilibokatzen; biak galanki eskatu ta labur eskeñi zuten... eziñeike, badezakezu, eztaukagula, badezutela, eztanean ezta, nai danean al da, nondik baña, zenbat bada, geuk zer jango, nola biziko, bestiai zer emango; aserre ta adiskide, azkar ta makal, ezetz ta baietz, atzera ta aurrera, gora ta bera; baño, azkenean ere...erabaki ta korapillatu zan ezkontza...» Si vous voulez voir un docteur en grammaires s'arracher de dépit jusqu'à son dernier cheveu, je vous conseille de lui demander une analyse grammaticale de ces 8 petites lignes. En revanche il n'y a pas un baserritar, de Bassussarry â Sainte Engrâce et d'Ochagavia à Lequeitio qui n'en saissise du premier coup toutes les nuances. C'est de la plus pure littérature basque... de cette littérature qui «n'existe pas». * * * Le sujet rustique, abondant en expressions, accessible au génie du lecteur, tel fut le premier élément de succès qui servit si bien Domingo de Agirre. Il faut joindre le vocabúlaire simple, pittoresque et concret des personnages. L'écrivain n'a pas eu besoin de traduire à coups de dictionnaire des concepts lus ou puisés dans des langues d'un modisme différent, ni de calquer ses phrases sur des phrases étrangères. Il n'a eu qu'à recueillir les termes sortis des lèvres des paysans. Voilà pourquoi son oeuvre est populaire, voilà pourquoi elle est écrite en un style de pure composition euskarienne. Nous avons donné plus haut un exemple de ce dialogue monté en couleur (Bris et Tramana). Les laboureurs ont un langage plus fin, mais tout aussi typique. En regard de l'altercation entre sardinières que nous avons citée voyez cette dispute entre paysans: « Eztaietako tuntuna ta gurdien soñua aditzean, sorolanetan zeuden auzoetako nekazariak, gizon ta emakume, beren besoak atsur kertenaren gañean toleztatuta,begira gelditu ziran danak, urruti aldetik. Sorotik sorora asi zuten izketartea, deadarka: «Ufa! Zenbat gauza eder! Daukanak agertzen du bear danean!» «Eztu, ez, Ana Josepak toki tsarrera bota begia. Mikalla» andre ezkongaia bezelakoak gutsi!) Talo itsurako arpegi zabal borobill ta matralla gizen gorridun atsur neska batek: «Mikallak dirua ugari, dirua. Dirua kendu ezkero, ura besteko neskatsak badira.» Aldameneko agure zar alargun batek, parrez ta isil antzean: «Zeu bat ¿ezta Luisa? Zeu bat. Naigabetan zaude, gaisori, eztaietara deitu eztizutelako; baña zu ta ni ezkontzen geranean, geuk ere eztiegu deituko...» Luisak, aserre, suak arrurik eta sokorra joaz: «Jolaserako gogoan bizarra daukazute!» «Ez aldeitzazu ondo?» «Ezkon zaite Anbotoko zorgiñarekin, nai badezu!» . Agirre qui a su traduire avec une si belle vigueur les invectives des marchandes de poisson d'Arranondo excelle à noter les finesses du dialogue paysan entre gens de la maisonnée. Voici la prudente maîtresse de maison en butte aux assauts de ses petits enfants qui réclament des hardes neuves: Ama, dirua bear degu ba oraiñ ere. ¿Dirua? ¿Beti dirua? ¿Zertako? Manueltsori praka batzuk eta abarketak erosteko. Ama Kataliñek egingo dizka prakak eure batzuekin. ¿Jaiegunetarako ere bai? Baita. Ondo ederrak dauzkak jantzi naiezta ganbarako aga zarrean. ¿Ederrak, ama, atze ta aurre arabakiz beteak daudeta? Ezta ajola. Ta abarketak? Eztauzka oraindik aiñ zarrak. ¿Zarrak eztauzkala? Ator Manuel. Begira beio, Ama, ara nola biatzak agiri dituan. Josiko dizkat biarko. ¿Biatzak? Ara beste... argi iturri. Tsapelare beardu. ¿Zer? ¿Tsapela? ¡Aita ta semea!... ¿Noiz erosi nion nik azkenengoa? Oraiñ bi urte. Oraiñ bi urte ¿ta ostera tsapel berría? Ondatuko zendukete zuek Drotsillen aberastasunare. Ez berorren eskuetan balego. Nous terminerons cette série d'exemples par la jolie scène des «moustaches». On sait la répulsion qu'éprouvaient, jusqu'à ces dernierstemps, les Basques pour cet appendice rugueux qui coupe d'une barre hirsute le galbe plastique et lisse d'un beau visage d'homme. L'aieule Ana Josefa voit lui revenir, après plusieurs années passées en Castille, son fils Juan Andrés devenu un étranger: «Ez aiz mendikoa, (lui a dit le père dans un basque d'une belle concision). Eztidurik gutarra. Joan zaizkik emengo garo usaiak». A son tour la vieille etxeko andre, «le visage ridé», «avec un air perpétuel de fâcherie» adresse ses reproches au prodigue: Mutill, gauza batekin natsiok arrituta. ¿Zer ekarri dek or, españ gañean? Orisen da galdera. Bibotea. Bibotea? Kendu itzak bizar oiek ainbat lasterren. Gurean eztek orrelako zikinkiririk beñere izan ta. Bai zera kendu! (Beatzez igortziaz). Ondo egoki dauzkat. Egoki? Zertarako egoki? Sudurreko urentzat malatua egiteko? Kendu bearko dituk laster, edo ta bestela... Semeak etzituan kendu, baña Ana Josepak egin zion egitekoa. Juan Andrés lotan zegoan tsolartean, guraiza zorrotzez, trist, trast, moztu zizkion goi españeko bizarrak. ¡Ze demontre! ¡Fuera bizarrez! Zabaletan etzan biar biboterik. C'est ainsi que, dans les plus petits détails, Agirre note et défend les traditions de la race. Il relève les plus infimes sur un ton d'humour et de bonhomie et célébre les plus graves avec des accents profonds. Il revendique hautement le droit des parents à intervenir dans les questions de mariage de leurs héritiers: «Estira beti tsarrenak izaten gurasoak korapillatu dituzten ezkontzak» ; il chante la beauté morale de l'homme qui vit sur les hautes cimes: «Gizon tsarrak gutsitan mendi zale» ; il célèbre la poésie de la maison basque, entourée de ses dépendances «amari gonetatik eutsika dauden aurtsoak bezala» ; il relève d'une façon touchante la place de choix qui est faite au domestique dans la famille (pp. 51, 59) et celle qu'on donne à son enfant, quand il se marie, à l'égal des enfants de la maison (p. 74). Bref, c'est de la pure vie basque qui coule à pleinsbords dans les pages de son livre. * * * Enfin, un dernier élément de popularité dans l'oeuvre d'Agirre, c'est le charme naïf de sa pensée et de son expression, doucernent gaies et, enjouées. II excelle à exprimer de ces apophtegmes malicieux où se complaît l'esprit sentencieux du paysan: «Beti izan da gozoagoa auzoko janaria» . «Ezkongei daudenean, emakume guzxtiak onak dira: ezkonduta gero ¡erdiak balira!, . Ses comparaisons éveillent toujours un sourire: «Bigunago zegoan sasiko masustarik elduena baño» . «Soñu ori gurdiena ... erritarrentzat, asunarekiñ lepoan ikutzea bezala» . Le son des pièces d'or, à l'oreille de Mari Batista, la vielle économe, ont «un son meilleur que le braiement de notre âne» (p. 53); et pour dire d'une façon plus heureuse «attendre indéfiniment», l'écrivain caustique dit: «arbi loreak jayo arte, jusqu'à ce que fleurisse la fleur des raves» (p. 20). Toujours selon le goût des paysans, Agirre conduit son récit avec une lente sérénité. Il a décrit l'extérieur de la ferme. Il va passer à l'intérieur: «Toki aien barruan zer zegoan jakiñ bearrik bai alda? Eprouve t on le besoin de savoir ce qu'il y avait au dedans de ces lieux? Basetsetakoak badakite, baño ez itsastarrak: ezta, bada, aiñ gaizki etorriko auentzat emen zerbait jartzea. Les paysans le savent, mais point les habitants des plages: il ne viendra donc pas trop mal A ces derniers que nous en disions ici un mot». (p. 15). Agirre sait que le paysan basque rit volontiers des ivrognes. Les allusions vont jusqu'au jeu de mots: «Eztaietan jan galanki, edan galanki, ta gero mosk... Orra, orraba esan isillik euki bear nuana. Aux fêtes on mange raisonnablement, on boit raisonnablement, puis on se saoû... Le voilà le mot que je ne voulais pas dire!» (p. 22). Quelle physionomie de laboureur ne se dériderait à lire la conclusion du récit des noces d'Azkarraga? «Etzuten oker andirik izan: gizonen batzuk, iñoiz baño geyago ta adiskidetasun andiagoan itz egin bearra, lenbizi; dantzan egitekogogoa edo ezkonberrien alde itz neurtuak esan naia, urrengo; toteltasun apur bat geroseago; zuzen ibilli eziña illunabarrean... ta lo ederra, azkenez, oia arrapatu zutenak oian, ta Peru Odolkik Goinetseko soro ertzean.» . A cet humour pyrénéen il faut joindre, chez Agirre, un ton de modestie ingénue qui plaît et d'avance désarme la critique. Ecoutez la fin du prologue de Kresala: «Maintenant que j'ai relu mon travail en entier, je vois clairement qu'il est bien plus difforme que je ne l'avais cru. Rien de ce que j'ai fait ne m'a jamais satisfait: ce roman encore moins. Quand mon imagination le conçut, je ne me faisais point d'illusion, car je connais ma faiblesse: je savais qu'il serait frêle et sans substance, car son auteur est ainsi: mais pas au point où je le découvre maintenant.» On pourrait penser que le succès de ce premier roman de la vie rustique a dissipé les timidités du débutant. Il n'en est rien. Au début de Garoa, le romancier note la faveur qui accueillit son oeuvre mais son pessimisme ne désarme pas: «Je suis Garoa, le jeune frère de Kresala... A mon aîné les Basques firent bon accueil. Aujourd'hui on applaudit à tout, et on l'applaudit parce qu'il avait poussé en pays basque. Mais moi, je ne viens pas chercher les applaudissements... Comme la pauvre fleur d'entre les épines, j'ai l'air d'une fragile plante de peu de soleil... Comme dit mon père. Kresala et moi nous sommes l'oeuvre d'un homme de peu d'envergure, des avortons; et notre père nous connaît bien. Avant ma naissance il croyait que je serais quelque chose; mais quand je suis né, comme il m'emportait à la prairie, il est resté à me regarder et il m'a vu sur la peau bien des tares, une faiblesse insoupçonnée dans les flancs. Malgré cela vous ne me ferez pas mauvais accueil. On ne regarde jamais de méchant oeil l'humble et le petit. Et de plus, lecteur, on n'obtient pas ce qu'on voudrait: on fait ce que l'on peut. Il naîtra, en basque, de belles oeuvres, grasses et fortes. Qu'elles viennentdonc, et le plus tôt sera le mieux. Qui sait si, en me voyant si débile, vous ne voudrez pas, à voire tour, faire une oeuvre plus forte? En attendant, prenez moi tel que je suis. Allons! Voici Joannes le berger. Ouvrez lui la porte. Etendez lui un peu de feuillée...» Agirre est mort avant d'avoir pu nous donner l'oeuvre décisive que promettaient des essais de plus en plus sûrs. Ce roman de Ni ta ni dont l'auteur nous entretenait naguère, dans nos promenades solitaires sur la route de Zumaya à Guetaria, reste inachevé. Mais nous sommes persuadé que le sillon par lui tracé ne sera pas comblé sous la poussière de l'oubli. Agirre a été un initiateur. Il a frayé la voie aux romanciers et aux poètes de demain. Une jeunesse ardente a lu ses livres. Elle rêve de nous donner mieux encore. Qn'elle s'attache au filou découvert, par l'humble chapelain des Carmélites de Zumaya. Saint Paulin de Nôle, dans l'une de se; Epîtres, donne à ses disciples ce joli conseil: «Operare et excole hanc regionem terroe tuoe frater, ut germinet tibi frugem fertilem, plenam adipe frumenti. Travaille, ô mon frère, et cultive cette terre de ton petit pays: elle te rendra une moisson fertile, pleine de la moelle du froment.~ Qu'ils exploitent donc «la terre du petit pays» les écrivains basques de l'avenir; du «petit pays» avec ses moeurs, ses traditions, son génie. Qu'ils puisent aux sources qui jaillissent de nos montagnes et coulent par nos vallées! Que si, parfois, la lassitude les prend, dans cette tâche fruste et sans éclat, Agirre, par delà le tombeau leur fera entendre le mâle conseil qu'il a placé dans la bouche de son chef de maison secouant les fils endormis sur la glèbe, ce conseil dont l'Académie basque s'est inspirée pour en faire sa devise: «Asi ta ekiñ, EKIÑ ETA JARRAITU, aurrera ta aurrera beti! (p. 25). Commencer et parfaire, parfaire et poursuivre, en avant, toujours en avant!». PIERRE LHANDE. de l`Académie de la Langue basque (1) Bilbao, 1898. (2) «Les hommes et les femmesqui vont apparaître ici ne sont point de ceux qu'aurait pu inventer mon imagination. Si je ne suis point aveugle et si je ne rêve point debout, ils sont «tout vivants» y, comme les sardines d'Arranondo: je les ai vus à Arranondo et le premier venu pourrait les voir dans tout village du bord de la mer» (Kresala. Durango, 1906. p. 10). (3) «Comme Bris passait parmi les femmes qui encombraient la digue, en portant une corbeille de thons, elle bouscula Tramana avec son panier, sans le vouloir ou le voulant, cela nous ne savons, car les deux hypothèses sont plausibles. Tramana s'étant retournée vit son ennemie et elle lui jeta: «Qui êtes vous, pour tenir tant de place ? Avec vos airs de reine, vous n'êtes qu'une sorcière!» Quand Bris entendit la cinglante apostrophe de Tramana. Elle posa sa corbeille à terre, planta ses deux mains sur ses hanches et regardant tout autour d'elle tandis qu'elle hochait la tête, elle dit: «Entendez vous cette pelée, cette malpropre, cette ivrogne?» Et dressant vers sa rivale sa face insolente elle poursuivit: «Ecoutez, vous, la vaste Tramana, vieille haridelle à la grande poupe. dites moi: où m'avez vous vue exercer la sorcellerie? C'est vous qui en faites, mais saoûle au point de ne pouvoir reconnaître ceux qui vont avec vous» «Saoûle? moi? Avec quoi me serais je saoûlée? Avec ce qu'il y avait dans le flacon qui vous est échappé de dessous le manteau, hier, dans la rue?» «Quoi? Comment? que j'ai laisse tomber un flacon hier dans la rue? Vous mentez le mensonge! sale! dégoûtante! porc! truie! pouilleuse! éhontée!» «La vérité vous offense, hein?Elle vous fait mal! C'est en vain que vous nierez. Marikontze vous a bien vue!» «Marikontze? cette goujate, cette gueuse, cette bavarde! Je vais vous arracher la peu de la figure à toutes deux avec les ongles, vous l'avez assez grosse pour cela!» (Kresala pp. 67 68). (4) En entendant le bruit du tambourin et des chars, les laboureurs qui vaquaient aux travaux des champs, hommes et femmes, appuyantleurs bras sur le manche de la pioche, s'arrêtèrent à regarder... Le dialogue commença à s'élever, de champ à champ, de loin, à grande voix: «Oh! Que de belles choses! Ah! Celui qui possède sait bien le montrer à l'occasion!» Vraiment Ana Josefa n'a pas jeté les yeux à un mauvais endroit! Il y a peu de filles como Mikalla la francée .» Une fille de ferme aux grosses joues rouges et à la large figure ronde comme un pain de maïs, dit: «L'argent! Voilà ce qu'elle a pour elle, Mikalla, l'argent! Otez lui l'argent et vous trouverez bien des jeunes filles qui valent Mikalla!» Un vieux laboureur, veuf depuis de longues années, qui travaillait près d'elle lui dit à mi voix: «Et vous en êtes une, n'est ce pas, vous, Luisa? Pauvre petite! Vous êtes contrariée parce qu'on ne vous a pas invitée à la noce? Mais, soyez tranquille! Quand nous nous marierons vous et moi nous n'inviterons pas non plus ces gens là»... Luisa, furieuse, la figure toute en feu et frappant le bouvillon riposta: «Vous avez bien la barbe à vous amuser, vous, aujourd'hui!» «Est ce que cela ne vous paraît pas bien?» Eh! mariez vous avec la sorcière du mont Anboto, si vous voulez!» (Garoa, pp. 44 45). (5) Grand'mère, il nous faut encore de l'argent. De l'argent? Toujours de l'argent? Pourquoi? Pour acheter à Masueltso des culottes et des abarkas (espadrilles). Maman Catherine lui fera des culottes avec quelqu'une des tiennes. Et pour les jours de fête aussi? Aussi. Tu en as de fort convenables, que tu t'obstines à ne pas mettre, sur la vieille perche de la chambre. Convenables? grand'mère! Elles sont pleines de reprises par devant et par derrière! Cela n'y fait rien. Et les abarkas? Celles qu'il porte ne sont pas tellement vieilles. Qu'elles ne sont pas vieilles? Viens ici, Manuel. Regardez donc, grand'mère. On lui voit les doigts au jour. Je les. lui coudrai pour demain. Quoi? les doigts? Allons ¡bon! voilà une autre fenêtre! Il lui faut aussi un béret. Hein? Un béret? Jésus Marie! Quand donc lui avait je acheté le dernier? Il y a deux ans. Il y a deux ans. Et déjà un nouveau béret? Mais vous dilapideriez la fortune d'un Rotschild! Oh!... pas si elle était entre vos mains! (Garoa, pp. 29 30). (6) Tu n'es plus celui de la montagne, celui de chez nous Tu as perdu nos parfums de fleur de maïs. (p. 116). (7) «Garçon, je dois te dire une chose qui me tourmente. Que nous as tu porté là, sur la lèvre? En voilà une question! Eh! la moustache! La moustache? Enlève moi ces poils là au plus tôt, Chez nous on n'a jamais porté de pareille saleté Ah bien oui? enlever la moustache! (La frisant entre les doigts). Elle me sert trop bien! Eh! de quoi donc? de canal pour les humeurs nasales? Il faudra que tu rases cela bien vite, sans quoi...» Le jeune homme n'en fit rien, mais Ana Josefa lui règla sou affaire. Pendant que Juan Andrés dormait elle lui coupa, cric crac, avec des ciseaux bien affilés les poils de la lèvre supérieure Que diable! A bas les poils! Chez les Zabaleta il ne fallait pas de moustaches! (Garoa, pp. 117 118) (8) Ils ne sont pas toujours le plus malheureux, les mariages qui ont été faits par les parents (p 42) (9) Les hommes méchants sont rarement montagnards (p. 10). (10) Comme les petits, pendants aux jupes de leur mère (p. 14). (11) La cuisine du voisin a toujours meilleur goût (p. 32). (12) Avant de se marier toutes les femmes sont bonnes: une fois mariées... s'il y en avait la moitié de bonnes ! (p. 34). (13) Elle était plus mielleuse que la mûre de la haie la plus à point. (p. 40). (14) Le grincement des chars, pour les gens de la ville, c'est comme si vous les touchiez au cou avec des orties. (p. 43). (15) Il n'y eut pas de grand accroc: d'abord certains hommes qui éprouvaient le besoin de se parler plus fréquemment et plus intimement que d'habitude; puis la démangeaison de danser et d'adresser des couplets aux nouveaux mariés; un peu plus tard, quelque bégaiement;vers la nuit, la difficulté pour marcher droit... Enfin tous firent un beau somme, ceux qui purent trouver leur lit, dans leur lit. et Peru Odolki l'ivrogne au beau milieu de la prairie de chez Goyeneche! Garoa, (p. 51) Euskonews & Media 148.zbk (2001/12/21 2002/01/04) Eusko Ikaskuntzaren Web Orria