319 Zenbakia 2005-10-21 / 2005-10-28

KOSMOpolita

Iholditik Arizonara 1952-1959. Les chants basques de Charles Uhalde

MEHATS, Claude



Les chants du poète bas-navarrais Charles Uhalde, exilé aux États-Unis, viennent d’être publiés dans une version bilingue, présentée et traduite en français par Claude Mehats. De quoi, pour les bascophones, retrouver la musicalité d’une langue qui se coule sans effort dans la forme versifiée, sans pour autant abuser ni des facilités du basque ni des rigueurs de la forme. Dans une traduction exemplaire, on retrouve l’univers d’un jeune Basque du milieu du XXème siècle, tantôt en peine dans un morne exil sur les plaines de l’Idaho, tantôt sous les drapeaux "en prenant avec patience la peur de la guerre, les contrariétés". "Arrive ce qui arrive, il vaut mieux chanter que de pleurer" annonce alors Charles Uhalde. Et il le fait. Chants d’espoir, de peine, d’amour et d’amitié ou encore compositions destinées à concourir dans l’hebdomadaire Herria, Charles Uhalde écrit trente-sept poèmes entre 1952 et 1959.

Né en 1930 à Iholdy, dans la maison Barnetxea, c’est en écoutant le berger d’Urepel Fernando Aire « Xalbador » improviser que lui est venu l’amour de cette forme de chant. Les bertsulari se produisaient alors à Iholdy pour les fêtes patronales, où les bals étaient interdits pour les jeunes filles. Un hommage austère pour le Saint, patron du village, un certain Saint-Jean Baptiste qui, selon la tradition chrétienne, perdit la tête au sens propre à cause de la princesse adultère Herodias. Pas de quoi impressionner Charles Uhalde qui reste dans le figuré pour compter fleurette à sa douce, avec un mélange de gaillardise, d’audace et de dévotion. Signe d’un temps où, au coeur du Pays-Basque, la déclaration sauvage d’une ardente passion restait entre quatre murs et priait "la plus précieuse des fleurs pour illuminer la cuisine". Dans les divers thèmes qu’il aborde, Charles Uhalde garde la fraîcheur de son langage spontané, d’une jeunesse où s’affirment la bonne humeur et l’ironie, la satire et la verve juvénile qui viennent traverser et défaire avec bonhomie les thèmes conventionnels et bien-pensants. Un style propre auquel l’ouvrage ajoute une notice biographique, histoire de mieux apprécier cette vie d’exil qui marque le pas des Basques au milieu d’un siècle passé.

Depuis sa présentation à Iholdy, l’intérêt pour cet ouvrage n’a pas faibli. Le responsable de la maison d’édition labourdine Maiatz, Lucien Etxezaharreta expliquait ce jour-là l’importance d’un ouvrage mêlant à la fois tradition et modernité, mais aussi celle d’un premier outil bilingue pouvant permettre aux non-bascophones d’accéder à ce type de littérature dite « populaire » et qui doit donc le rester. Le bertsulari d’Armendaritz, Ernest Alkat, participa aussi à la présentation, insistant pour sa part sur le modèle que peut représenter Charles Uhalde envers les plus jeunes improvisateurs et en entonnant devant un public ravi le chant « Eisenhower eta ni » qu’il poursuivit par des improvisations personnelles après la troisième strophe. C’est ensuite Terexa Lekumberri qui prit la parole au nom de l’institut culturel basque en dévoilant le projet d’organiser en 2006 un kantaldi spécial reprenant ces compositions inédites.

Enfin, il s’agit là d’un ouvrage aux multiples possibilités de lecture. Sans prétentions et facile à lire, il peut procurer tous types de sensations et sentiments. D’une qualité linguistique et littéraire approuvées en préface par le professeur d’université Jean-Baptiste Orpustan, malgré sa récente date de parution, sa vigueur l’entraîne sur les bancs de nos lycées et collèges où il devient aussi un outil utile pour des cours allant de la littérature à l’histoire.

Pour la période estivale et festive qui se prépare, en voici un extrait :

Plaza batean Arizonan, Holbrooken egina da 1958-ko agorrilean.

Plaza batean est un chant qui a été écrit en août 1958 à Holbrook, en Arizona. Plaza batean Sur une place

Airea : Igande arrats etziño batez

Air : Le surlendemain d’un dimanche soir

1. Agur jendiak eta besta on koblak jin zaizkit burura

Nola frangotan gerthatzen baita ez naizelarik barura

Hoin alegera denak ikusiz ahalgetu zaiku ura

Haren lekuan edan baitugu delako arno on hura.

Bonjour tout le monde, et bonne fête, des strophes me sont venues à l’esprit ! Comme il arrive souvent quand je ne suis pas à jeun, En nous voyant tous si joyeux, l’eau a eu honte, Car à sa place nous avons bu ce bon vin-là.

2. Preparatua nuzu errotik besta huni buruz

Bazkari on bat egin ondoan errech da hastia kantuz

Hustu ditugu bortz pinta arno guziek elgar lagunduz

Hiru baginen han mahainean oilaskore kundatuz.

Je me suis préparé à fond pour venir à cette fête, Après avoir fait un bon déjeuner, il est facile de se mettre à chanter, En s’entraidant tous nous avons vidé cinq litres de vin. Nous étions trois à table là-bas en comptant aussi le poulet.

3. Bainan barnetik doi bat herabe naiz jostatzaile jarria

Beldurrez eta gaitzikor batek bota dezadan harria

Jorratu nahi kausitu nahi ni naiz urrikalgarria

Unts’ikasiak balin bazizte egin zazue irria.

Mais en moi-même, j’ai un peu honte de faire l’amuseur, Pour que quelque susceptible me jette la pierre. Voulant critiquer et bien toucher, c’est moi qui suis à plaindre Si vous êtes bien élevés, mettez-vous à rire !

4. Koblari batek duen omena jenden eskuetan dago

Balio badu entzun dezagun edo bere gisa bego

Jaun Andereak maite nauzue jin zirezte jende frango

Gillotinatu beharra banintz jinen zuzun gehiago. La renommée d’un versificateur est entre les mains des gens, S’il a de la valeur écoutons-le, ou laissons-le de côté. Messieurs, Mesdames, vous m’aimez, vous êtes venus nombreux, Si j’avais eu à être guillotiné, il en serait venu davantage !