318 Zenbakia 2005-10-14 / 2005-10-21

Gaiak

Jules Verne (1828-1905), ou le voyage dans l’espace et le temps

DUPUY, Lionel

« Mon but a été de dépeindre la Terre, et pas seulement la Terre, mais l’univers, car j’ai quelquefois transporté mes lecteurs loin de la Terre dans mes romans. »

Jules Verne, 1894.

Nous célébrons ainsi cette année le centenaire de la mort de Jules Verne. Auteur l’un des plus traduits dans le monde, son ½uvre demeure pour autant encore mystérieuse à bien des égards. Son roman « De la terre à la lune » (1865) décrit, avec les moyens de l’époque, ce qui constituera la plus grande aventure du XX° siècle. De la même sorte, « Vingt mille lieues sous les mers » (1869) préfigure nos actuelles explorations sous-marines, rendues célèbre par le commandant Cousteau (une réincarnation du capitaine Nemo… ?). Ces deux exemples, parmi tant d’autres que nous pourrions évoquer, témoignent incontestablement de la richesse d’une ½uvre trop souvent cataloguée dans la série « Littérature de jeunesse ». Certes, cette littérature était destinée d’abord pour les enfants, mais il ne s’agit pas pour autant d’un principe exclusif. La redécouverte actuelle de Jules Verne, autant dans le monde francophone qu’anglophone, s’accompagne d’un regain d’intérêt pour les « Voyages Extraordinaires », partie la plus médiatisée des 80 nouvelles et autres romans écrits par Jules Verne. La richesse d’une ½uvre mal connue…

L’½uvre de Jules Verne peut-être abordée ainsi sous de nombreux angles : fantastique, imaginaire, mythologique, littérature de jeunesse, voyages, découvertes, etc… Jules Verne c’est tout çà à la fois, mais bien plus. Il est avant tout un homme de son temps, intelligent, curieux de tout ce qui se passe autour de lui dans le domaine scientifique et technique, et dont la volonté est de traduire de manière ludique et pédagogique les dernières découvertes et autres conséquences plus ou moins heureuses de la Révolution Industrielle et des Transports. Il n’est pas un visionnaire, c’est un homme qui a su extrapoler avec intelligence dans l’espace et dans le temps les possibilités offertes par la science et la technique de son époque…

L’½uvre de Jules Verne repose donc sur un triptyque associant d’une part les dimensions fondamentales de l’espace et du temps (la géographie et histoire sont les disciplines qui ont pour objets fondamentaux respectivement l’étude de l’espace et du temps), les derniers progrès en matière de science et de technique (Jules Verne essaie, dans le cadre de ses romans, de diffuser de manière ludique et amusante les dernières avancées en matière de science et technique) et les dimensions de l’imaginaire et du fantastique (qui donnent un caractère extraordinaire aux voyages décrits dans les romans). C’est de la dialectique de ces trois ensembles que naissent les « Voyages Extraordinaires » (cf. schéma). Les dimensions de l’espace et du temps au c½ur des Voyages Extraordinaires

Les dimensions de l’espace et du temps sont donc fondamentales dans l’½uvre de Jules Verne. Cela est d’ailleurs fort logique compte-tenu que l’objectif de l’auteur est de mettre en scène des situations diverses qui se déroulent le plus souvent dans le cadre de voyages (plus ou moins extraordinaires). Mêler le scientifique et le géographique, tels sont ainsi les objectifs avoués clairement par l’auteur et son éditeur concernant la série des « Voyages Extraordinaires » : son objectif est ainsi de « résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques amassées par la science moderne et de refaire [. . .] l’histoire de l’univers” (avertissement de l’éditeur, dans Voyages et aventures du capitaine Hatteras, 1866).

Tous les thèmes possibles seront ainsi exploités : la recherche du centre de la terre (« Voyage au centre de la terre »), faire le tour du monde en un temps record (Le tour du monde en 80 jours), la découverte de la lune (De la terre à la lune), la découverte des fonds marins (Vingt mille lieues sous les mers), la robinsonnade (L’île mystérieuse), le fantastique (Le château des Carpathes), etc…

L’humour n’est pas en manque dans les romans de Jules Verne, et parfois la pertinence des propos tenus est toujours aussi surprenante un siècle après. Ainsi, dans « Cinq semaines en ballon » (1863) fait-il dire à l’un de ses héros :

« - D’ailleurs, dit Kennedy, cela sera peut-être une forte ennuyeuse époque que celle où l’industrie absorbera tout à son profit ! A force d’inventer des machines, les hommes se feront dévorer par elles ! Je me suis toujours figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense chaudière chauffée à trois milliards d’atmosphères fera sauter le globe ! - Et j’ajoute, dit Joe, que les Américains n’auront pas été les derniers à travailler à la machine. »

Nombreux sont les romans de Jules Verne qui ont une forte dimension initiatique et mythologique. Le principe même du voyage constitue déjà un préalable à cette dimension. Intéressons-nous ainsi plus particulièrement à ces dimensions de l’espace et du temps dans son ½uvre, et notamment en s’appuyant sur quelques-uns de ses plus célèbres romans.

Voyage au centre de la terre (1864) constitue un bon exemple de mélange entre réalisme et imaginaire. Plus qu’un voyage au centre de la terre, il s’agit d’un voyage dans le temps que nous propose l’auteur. Se retrouvant à 120 kilomètres sous terre (environ), les héros découvrent un univers totalement différent de celui qu’ils ont quitté, à savoir des écosystèmes correspondant plus à ceux des époques préhistoriques et antédiluviennes qu’à leur mode de vie typique de la fin du 19° siècle.

De la terre à la lune (1865) est l’archétype de l’½uvre d’anticipation. Pour autant, et malgré cette affirmation, Jules Verne a-t-il réellement fait preuve d’anticipation, ou est-ce son imagination qui a été rattrapée un siècle plus tard par la réalité ? Le sous-titre, quant à lui, n’en est pas moins tout aussi intéressant : « Trajet direct en 97 heures 20 minutes... », surtout quand nous savons que la mission APOLLO 11 (du 16/07/1969) relia la terre à la lune en 102 heures, 45 minutes et 40 secondes, et que le départ se déroula en Floride...

Dans Le tour du monde en 80 jours (1873), les dimensions de l’espace et du temps sont fondamentales dans cette expédition circumterrestre. Ce voyage est aussi doublement, voire triplement temporel, car d’abord le temps imparti est connu (80 jours), qu’ensuite l’observation des pays traversés permet de mettre en évidence des décalages dans les évolutions géo-historiques (les héros ont ainsi parfois l’impression de remonter le temps) et qu’enfin la victoire n’a lieu que grâce à ce fameux décalage horaire (rendu possible par le fait que les héros voyagent d’ouest en est).

Vingt mille lieues sous les mers (1869) est à l’instar du tour du monde en 80 jours une véritable expédition circum-maritime, un voyage dans le temps mais mesuré avec des lieues terrestres… D’ailleurs l’emploi massif de métaphores terrestres pour décrire les richesses de la mer témoigne parfaitement, concernant l’auteur, de la difficulté de parler d’un univers (les fonds sous-marins) à la fois aussi proche et aussi éloigné de l’homme (surtout il y a un siècle). Comme vous pouvez le constater, l’½uvre de Jules Verne n’a pas fini de nous étonner, et 2005 constitue sans aucun doute l’occasion de redécouvrir cet auteur si fantastique…