Face à la mondialisation des échanges économiques, à l’uniformisation des cultures, une prise de conscience du danger de la disparition des langues régionales de France commence à s’installer dans l’opinion publique. Ainsi le basque en Iparralde et l’occitan gascon sont deux langues menacées. La défense des langues et des cultures participe du même mouvement que la protection du patrimoine architectural ou plus récemment, par exemple, de la biodiversité.
Dans une première partie, le lecteur découvre le contexte au plan national français, avec la législation récente : le rajout à l’article 2 de la Constitution de 1992 qui dit que la langue de la République est le français, rajout que l’Assemblée Nationale vient tout juste encore de refuser d’amender, et la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. Ce cadre juridique devait protéger le français de l’anglais mais, en fait, il a peu d’effet et est surtout systématiquement invoqué pour bloquer toute avancée en faveur de la sauvegarde et du développement des langues de France autre que le français. Comme toutes les langues régionales, le basque et l’occitan n’ont aucun caractère officiel. Ces langues sont simplement reconnues par l’Éducation nationale comme langues pouvant bénéficier d’un enseignement à titre facultatif, sur la base du volontariat.
Les clichés et préjugés qui entourent ces langues sont nombreux et encore vivaces. Le lecteur en découvre toute la palette. Il s’étonnera d’observer que les pouvoirs publics français prônent à l’étranger la diversité culturelle et le plurilinguisme, pour défendre la place du français, mais mènent une politique inverse en France. Le français n’est pas en danger en France, le basque l’est en Pays Basque et le gascon en Gascogne.
Dans la deuxième partie sont présentées les différentes enquêtes sociolinguistiques qui ont été menées pour évaluer la connaissance et la pratique du basque et de l’occitan gascon. Ces langues sont des langues en danger. Elles sont de moins en moins transmises en famille et l’enseignement qui se développe, surtout celui du basque, ne compense pas la disparition des locuteurs naturels âgés. De 1991 à 2001, on est passé pour l’ensemble du Pays Basque selon les enquêtes sociolinguistiques de 529 000 bilingues (22,3 %) à 634 000 bilingues (25,4 %) ; en Euskadi les progrès sont un peu plus nets. Pour le Pays Basque de France, Iparraldea, on est passé à l’inverse de 69 000 bilingues (33,1 %) à 55 000 bilingues (24,7 %).
Cette différence s’explique par la mise en place d’une politique linguistique publique volontariste par le Gouvernement autonome basque, avec entre autres actions un enseignement généralisé de la langue basque en maternelle et primaire. Les deux analyses successives de cette politique faites par le sociolinguiste Joshua Fishman en 1991 et 2000 sont présentées. Dans l’ouvrage de 2000, ce sont Maria-Jose Azurmendi, Erramun Bachoc et Francisca Zabaleta qui signent l’analyse. Ils considèrent que, malgré les efforts, la situation s’est peu améliorée si l’on considère l’étape cruciale de la transmission naturelle de la langue (étape 6), surtout en Navarre et encore plus en Pays Basque de France où elle s’est même détériorée.
En Espagne, après la chute du régime franquiste, les langues autres que le castillan ont été reconnues langues officielles. En France, on l’a dit, rien de tel, et c’est grâce au travail sans relâche, obscur, parsemé d’obstacles de tous ordres, des associations militant en faveur de la langue basque que de nombreux chantiers dans le champ de la politique linguistique ont été ouverts, alors que les pouvoirs publics se contentaient de les observer et parfois de s’opposer à leur action (les ikastolas ou les calandretas, écoles d’enseignement par immersion, l’enseignement aux adultes, les radios associatives en langue régionale, etc.). Ce sont les associations qui ont mis sur la place publique la problématique des langues et amené progressivement élus et grand public à la prise de conscience du danger dans lequel se trouvaient le basque et l’occitan.
Et, depuis quelques années, une collaboration s’est mise en place en Iparralde entre les collectivités et les associations devenues maîtres d’½uvre contractualisés d’actions validées par la puissance publique dans le cadre de la Convention spécifique Pays Basque. Il s’agit maintenant de dépasser le stade des actions dispersées pour arriver à mettre en place une politique linguistique élaborée collectivement entre commanditaire et prestataire, planifiée, avec des objectifs fixés, quantifiés et ensuite évalués. Pour cela l’implication du troisième partenaire, le bénéficiaire, la société civile, est indispensable et cet aspect est encore à améliorer. L’attitude des pouvoirs publics reste également encore ambiguë malgré les discours. Ainsi, en dépit des promesses, la politique actuelle de restriction budgétaire au plan national empêche le développement de l’enseignement des deux langues, alors que la demande des parents est forte. La création fin 2004 de l’Office public de politique linguistique Euskara est une avancée au plan formel, mais sans volonté forte des pouvoirs publics il risque de n’être que de peu d’utilité.
Au strict plan de la connaissance et de l’usage, basque en France et occitan sont dans une situation assez comparable. C’est plutôt au niveau de l’attachement identitaire, de l’engagement des associations et dans une moindre mesure de la société, du développement de l’enseignement, des premières actions publiques de politique linguistique et du contexte extérieur que la langue basque bénéficie d’une situation plus favorable. L’occitan ne bénéficie pas du soutien d’une institution extérieure, comme le basque en Iparralde avec celui du Gouvernement autonome basque.
La fin de l’ouvrage est consacrée à la présentation simple de principes théoriques et méthodologiques propres à « inverser le glissement linguistique » (Reversing Langue Shift, Fishman). Puis une série de propositions est exposée, souvent déjà faites par les associations, toutes réalisables si la volonté politique est là. Développer l’enseignement ne suffit pas, la langue ne doit pas être seulement objet d’étude. Dans les conditions actuelles de la vie moderne, pour pouvoir se développer, être langue d’usage, elle ne peut être cantonnée à la vie privée ; elle doit trouver sa place dans différents domaines de la vie publique. Même à cadre législatif constant, nous pourrions être beaucoup plus avancés, comme le montre la diversité des attitudes et des actions des collectivités dans les régions de France ayant une langue propre. A côté de l’attachement culturel et du sentiment identitaire, il faut encore montrer que connaître le basque ou l’occitan sont utiles. Le mouvement actuel de migration des populations, le libre mouvement des personnes et des biens, va se poursuivre et Iparralde comme la Gascogne sont des terres d’accueil. On a là un autre enjeu. Comment faire pour que l’identité basque ou gasconne ne soit pas diluées et que les nouveaux arrivants comprennent eux aussi toute la valeur et l’intérêt de ces langues ?
On le voit les défis sont nombreux. L’objectif général est d’arriver à une cohabitation des deux langues dominante et dominée, plus ou moins équilibrée où l’euskara et l’occitan trouveront une place dans certains domaines de la vie privée et publique qui leur permette de vivre, d’être la langue transmise par un plus grand nombre de familles, et, au plan personnel, à ce qu’un nombre toujours plus important de personnes soit au minimum bilingue français / basque ou occitan. Reconnaître le monde plurilingue et la société à français dominant tels qu’ils sont et trouver des réponses adéquates, tel est notre principal défi. Politique linguistique - Langue basque et langue occitane du Béarn et de Gascogne s’adresse d’abord bien sûr aux Basques comme aux Gascons, mais au-delà au curieux, à l’honnête homme, à tous ceux soucieux de ce patrimoine immatériel irremplaçable que sont les langues. Ayant pris connaissance du contexte dans lequel vivent les deux langues et la mesure des obstacles qu’il faut surmonter, le lecteur sera lui aussi convaincu de la nécessité d’inverser le glissement linguistique.