123 Zenbakia 2001-05-18 / 2001-05-25

Elkarrizketa

Charles Carrère: "Ce qui me motive, c'est la recherche de la plastique et que le thème que j'illustre soit tiré des Saintes Ecritures... Après, ce n'est pas à moi de faire les commentaires..."

HONTAAS, Sophie

Elkarrizketa: Charles Carrère Charles Carrère, maître verrier "Ce qui me motive, c'est la recherche de la plastique et que le thème que j'illustre soit tiré des Saintes Ecritures... Après, ce n'est pas à moi de faire les commentaires..." * Traduction au français de l´original en basque Sophie Hontaas Charles Carrère, maître verrier d'Anglet, a accepté de d'évoquer de son œuvre. Au détour de la présentation de ses réalisations, il se livre avec beaucoup de pudeur : ses débuts dans l'ombre de Lesquibe, ses premiers vitraux, sa culture religieuse d'où naît une étonnante densité d'illustration, sa technique : la dalle de verre, sa plus grande réalisation à l'Ile de la réunion : 18 vitraux...et aussi, ce qui motive ses créations, religieuses ou non, son regard sur ce qu'il aime. Voici l'univers de Charles Carrère. Les débuts Charles Carrère, comment a débuté votre rapport à l'art? J'ai commencé à dessiner avec Louis Frédéric Dupuis en 1941 à l'école municipale de dessin et de peinture de Bayonne, en cours du soir jusqu'en 1948. En 1943, j'ai commencé à peindre, en 1944 j'ai quitté l'école à la fin du brevet élémentaire et en 1945 début 46, j'ai commencé l'apprentissage du métier de vitrailliste. Le maître verrier est celui qui est indépendant dans son atelier, et avant il y a l'apprenti, le compagnon, puis le maître. Je suis resté avec Lesquibe jusqu'en 1976 soit pendant trente ans, j'ai « exécuté » Lesquibe. Qui était Lesquibe? Un verrier qui a commencé à travailler en 1927 à Paris dans des grands ateliers parisiens, notamment chez Gaudin où il a appris la mosaïque et le vitrail en dalle de verre et il a importé ces deux technique ici, à Anglet. Il a réalisé les vitraux de la mairie d'Anglet et a vraiment commencé avec l'exposition universelle de 1937. Moi j'ai été son exécutant et en 1976 j'ai commencé à réaliser mes propres vitraux en dalle de verre et mosaïque. Je faisais de la restauration et de la création, maintenant je ne fais plus que de la création. Je vaisvous monter les vitraux de Saint Léon d'Anglet, une église démolie à Bayonne et transportée ici pierre par pierre au XVIe siècle. Les vitraux avaient été endommagés. Une série de combien de vitraux? De 18 vitraux de tailles différentes. Une verrière en deux lancettes et un écoinçon qui représente la Croix, arbre de vie, avec les cinq plaies du Christ, l'échelle pour la descente de Croix, le rouge qui symbolise le manteau de dérision et le roseau vert, opposé au bois mort qui est ici, dans la liturgie du Vendredi. Les ténèbres du Vendredi Saint deviennent rouges. Dans l'écoinçon, on passe au soleil de Pâques, à la résurrection et après à la Croix et à l'Eglise, un grain de Senevé donne un grand arbre. La culture religieuse Cette culture religieuse, que vous exprimez dans votre travail, vous vient d'où? Dans l'enfance, je suis allé à l'école de la rue de Luc à Bayonne chez les Frères aux Ecoles Chrétiennes. On a étudié le catéchisme, l'histoire sainte pendant dix ans. Après, il y a aussi tout ce que j'ai appris depuis. La lecture aussi? Oui, la lecture, le métier L'observation de la nature? Oui pour la peinture... Voilà un vitrail où est traitée la question de la nourriture : une sorte d'arbre avec de nombreux fruits, c'est l'arbre dont on pourrait manger les fruits dans le paradis terrestre. Il y avait deux arbres : l'arbre de la science, du bien et du mal qu'il ne fallait pas toucher et l'arbre couvert de fruits, nourriture gratuite pour tout le monde. En haut, j'ai placé un lis des champs car Salomon lui même dans toute sa gloire n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux (Mathieu 6 28). En bas dans un panier c'est un artéfact, c'est le panier, fruit du travail des hommes. C'est vraiment une illustration du verbe? Oui, regardez encore : Ici, c'est le banquet avec la coupe débordante du psaume 23 (le Seigneur est mon berger), le pain et le vin, le poisson qui est le symbole du Christ qui se donne lui même en nourriture et cela rappelle la parabole des cinq pains et destrois poissons. Ici c'est le moulin mystique : pour broyer le blé et faire de la farine tandis que le pressoir mystique sert à faire du vin. Cette histoire vient de la prédication des Premiers Pères de l'Eglise, les commentaires qui ont servi à faire de ces espèces « d'images de mots » des « images images ». Par exemple la lune est le symbole de la Vierge et le soleil son pendant, est le symbole du Christ. À la première galerie, de l'Eglise Saint Léon, j'ai illustré le psaume 128 : « tes fils (seront) des plants d'oliviers autour de ta table comme des plans d'olivier ». Il y a l'huile des catéchumènes. D'après la première préface de l'Avent : « Il viendra de nouveau revêtu de sa gloire », l'attente se fait dans la lumière de la foi : une lumière cendrée comme celle de la lune qui éclaire l'obscurité de la foi de l'humanité... en attendant la plaine lumière du Christ. Là vous voyez la Jérusalem céleste, avec une porte étroite : « ton nom, Jérusalem, brillera comme un diamant », Isaïe 60. Ici le psaume 1 : (l'homme) ... « il est comme un arbre planté près des ruisseaux : il donne du fruit en sa saison et son feuillage ne se flétrit pas » Là encore l'évocation de la vigne dans tous ses états, dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Alors il y a toujours quelques petites modifications entre le carton et la réalisation? Oui toujours, car ici le carton est un point de départ de peintre, puis il y a le dessin « grandeur nature » avant le vitrail. Ici, dans la résurrection de Lazarre, on dirait un cocon, il a des bandelettes, il sort de l'obscurité du tombeau et une plante passe par derrière, comme arrachée du tombeau. Pour apprécier votre travail, il faut une certaine culture religieuse, est ce que vous pensez que quelqu'un qui rentre dans Saint Léon, n'est pas déjà frappé par le symbolisme des vitraux? Mais tout est écrit, les références bibliques sont sur les vitraux, il n'y a qu'à lire les textes ! Dans la deuxième galerie, côté sud, on trouve la Vocation de Moïse avecle buisson ardent, avec le nom de Dieu « Je suis» , en bas l'agneau de la première pâques, avec des herbes amères. Dans le linteau, la croix est tracée avec le sang. Vous voyez, il y a l'Exode 3 et l'Exode 12 ! Là, c'est le Christ en gloire tel qu'il était présenté au moyen âge, le Christ de Vézelay avec les pieds sur la terre. Vous voyez ça, c'est de la dalle de verre. La technique du vitrail en dalle de verre Alors expliquez nous ce que c'est cette technique du vitrail en dalle de verre? C'est du verre en dalle comme de la pierre qui est taillée au marteau... D'où les petits éclats ? Oui, alors les éclats sont faits exprès après que le périmètre de la pierre soit taillé, pour donner cette vie qui traverse la matière. Vous avez des talents d'aquarelliste, aussi... Oui, voici le vitrail de la fenêtre qui éclaire l'orgue : il représente un antiphonaire, ou recueil de chants sacrés, avec des armes récupérées dans des vieux vitraux et remontées dans un autre contexte, ici avec une partition grégorienne du début de l'introït du dimanche de Laetare (rejoignez nous) avec deux figurines prises dans des enluminures. Ici la forêt d'Anglet avec toutes sortes de fleurs et ici encore une croix fleurie. C'est un projet vraiment complet, cette église... Oui... à l'entrée c'est la Vierge et l'enfant avec la liturgie du 15 août, revêtue du soleil, couronnée de douze étoiles. Ici les litanies de la Vierge : vase d'élection, rose mystique, lys des vallées, tige de Jessé, l'arbre généalogique du Christ. Le cadre impose la concentration du regard Le fait de travailler dans des cadres, c'est un peu comme pour Giotto dans la chapelle de l'Aréna à Padoue, qui a défini en 1305 la notion de cadre dans les fresques? Oui car le vitrail c'est du sur mesure, il faut épouser la fenêtre, et l'illustration en dépendra : une fenêtre étroite et haute sera appropriée pour un arbre, une fenêtre large pourra accueillir une frise. Le cadre impose à celui qui regarde, de concentrer son regard...et l'artdu vitrail a cette contrainte de remplir intégralement l'espace ! Par exemple, ce Christ dans un vitrail en forme de croix dans une chapelle du séminaire du berceau de Saint Vincent de Paul, près de Buglosse dans les Landes. Derrière lui, on trouve le soleil rouge du Vendredi Saint, la mort le soleil qui s'éteint et ici la résurrection, un soleil dans des lettres grecques. Là l'église de Larrau, avec le thème de l'eau : moïse donne un coup de bâton sur le rocher doré pour faire jaillir de l'eau. Les hébreux murmuraient contre Dieu car ils avaient soif. Ici le psaume 41 Moïse faisant jaillir l'eau du rocher d'Horeb. Un pèlerin qui marche le jour et la nuit. L'église d'Aniarpe entre Saint Palais et Mauléon sur la « Jacobe bidea » : le pèlerin s'est arrêté et la croisée des chemins. Le berger avec tout ce qui a trait au village : les chênes, les sources, le maïs... À Arbonne? Oui, la sœur du père Cestac passait ses vacances à Arbonne et le curé a voulu faire ce vitrail avec le portrait de Saint Michel Garricoïts et le Père Louis Edouard Cestac avec en basque « Relève toi et marche » C'est quelqu'un qui est tombé. La grande réalisation à l'Ile de la Réunion On trouve de vos œuvres partout dans la région : Anglet à Saint Léon et puis? Partout dans le département mais j'ai réalisé mon plus grand travail à l'île de la Réunion à Saint André, près du flanc du volcan, entre 1990 et 91. Le prêtre de l'époque, le curé Baptiste, avait été mon capitaine dans l'armée... Voici les vitraux de la Réunion : Quatre grands vitraux de 5 mètres sur deux, 3 grandes rosaces de 2 mètres de diamètre, 10 vitraux de 2,5x1,5 m. La lumière de cette île, qui est particulière, vous a t elle obligé à en tenir compte dans votre création? Non, seulement les vitraux là bas brillent d'une façon encore plus extraordinaire. Il ne faut pas croire que c'est le soleil qui fait briller, c'est le jour... Mais même la lumière du jour est différente là bas, car lorsqu'il fait gris, quand il y a ces contrastesde lumières saisissants, ...et puis les églises sont assez pourvues d'ouvertures ... En plus aérées ... Quels thèmes avez vous choisi ? Cela naît d'une discussion avec le commanditaire ? On vous laisse carte blanche? En accord avec le curé, là, une Vierge comme celle des Icônes, ici la Croix plantée sur le monde avec les oiseaux, les sept dons du Saint Esprit. Ici la tempête, la pêche avec la Croix de Saint André et pour le baptistère tout ce qui a trait à la lecture : le feu, le cierge pascal, le Saint Esprit. Dans la rosace, le jugement et la mort du Christ, la mort des hommes et la pesée des âmes, le Christ en gloire avec la phrase « ton nom Jérusalem brillera comme un diamant » Isaïe 60. Parfois il y a des exigences : dans les trois vitraux du chœur, l'eucharistie, par exemple le poisson de la communion devait être rouge. La croix du Christ en bois équarri, travaillé comme une poutre, sur fonds rouge avec les sept branches qui représentent les sept dons du Saint Esprit, c'est un thème du XII.e siècle, que l'on retrouve dans certaines cathédrales. Vous êtes très curieux, très ouvert sur tout car vos références sont très multiples? Oui, oui.... La technique, les stades de fabrication Quels sont des stades de fabrication? D'abord une esquisse, puis une aquarelle, la maquette : c'est le stade du carton... Ensuite je choisis parmi les couleurs dont je dispose, la fragmentation ne se ferra que sur le moment, vraiment. J'ai une petite exigence vis à vis de moi même, bien légitime pour quelqu'un qui a exécuté un autre pendant de nombreuses années, je ne ferrai jamais exécuter mes dessins par un autre, comme j'ai exécuté Lesquibe pendant trente ans ... et pourtant il n'en est pas mort (rires), ce n'est pas pour me faire exécuter maintenant... Vous avez une préférence dans le choix des techniques? Non, je suis à l'aise dans toutes les techniques, c'est en fonction de la commande. Qu'est ce qui motive l'acceptation des chantiers, le souci de laisser une trace, d'illustrerl'Evangile, de participer à un effort d'évangélisation...? Non, ce qui me motive, c'est la plastique et que le thème que j'illustre soit tiré des Ecritures...Ce n'est pas à moi après de faire les commentaires... Vous avez formé des apprentis? Non, cela ne se fait plus, j'ai seulement eu une dame qui est restée deux fois 6 mois... Où trouve t on vos vitraux? Un peu partout, à Anglet dans les églises Saint Léon, Saint Michel et l'Eglise de la Trinité où j'ai réalisé tous les vitraux, et Blancpignon que j'ai fait mais en compagnie de Lesquibe. Je viens de finir Saint Léon. Et puis un peu partout au Pays basque : Elizaberri, Hasparren, en Soule dans 7 ou 8 églises... Une commande est en ce moment en cours d'achèvement pour Notre Dame du Refuge d'Anglet, représentant le père . Le style de Charles Carrère: fidèle à ce qu'il aime Si on devait caractériser le style des vitraux de Charles Carrère, que dirait on ? Les années trente quarante? Non, de toute façon ce n'est pas à moi de le dire, ce sont des vitraux, c'est comme cela. Dans une période où l'on voit beaucoup d'abstrait, vous faites figure d'enclave? Oui l'abstrait, c'est la mode, mais je ne crains pas de nager à contre courant... Et depuis toujours car vous semblez être resté assez fidèle à votre style? Oui à la figuration. Ce qui est aussi important, c'est de voir les vitraux dans leur contexte, en harmonie avec le lieu... Oui, d'ailleurs lorsque je fais visiter, je ne montre pas les vitraux, je fais visiter la chapelle...la pierre qui crée un contraste avec les vitraux. Des petites surfaces, des murs très épais, les églises romanes pour le style dépouillé me plaisent ... Des Vitraux pour des particuliers Passons au « civil » maintenant : pour des particuliers, le travail est un peu plus marginal, et dles thèmes commandés varient? Un pèlerin, un comédien, « l'éveilleur » qui ramasse la nuit et la lune dans une épuisette, réveil des fleurs, comme l'allumeur de réverbères, un vitrail avec le Saint Graal, leSaint Esprit et l'eau qui coule... un coq d'or, la nuit et le jour avec un bandeau sur l'œil, des compositions florales, le phénix qui renaît de ses cendres, un arbre avec des feuilles gothiques, des iris.... On reste dans des thèmes assez classiques, là, est ce que vous avez été amené à élaborer des vitraux extrêmement originaux ou très contemporains, avant gardistes, comme le pierrot lunaire que vous m'avez montré? Oui celui ci a été fait en vitraux. Charles Carrère que l'on connaît peut être moins: des dessins, de la peinture, depuis toujours... Maintenant passons aux dessins, aux compositions à la gouache. Ce sont mes « caprices » comme ceux de Goya, comme je suis très capricieux...(rires). Tout peut se faire, la vie, la mort, les natures mortes, les oiseaux que je fais d'après nature, des formes dans des crânes... je ne puis pas voir un tronc d'arbre un crane sans y voir des formes, c'est du fantastique qui est venu petit à petit... je donne des expressions par anthropomorphisme aux animaux ou aux objets que je dessine. Les titres viennent aussi comme cela, « Simon le Stylite dans les déserts égyptiens, le saint qui vivait sur une colonne avec en dessous les oiseaux emmanchés lui faisant une cour..., des oiselles avec des cornettes et la mère supérieure »... ce sont là des œuvres de 1967 à 1980... Il y a des phrases extraordinaires que je note, des phrases que j'entends à la radio sur France Culture, des phrases issues de livres, des phrases de Jacques Prévert. Vous avez découvert Goya à quelle époque? À Bayonne, et au Louvre. Vous travaillez à quelle période de la journée? Là c'est de nuit, autrefois, je travaillais beaucoup la nuit, maintenant je ne le peux plus. Je peignais le dimanche, c'est une habitude d'ouvrier que j'ai conservée... Où et quand avez vous exposé vos dessins? Dernière exposition chez Page en 1984 et je n'aime pas les expos de groupe où l'on est noyé avec d'autres, cela n'a pas de sens pour moi... Maintenant, j'attends que l'on me proposeun autre lieu d'exposition... * Vitrail inauguré à N D du Refuge le 24 mars 2001 à 15h30 par Monseigneur Pierre Molères. Photos: Sophie Hontaas Euskonews & Media 123.zbk (2001 / 5 / 18 25) Eusko Ikaskuntzaren Web Orria