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Conference : L’art contemporain Basque au XXIème siecle (III / III)

La censure de la vidéo de Khuruts Begoña par la diputation de Biscaye

La recherche rend manifeste les relations qui existent entre contexte politique et production artistique. Les interférences entre contexte politique et censure des artistes peuvent être analysées à travers le cas du vidéaste-artiste Khuruts Begona qui a vu son travail retiré d’une exposition car considéré comme polémique (vidéo intitulée « 5 minutos de objetividad ante una escultura verde de Bilbao » représentant entre autre une sculpture de Vicente Larrea (au premier plan) et l’image des bâtiments de la garde civile et d’une voiture de la garde civile espagnole (au second plan), l’ensemble étant inclus dans une cible. (se référer au journal Berria du 31 mai 2008) Ce travail avait été jugé comme pouvant heurter la sensibilité des spectateurs et trop problématique par temps de crise et d’attentats terroristes de l’organisation séparatiste basque E.T.A par le service culturel de la diputation de Biscaye qui organisait l’exposition Ertibil 2008.

Le département de la culture décida d’enlever l’¦uvre quelques heures avant l’ouverture de l’exposition au public de la salle Recalde à Bilbao. L’¦uvre avait été sélectionnée parmi 255 ¦uvres de 168 artistes par un jury composé de Xabier Saenz, professeur d’histoire de l’art de la Faculté des Beaux Arts de l’Université du Pays Basque, Pilar Mura, directrice de la salle Recalde, José Maria Herrera, professeur à la Faculté des Beaux Arts de l’Université du Pays Basque et de l’artiste Andoni Euba.

Les responsables politiques refusèrent d’exposer l’¦uvre dans une exposition organisée et financée par la députation. Ils décidèrent de la retirer de l’exposition et de retirer également les 1500 catalogues dans lesquels se retrouvait des reproductions photographiques de l’¦uvre. Il fut de plus évoqué l’idée de retirer la bourse de 2000 euros attribuée à l’artiste pour sa sélection à l’exposition. La responsable de la culture Josune Arzitondo exprimait l’idée que la députation ne devait en aucun cas collaborer à la projection de cette vidéo-création en évoquant le fait qu’à l’heure de promouvoir une ¦uvre de ce type, l’institution devait être consciente de l’influence que pouvait exercer le terrorisme sur la société. « Dans ce pays, il y a des gens qui tuent et il y des gens qui vivent menacés. D’un point de vue humain, l’¦uvre peut heurter la sensibilité de nombreuses personnes et en ce moment c’est un motif suffisant pour retirer l’¦uvre de l’exposition ».

C’est donc bien ici le contexte politique du Pays Basque qui est invoqué pour la censure de l’¦uvre. Par temps de conflit, l’artiste ne serait pas à même de s’exprimer librement qui plus est sur un sujet aussi sensible. Mais la position de l’artiste Andoni Euba est instructive vis à vis du sujet qui nous intéresse ici. Dans un entretien qu’il accorde au journal GARA, il explique que pour lui :

« Cette ¦uvre censurée n’est ni apologétique ni illégale. Pour l’artiste, l’oeuvre présente une simple analyse, une réflexion. L’art a toujours été en avance vis-à-vis du regard habituel, évoquant des situations parfois polémiques. L’art est une activité chargée d’idéologie et l’idéologie dans l’art s’exprime à divers niveaux dans des aspects sociologiques, politiques, psychologiques et historiques. Le problème avec cette extraction de l’¦uvre provient du fait q’elle a été analysée a partir d’un prisme, prisme extérieur à celui-ci, un prisme politique, extérieur au domaine de l’art. »

C’est la question de la liberté artistique (l’artiste souvent financé par des fonds publics devant adapter son discours et son ¦uvre sous peine de se voir refuser tout subside indispensable à sa production) qui est ici posée. Et au-delà de cette question c’est l’influence du contexte politique sur la création artistique qui est interrogée alors que selon les termes même de l’artiste son travail ne comportait aucune intention politique mais uniquement un souci purement esthétique :

«  Nire lanak ez dauka inolako asmo politikorik, ez da alderdikoia, eta ikusle guztienganako begirune handiarekin sortua da » (Berria, 31 mai 2008, p 49).

L’artiste explique que la vidéo ne fut pas créée avec l’intention de heurter la sensibilité des personnes, et il assure que la vidéo n’a pas une seule interprétation et dans ce sens qu’elle est ouverte à l’objectivité de chaque spectateur.

Tout cela nous renvoit à la question suivante : comment promouvoir la liberté par temps de conflit politique ? La peur des « barbares » ne risque t-elle pas de nous rendre barbares ? Peut-on promouvoir la liberté par la contrainte et l’égalité par la soumission. Nous vous renvoyons ici à l’excellent ouvrage de Tzvetan Todorov intitulé « La peur des barbares » et publié chez Robert Laffont en 2008.

De l’avis des responsables de la sélection des ¦uvres, cette création avait sa place dans l’exposition et ne devait pas être enlevée. C’est l’idée développée par l’un des membres du jury Xabier Saenz de Gorbea : « Obra horrek erakusketan egon beharko luke ; epaimahaiak hautatu zuen lan interesgarria delako » et par Jose Mari Herrera : « Erabaki horrek beste garai batzuetara eraman gaitu, atzera ; noiztik ez da ikusi zentsura artean ? ».

Jorge Oteiza Embil

Jorge Oteiza Embil.

Xabier Saenz de Gorbea  revient sur cette « censure préventive » dans un entretien qu’il accorde au journal Deia. Il  regrette que la presse évoque plus l’¦uvre censurée que des travaux présentés avant de revenir sur la problématique liée à l’¦uvre censurée. Pour Xabier Saenz de Gorbea :

« Il existe des guerres préventives et il existe également une censure préventive. Le jugement provoque une distorsion de la vidéo en prennant une partie de la vidéo pour l’ensemble de l’¦uvre composé par un photorama. Les images en mouvement de l’auteur parlent d’un fait réel, d’une ¦uvre d’art entourée par un véhicule de la garde civile. Son titre est évocateur : 5 minutes d’objectivité devant une sculpture verte à Bilbao. Ce qu’est l’objectif de la caméra pour certains c’est une mire, mais le point central n’est en réalité focalisé sur rien de précis. L’¦uvre de Khuruts Begona illustre une réalité, elle promeut une sensibilité sur la ville et propose une réflexion sur une sculpture publique. Aspiration à laquelle ne fut pas sensible le Maire de Bilbao pendant l’inauguration de l’¦uvre lorsqu’il demanda que soit retirée la voiture de la garde civile afin de pouvoir voir le travail de Vicente Larrea destiné à rendre hommage à quelques uns des architectes les plus influents sur la construction de la ville. »  

Et il ajoute :

« Un concours d’art, c’est un concours d’art. En conséquence, les arguments d’appréciation doivent être artistiques, ils doivent analyser les concepts, les langages, les usages, les procédés, les matériaux, l’adéquation entre les formes et les contenus, l’innovation, la contextualisation historique des propositions. Les ¦uvres d’art ne représentent pas nécessairement l’opinion des auteurs. Entre le sujet et l’objet, il existe une distance qui va du je qui le produit au cela créé. Si ce n’était pas le cas, il serait impossible de montrer des scènes réelles ou fictives de meurtres ou de terrorisme à la télévision, au cinéma, au théâtre ou dans la littérature. Pour défendre les sensibilités il existe des lois. Un gestionnaire ne peut s’arroger la faculté de décider quelles ¦uvres entrent en conflit avec les gens et quelles ¦uvres n’entrent pas en conflit. (Š) Ce n’est pas aux institutions de décider ce qui est bien ou mal pour des raisons politiques, psychologiques, étiques, religieuses. »

Comble de l’ironie, le travail de Khuruts Begoña obtint plus de publicité en étant annulée. Ce sont les relations conflictuelles entre domaine politique et liberté de création artistique qui sont ici posées. Sur les rapports de l’art à la politique, il faut regarder dans leur double sens. Il y a la question des devoirs de la politique : faire en sorte que l’art puisse avoir lieu, cela paraît simple mais ne l’est pas comme le confirme l’exemple de la censure de l’¦uvre de Khuruts Begoña.

Cet exemple montre que la tentation est très forte pour tout pouvoir de ne rendre possible que ce qui lui convient. C’est un piège car en aucun cas ce n’est la fonction d’un parti politique d’émettre des jugements définitifs sur ce qui pourrait s’appeler les dérives de l’art contemporain. Personne n’a la compétence pour cela. La dénonciation de la « pensée unique » sous toutes ses formes est absolument à l’ordre du jour. L’art est un engagement fondamental et penser l’engagement artistique dans les seuls termes du politique serait un rétrécissement catastrophique. Et c’est bien à cela que le politique s’expose lorsqu’il décide de censurer l’oeuvre de Khuruts Begoña, de confondre politique et art et de juger une ¦uvre sur des critères purement politiques. Mais la où il est possible de se felliciter de la polémique qui est nait autour de l’¦uvre c’est quant à la médiatisation de l’¦uvre qu’il faut la rechercher. En voulant censurer l’¦uvre, les politiques lui ont donné une vitrine médiatique qu’elle n’aurait certainement pas eu si elle n’avait pas était censurée, médiatisation telle, qu’elle avait presque éclipsé le reste des ¦uvres et des propositions artistiques de l’exposition Ertibil 2008. Cette polémique symbolisait de la sorte un  « signe des temps » qui permettait de comprendre que le temps de la dictature franquiste était bien révolu et que la liberté d’expression certes encore fragile symbolisait désormais la démocratie espagnole et dans la communauté autonome du Pays Basque.

L’une des conséquences d’un financement de l’art par le politique, du fait même que les budgets des expositions proviennent des aides publiques, c’est qu’elle minimise en grande partie le caractère subversif de l’art contemporain. Comme le note Tony Godfrey dans son ouvrage L’art conceptuel paru chez Phaidon en 2003 : « le caractère révolutionnaire ou subversif de l’art était minimisé et absorbé, au point de ne paraître plus qu’un jouet inoffensif dans l’arsenal de l’establishment » (Godfrey, 2003, p 251).

La censure de l’¦uvre ne s’en est pas tenue à une simple extraction. Comme le note Khuruts Begoña :

« Non seulement j’ai mal vécu cette histoire relative à l’exposition Ertibil 2008 mais en plus, j’ai été personnellement l’objet d’une enquête concernant mes relations avec le monde politique, une recherche sur mes opinions politiques ».

Cette enquête n’a donné lieu à aucune suite et son ¦uvre a pu être exposée à Madrid dans le cadre d’autres manifestations artistiques ou les gens comme il l’exprime dans un entretien accordé à un journal « ont pu observer mon ¦uvre de manière plus objective et ou mon ¦uvre n’a rencontré aucun problème ».

Cet exposé sur les ¦uvres de Khuruts Begoña et de Clemente Bernad est donc tout à fait instructif quant aux relations parfois conflictuelles qui peuvent surgir entre domaine politique et domaine de l’art en démontrant de quelle manière ces deux domaines peuvent interagir mutuellement. Il nous renseigne sur les conséquences que peuvent avoir les interprétations politiques sur les productions artistiques et ce dans un contexte singulier à savoir le Pays Basque contemporain. Il nous informe également sur les limites de ces interactions. Les ¦uvres de Clemente Bernad non en effet jamais été décrochées des murs du Musée Guggenheim. Elles font de plus, depuis le 11 novembre 2008, partie de son fonds privé puisqu’elles ont été achetées par le Musée. La tentative d’assujettissement de l’art par le politique n’aura donc pas dans eu lieu ce cas bien précis.

Recent family plot, Txomin Badiola

Recent family plot, Txomin Badiola.

Le travail de Clemente Bernad est révélateur des relations qu’entretiennent art et politique par temps de crise. Toute apologie du terrorisme étant écartée par la direction artistique du Musée. Se dessine ainsi les modifications qui ont affecté les discours des artistes au cours du XXème et du XXIème siècle passant d’une revendication identitaire aux couleurs nationales par temps de dictature franquiste (Ecole Basque) à un discours apolitique, equidistant, montrant la réalité tout en faisant abstraction de tout engagement politique concret. L’artiste passant de la figure du militant à celle de sujet observant. Mais cette position de simple observant n’allant pas sans poser problème comme nous l’avons déjà évoqué dans cette recherche avec la tentative du Parti Populaire de décrocher les ¦uvres de l’artiste Bernad. Par temps de crise le propos esthétique pouvant être réinterprété et déformé en arrière pensée politique même si le discours de l’artiste vient infirmer cette position (se référer aux propos de Khuruts Begoña), il conditionne forcément la production artistique par une sorte d’autocensure.

Alors que la modernité introduite dans l’art basque s’est faite aussi en introduisant également la revendication nationale (Ecole Basque), la post-modernité quant à elle s’est dégagée de ce carcan nationaliste pour rejoindre les préoccupations purement esthétiques propres aux artistes de la scène internationale. Alors que la peinture régionaliste enfermait l’art basque en le vérouillant dans sa propre méthaphore, l’art contemporain basque a échappé au discrédit en s’émancipant du discours nationaliste qui raconte sur un mode tautologique l’acte de naissance d’une minorité. Les artistes basques contemporains utilisent l’art sans se plier aux impératifs de l’engagement politique ce qui ne signifie pas qu’ils restent indifférents à la réalité du Pays Basque comme en témoigne les ¦uvres présentés au Guggenheim par l’exposition « Chacun à son goût ».

Il est dès lors aisé de comprendre les raisons de l’absence du traitement de cette thématique. Dans une société en proie à la terreur, aux attentats, aux menaces d’une organisation terroriste, et où la classe dirigeante et le pouvoir politique ne sont pas épargnés par les pressions, dans un climat de paranoïa collective, la thématique du terrorisme est sous haute surveillance. Toute allusion proche ou lointaine à la thématique est proscrite (à part dans de très rares exceptions) et la censure préventive fonctionne à plein régime. Tout en ayant à l’esprit que c’est cette même classe dirigeante politique qui joue un rôle non négligeable dans la consécration et dans la légitimation des artistes (achats des ¦uvres par les institutions publiques, autorisations d’expositions, attributions de prix et de bourses, capacité de retrait des ¦uvresŠ) il est dès lors aisé de comprendre pour quelles raisons cette thématique est sous représentée, les artistes préférant évacuer le sujet plutôt que de subir les foudres de la censure qui viendraient contrecarrer leurs stratégies professionnelles.

Aux figures emblématiques de l’art basque qui sous le régime dictatorial du général Franco n’hésitaient pas à endosser des positions idéologiques radicales (nous citerons ici Jorge Oteiza en exemple) ont succédé depuis la transition démocratique des artistes qui se désolidarisent de tout engagement politique pour préférer des postures beaucoup plus distantes, neutres.  La position de l’artiste contemporain par principe critique se suffisant à elle-même, il paraît désormais inutile d’y ajouter une touche supplémentaire d’engagement politique.

Un nouveau rôle est désormais assigné aux artistes. Loin de leur marginalité antérieure, ils se doivent à présent de participer à l’élan général pour rendre le Pays Basque attractif pour une population de touristes qui participent à la dynamique économique de la cité. L’art se doit désormais de remplir les hôtels et les restaurants de la communauté autonome basque. Les nouvelles productions se doivent de venir remplir les galeries, les musées, les centres d’art. Les discours ont l’obligation d’alimenter les pages des revues, des sites internet et des catalogues d’expositions qui sont des signes de dynamique culturelle et gage d’intérêt pour des visiteurs en manque de produits culturels.

Les ¦uvres doivent rendre perceptible le foisonnement généralisé, global. Elles viennent compléter à la marge, l’image d’un musée Guggenheim érigé en symbole de la renaissance de la cité, pourvoyeur d’emplois et symbole d’une nouvelle santé de l’économie. Au côté des expositions de Cy Twombly et des artistes américains et internationaux prennent place dans la moumentale construction de Frank O. Gehry celles des nouveaux artistes basques. Ces derniers ayant du pour devenir « exposable » adopter un langage commun et coller au plus près aux critères sélectifs de  la scène internationale de l’art contemporain. Pour ce faire ils ont suivi des formations dans des structures adaptées (Faculté des Beaux Arts, Centre d’art contemporain Arte Leku). Après avoir su s’adapter aux nouvelles exigences de la scène de l’art contemporain international, le Pays basque pouvait désormais accueillir des manifestations. C’est pour toutes ces raisons que l’organisation d’un évènement tel que Manifesta 5 fut rendu possible à Saint-Sébastien en 2004.

Si l’art se voit paré de plus d’autonomie c’est à l’économique qu’il le doit. Au nouvel appétit culturel globalisé répond une volonté politique de la création de villes-musées jalonnées d’¦uvres d’art. Malgré tout, l’art contemporain devenu aux yeux des politiques un moyen de perfuser la société par l’augmentation des richesses en partie touristiques ne  le soustrayait parfois pas aux foudres de la censure (se référer au travail de Khuruts Begona). Mais si les affaires de Begona et de Bernad ont eu des échos dans la presse c’est moins qu’à l’époque le public se sentait plus concerné par l’art contemporain que d’un souci de défense des libertés en clamant haut et fort, dans une société où la dictature avait laissé des traces indélibiles, l’adage, « il est interdit d’interdire ».

Ces polémiques conservent leur pouvoir heuristique dans la mesure où elles nous renseignent sur les limites de l’autonomie du champ artistique. Mais bien au-delà c’est à une question qui interroge la liberté dans sa globalité qu’elle nous incite à réfléchir. La censure préventive de l’¦uvre de Begona interroge la notion de « dérive sécuritaire » et de restriction de la liberté d’expression (ici spécifiquement au niveau de la production artistique) par temps de conflits. Tzvetan Todorov dans son ouvrage intitulé la peur des barbares permet d’éclairer notre pensée.

« Comment réagir, sur son territoire, face à ce que l’on considère comme une atteinte aux valeurs démocratiques sans montrer cette « fermeté » qui est un autre nom pour l’intolérance ? Sans baisser les bras face aux dangers ni céder à l’angélisme, les démocraties occidentales doivent veiller à ne pas se laisser entraîner par la peur dans une réaction excessive, qui risque ­ et a parfois déjà commencé ­ de les faire sombrer à leur tour dans la barbarie. « Les pays occidentaux ont pleinement le droit de se défendre contre toute agression et toute atteinte aux valeurs sur lesquelles ils ont choisi de fonder leurs régimes démocratiques. Ils ont notamment à combattre avec fermeté toute menace terroriste et toute forme de violence. Ils ont intérêt cependant à ne pas se laisser entraîner dans une réaction disproportionnée, excessive et abusive, car elle produirait des résultats contraires à ceux que l’on escompte. (Š) La peur des barbares est ce qui risque de nous rendre barbares ». (Todorov, 2008, p 18)

La censure préventive de Khuruts Begona même si elle peut symboliser la fragilité de la jeune démocratie espagnole et sa version autonome basque, n’est pas propre au Pays Basque. En matière d’art contemporain aucune nation ne semble y échapper. Pensons par exemple à l’exposition sur l’enfance censurée au CAPC de Bordeaux ou encore le procès d’un commissaire d’exposition aux Etats-Unis, à Cincinatti qui avait exposé sept photographies de Robert Mapplethorpe jugées obscènes par le sénateur Jesse Helms. Pour cet homme politique qui réclamait plus de censure et moins d’argent pour le National Endowment for the Arts qui avait financé la création de ces je cite « saletés », la corruption de l’art signifiait la corruption de la société.

Plus récemment lors de la FIAC de Paris en 2008 le Parquet de Paris alerté par les douanes, a saisi le Groupe Recherche et Investigation (dépendant de la Police urbaine de proximité) pour intervenir au Grand Palais. Des photos considérées comme pornographiques et d’autres à caractère zoophile de l’artiste russe Oleg Kulik étaient exposées. Le délit était constitué avec circonstance aggravante car ces photos étaient visibles par des mineurs. Les policiers ont été pris à partie par une partie des visiteurs, ce qui les a obligés à mettre en place un cordon de sécurité. Deux personnes employées par l’artiste ont été interpellées et placées en garde-à-vue, avant d’être libérées le soir même. Les oeuvres ont été prises en photos, retirées puis restituées au commissaire de l’exposition. Deux d’entre elles sont passibles de l’application de l’article 227-24 du code pénal sur la diffusion de photos de nature à porter atteinte à la dignité humaine. Martin Berthenod, le directeur de la FIAC, s’est pour sa part déclaré choqué par l’intervention policière : je le cite “au sein de la FIAC, cela a provoqué beaucoup d’émotion. Oleg Kulik est un artiste connu et reconnu dont les oeuvres sont régulièrement achetées par les musées nationaux en France comme à l’étranger. Les services de police ne sont jamais intervenus dans aucun autre pays”.

Mais la censure ne parvient pas systématiquement à ses fns comme en témoigne le résultat du jugement du juge des référés du tribunal administratif de Versailles qui a rejeté en décembre 2008 la requête du prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme qui demandait l’interdiction de l’exposition de Jeff Koons au Château de Versailles, estimant que « l’exposition ne portait pas atteinte au respect de la vie privée et familiale des visiteurs de l’exposition et de leurs enfants ». Notons que pour ce cas précis, les organisateurs de l’exposition s’étaient mis à l’abri des critiques en n’exposant que des ¦uvres qui n’avaient rien d’explicitement pornographique.

D’une manière plus générale, la multiplication des centres d’art à travers le monde et la circulation internationale des ¦uvres ont eu comme conséquence que la cote d’un artiste pour être validée devait s’exprimer en dehors des frontières nationales. En d’autres termes, si un artiste basque voulait avoir une chance de se positionner sur le marché de l’art il lui fallait s’exporter et trouver une légitimité en dehors du Pays Basque. Une consécration à New York devenait une promesse d’établissement de leur marché. Mais une conséquence néfaste de cette intensification des échanges artistiques, les artistes devant être également apprécié à New York, Amsterdam, Düsseldorf, Milan, Paris, Tokyo ou Bilbao était le nivellement du goût. Les artistes basques devaient rentrer dans le cadre et répondre aux exigences du marché en adoptant un discours commun à la scène internationale. Difficile de retrouver dans leurs productions une quelconque spécificité. Cette dernière sera plus à rechercher dans des productions circonstanciées à la mode sur tous les continents comme ce fut le cas avec l’exposition « Chacun à son goût » du musée Guggenheim de Bilbao ou une artiste comme Itziar Okariz pouvait dans ce cadre spécifique mixer dans une projection vidéo tradition et modernité à travers le cri « irrintzina ».

L’opacité de l’art contemporain réside certainement dans sa fragmentation, dans son accélération, dans son foisonnement associé au fait que les théories ont une durée de vie de plus en plus courte. D’où une difficulté de dégager des tendances, des mouvements, des artistes qui se démarquent. Difficile de regrouper au Pays Basque comme au temps de l’Ecole Basque des artistes travaillant de concert sous une bannière, dans un mouvement. L’individualisation de la production ne favorise en rien l’exercice. Comme le note Catherine Millet :

«  Il y eut une époque où des critiques d’art, des revues, en prenant parti et en s’opposant, dessinaient ces tendances Mais les revues (Š) se distinguent plus dans leurs modes d’approche que dans leurs options. On comprend que, dans ces conditions, la figure de l’artiste chef de file ait disparu, et qu’entrevoir les personnalités les plus prometteuses est une tâche plus que jamais délicate ». (Millet, 2005, p 268)

Alors qu’autrefois, chaque mouvement possédé son critique désormais à chaque artiste correspondrait un critique. Le chercheur se doit alors de plonger dans les essais monographiques comme ceux de Peio Aguirre sur les artistes Txomin Badiola, Jon Mikel Euba et Ibon Aranberri.

Ibon Aranberri

Ibon Aranberri.

Pour Catherine Millet, nous assistons à l’atomisation du champ artistique comme des pratiques elles-mêmes.

« Parmis ces facteurs on peut compter le metissage des références culturelles et la liberté absolue dans le choix des matériaux et des techniques, l’esprit iconoclaste qui refuse toute forme héritée en même temps qu’il dévarolise l’objet dans lequel s’incarne l’idée, l’éclatement du moi, et parmi des phénomènes plus récents et plus terre à terre, une inscription sociale réclamant de l’artiste une faculté d’adaptation (commande publique, in situŠ). S’y ajoute la désagrégation des ciments idéologiques. Dans son ensemble, cette situation autorise des démarches qui non seulement ne s’inscrivent plus dans la méta-forme d’une esthétique propre à un mouvement, mais dont on peut se demander si même elles résultent de la logique d’une pratique, si elles finissent par faire ¦uvre. Beaucoup d’installations (et l’installation est une forme ­ ou plutôt une non-forme ­ en France) ne donnent l’impression d’être régies par une loi propre. Ce n’est pas simplement que l’on manquerait de recul pour se dessiner, à travers le temps, cette loi, c’est que le désir des artistes est de répondre à une situation circonstantielle ­ s’inscrire dans un site ou une architecture, plutôt que d’échafauder, une pensée qui puisse structurer leur appréhension du monde. (Š) Pour répondre à la sollicitation d’expositions, leur succession, il arrive que des artistes réalisent, presque coup par coup, des ¦uvres plus adaptées à l’exigence du moment qu’au développement de leur réflexion  personnelle ». (Millet, 2005, p 271)

Dans cette uniformisation de la scène internationale comment ne pas réaliser de rapprochements entre diverses productions. Celles d’une Ainitze Txopitea (se référer au catalogue de la galerie Arko) à celles d’un Ronald Gerber (se référer au catalogue de l’exposition J’en rêve de la Fondation Cartier). Les matériaux utilisés, des photographies retouchées à la palette graphique sont similaires. Dans ces conditions il est de plus en plus difficile de distinguer la production des artistes basques de celle des autres artistes de la planète art contemporain. L’unicité de l’¦uvre perd de sa pertinence et en partie toute forme de crédibilté. Le spectateur regardant au fait de l’actualité de la production mondiale ayant à faire face à une impression de déjà vu. La recherche mettrait alors en évidence cette uniformisation au niveau de l’enseignement similaire à Paris, Tokyo, New York, Berlin ou Bilbao et au niveau des outils communs caméra vidéo, appareils photographiques, ordinateurs portables et logiciels qui vont avec ?

Le Musée Guggenheim Bilbao d’art contemporain est devenu au Pays Basque l’instance majeure de validation de l’art contemporain basque. Il trace la frontière entre ce qui est art et ce qui ne l’est pas, ce qui est présentable et ce qui ne l’est pas. C’est à ce niveau qu’il faut rechercher l’explication à la question : pourquoi l’¦uvre de Clement Bernad n’a pas été enlevée du musée comme le demandaient le Parti Populaire et l’association des victimes AVT pour apologie au terrorisme ?

Ces organisations ne sont pas parvenues à remettre en question la validité de l’expertise du musée, c’est-à-dire celle de la curatrice Rosa Martinez, elle-même légitimée dans ses fonctions par le directeur du musée qui s’engage à la fois sur l’identité du bien et sur la valeur de l’¦uvre. Cela aurait été une remise en cause de la confiance que le gouvernement basque avait accordé au musée. Le pouvoir politique se serait alors discrédité lui-même (les mécènes fondateurs du Musée étant le Gouvernement Basque, le Conseil Général de Biscaye qui créent la fondation du Musée Guggenheim Bilbao, le Conseil est présidé par le lehendakari).

En donnant son aval à la construction du musée, le pouvoir politique basque lui accordait aussi une liberté dans ses choix d’expositions, en lui laissant une autonomie quant à sa programmation. C’était en quelque sorte l’expression d’une possibilité d’autonomisation du champ artistique sur le champ politique. Autonomisation spécifique limitée au Musée Guggenheim et non propre à Xabier Saenz de Gorbea, Pilar Mura, José Maria Herrera et Andoni Euba, membres du jury de l’exposition Ertibil, discrédités eux par le pouvoir politique à l’heure de la censure de l’¦uvre de Khuruts Begoña qu’ils avaient sélectionné.

Difficile pour ces experts de concurrencer une expertise comme celle de l’espagnole Rosa Martinez, curatrice de renommée internationale pour les Biennales d’art contemporain de Vienne, Santa Fe, Moscou, Istanbul, co-curatrice du Manifesta 1 en 1996, et de Venise en 2005 et curatrice en chef de l’Istanbul Modern. Bien plus qu’une simple censure d’¦uvre d’un artiste la censure de Khuruts Begoña symbolisait une remise en question de la légitimité de l’expertise de spécialistes basques en art contemporain. Il serait dès lors intéressant d’interroger ces acteurs majeurs de l’art contemporain basque et de connaître leur sentiment sur cette question du discrédit.

En guise de conclusion nous voudrions nous ranger du coté d’auteurs comme Marc Jimenez et de Christian Ruby qui en appellent à l’élaboration d’une esthétique de l’art contemporain. Nous ne pouvons que vous encourager par un travail de patience et de curiosité, proche d’une « ascèse » pour reprendre la terminologie de Christian Ruby, qui consisterait à rendre justice aux pratiques actuelles en évitant de les ranger d’emblée dans la catégorie des nullités, des médiocrités et autres « n’importe quoi ». Cette esthétique de l’art contemporain nous amènerait à renouer avec l’interprétation et la critique des ¦uvres et irait à contre sens des discours négatifs et dépréciatifs en vogue aujourd’hui. En y regardant de plus près, il semble en effet limpide qu’à la fausse image d’une uniformisation des pratiques artistiques apparaissant dans un survol trop rapide de l’art contemporain se dessine un art actuel pluriel qui dit et fait beaucoup plus qu’il n’en a l’air.

Quoi de commun en effet entre les excentricités sexuelles d’un Jeff  Koons, un lapin vert transgénique d’Eduardo Kac, une statue de cire comme la Nona Ora d’un Cattelan représentant Jean-Paul II écrasé par une météorite, des radiographies de visages de différents individus d’un Alexandre de Cadenet, des sculptures des animaux familiers d’un Alain Séchas, ou encore et j’en terminerais là des photographies grand format en noir et blanc des visages des victimes du terrorisme présenté par un Clement Bernad. Si nous avons parfois l’impression que l’art actuel « ne dit ni de fait » n’est-ce pas parce que l’art actuel est tout simplement incapable de concurrencer les atrocités et les épisodes sanglants du réél tel que nous le renvoie son écho médiatique, victimes déchiquetées par les attentats, otages égorgés, prisonniers torturés ?

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