René Cassin est né à Bayonne, ville
qu'il dut quitter très jeune mais à laquelle il resta
attaché toute sa vie. Comme le soulignent Monsieur et Madame
Raoux, petits cousins germains de René Cassin et derniers
descendants de celui-ci, « il était très lié
à ses ancêtres juifs du quartier Saint-Esprit de Bayonne
et surtout à sa famille ». Cette affection se traduisait
par des séjours réguliers avec sa mère, chaque
été, dans la maison familiale de Saint-Esprit. Comme
le rappelle Monsieur Raoux, " lorsqu'il décida d'embarquer
pour l'Angleterre, il se rendit au cimetière juif du quartier
Saint-Étienne pour faire un dernier adieu à ses ancêtres
».
C'est lors d'une courte conversation avec les derniers descendants
de René Cassin, nous avons pu évoquer la mémoire
de cet homme qui a marqué notre siècle car il n'a
cessé d'affirmer et d'enseigner le caractère irremplaçable
de chaque personne et le respect absolu d'humanité.
"Il a toujours défendu le même idéal
de Paix jusqu'à la fin"
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René Cassin quand il était
jeune, assis. Debout autour de lui : son frère aîné,
son cousin Max Cassin (le père de la femme de la familleRaoux)
et Albert Bluch, professeur de tous à cette époque.
La photo date du début du XXe siècle et elle
fut exposée un temps au Musée Basque de Bayonne. |
-Vous étiez
très liés à René Cassin?
Oh oui bien sûr, mon beau-père et René Cassin
étaient cousins germains du côté de la mère
et du côté du père. Ils étaient très
liés, mais plus tard René Cassin a fait la vie qu'il
a faite et mon beau-père, lui, est parti en Espagne. Actuellement
il ne reste plus que nous de sa famille proche à Bayonne.
Mais René Cassin venait très souvent à Bayonne,
notamment dans son adolescence avec sa mère. Il aimait beaucoup
séjourner ici. Ils venaient souvent à la ferme de
Rachel Cottage à Saint-Etienne, et René Cassin était
très lié avec les enfants des familles Lafitte et
Lataste. Sa mère et sa tante qui étaient jumelles
s'occupaient le plus souvent des enfants du quartier, elles servaient
de répétitrices. Les lieux caractéristiques
de présence de René Cassin, à Bayonne, sont
d'une part la ferme de Rachel Cottage que René Cassin lui-même
nommait "Paradis", et la villa Bonheur à Biarritz.
-Son dernier séjour
à Bayonne fut un peu avant son embarquement vers l'Angleterre ...
Oui, lors de son dernier séjour, avant d'embarquer à
Saint-Jean-de-Luz au moment de l'occupation, pour rejoindre de Gaulle,
René Cassin lui-même raconte comment il vint dire adieu
à ses ancêtres au cimetière juif de Bayonne.
Puis il raconte aussi comment il fut reçu par des amis avant
d'embarquer et les renseignements qu'il obtint du commissaire de
Saint-Jean-de-Luz.
-Qu'est-ce qui
l'avait poussé à partir?
Il ne l'avait pas entendu directement, mais il avait été
frappé par l'appel de de Gaulle.
-Peut-on dire
que René Cassin était le représentant de la
communauté juive de Bayonne?
Oui et non. Il s'est toujours senti juif et il n'a jamais renié
cette appartenance, mais religieusement il n'était pas pratiquant.
C'est assez curieux d'ailleurs car il avait un tempérament
plutôt religieux, car d'un enthousiasme assez lyrique, et
il était très idéologue. Son père n'était
pas non plus pratiquant, donc il n'était pas vraiment représentatif
de la colonie croyante qu'il y avait à Saint-Esprit.
-Pourtant vous
dites qu'avant de partir en Angleterre il avait été
à Saint-Esprit dire adieu à ses ancêtres
Cela fait partie de cette solidarité juive qu'il n'a jamais
reniée et qu'il a au contraire toujours voulu garder.
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Maison de Rachel Cottage au quartier
Saint Étienne. |
-Quel souvenir
gardez-vous de lui?
Je l'avais fait venir pour présider la distribution des prix
du lycée de Dijon, lorsque j'y exerçais en tant que
proviseur. Il devait venir, et je me souviens que j'avais une frousse
terrible parce que, à cette époque-là, nous
faisions une distribution des prix traditionnelle, en rassemblant
tous les élèves du lycée de la 6e à
la terminale, ce qui représentait 1200 élèves.
Ils étaient là pour écouter deux hommes qui
parlaient d'un sujet ou de l'autre. J'avais beaucoup d'appréhension
car il y avait souvent beaucoup de chahut et à ma grande
surprise, il avait parlé pendant trois quarts d'heure, et
aucun élève n'a fait de bruit. Je n'avais pas eu à
intervenir. J'ai cette impression dominante de l'homme qui a su
captiver l'attention de ces enfants. Autrement dit, il avait le
contact facile avec les jeunes. Un autre souvenir plus personnel
: nous étions dans l'appartement de sa sur avec un
de mes fils qui devait avoir dix ou douze ans. Et je vois encore
ce vieillard prix Nobel de la Paix qui écoute attentivement
propos de cet enfant et qui s'intéresse à ce qu'il
dit. C'est, il me semble, un trait de caractère important
chez cet homme qui avait un contact très facile avec les
jeunes. Il est resté très jeune jusqu'à la
fin.
-Il admirait beaucoup
de Gaulle...
Leurs idées politiques étaient très différentes.
De Gaulle lui a fait confiance juridiquement pour établir
les liens entre la France Libre et l'Angleterre. De Gaulle avait
très confiance en lui, mais leurs idées politiques
était très différentes dans beaucoup de domaines.
-On lui avait
proposé un ministère. il avait refusé...
Oui il était très idéologue, il a toujours
gardé un esprit juvénile et jusqu'à la fin
était resté très idéologue. Lui c'est
cela qui l'intéressait. Sa cause était la paix. Il
avait été grièvement blessé pendant
la guerre, très héroïquement d'ailleurs. Le capitaine
de sa compagnie avait été tué et René
Cassin avait prix la tête du groupe, c'est à ce moment-là
qu'il avait été blessé. Il sait ce qu'est la
guerre pour l'avoir vécue, il a donc fondé plutard
plusieurs organismes liés à la guerre, dont notamment
un pour les orphelins de la guerre et une association d'anciens
combattants. Et c'est toujours cette idée de Paix qui l'a
guidé. La Déclaration des Droits de l'Homme, même
si elle va au-delà de l'idée de la Paix, participe
tout de même de son enthousiasme juvénile et de son
attachement à cette idée générale de
la Paix. Il était en fin de compte profondément humaniste.
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Photo prise au Jai Alai de Saint Jean-de-Luz
vers 1959. La personne qui apparaît debout est René
Cassin. Les personnes assises l'aplaudissent lors de son intervention. |
-Comment avait-il
vécu l'obtention du Prix Nobel. C'était quelque chose
d'important.
Oui. Mais plus que le Prix Nobel de la Paix c'est le Panthéon
qui était important pour lui. Il tenait à être
au Panthéon, pas par vanité, mais plutôt par
orgueil peut-être. Il connaissait beaucoup les êtres
humains pour les avoirs beaucoup côtoyés. Il savait
qu'on n'était reconnu que si l'on avait telle ou telle fonction
ou titre. Il savait que dire seulement qu'il a participé
à je ne sait quelle déclaration universelle avait
moins d'importance que si l'on montrait le titre de Prix Nobel.
Il y tenait donc à ce prix Nobel, mais sans vanité.
-La déclaration
universelle des Droits de l'Homme n'a pourtant pas été
accepté tout de suite...
Ça mettra toujours du temps, et il faudra sûrement
qu'elle soit modifiée en fonction des mentalités d'autres
pays qui ont des mentalités différentes des nôtres.
-Ses idées dérangeaient...
Forcément. On dérange toujours lorsqu'on a des idées
nettes, et comme il avait un idéal bien précis qu'il
a toujours soutenu, il dérangeait. Mais en même temps,
il était capable de travailler avec des gens comme de Gaulle
qui n'avait pas toujours les mêmes idées que lui. Il
le disait lui-même d'ailleurs, tous les hommes ne sont pas
bons, mais du moment qu'on arrive à ses fins
.
René
Cassin (Bayonne, 1887)
René Cassin est né en 1887
à Bayonne de père portugais et mère
bayonnaise. Issu d'une famille juive de Bayonne,
il dut partir dès son plus jeune âge
vivre à Nice avec ses parents. Son départ
pour Nice ne l'a pas pour autant éloigné
de sa ville natale où il venait régulièrement
avec sa mère, notamment en été.
Considéré aujourd'hui comme l'enfant
de la ville, et comme un des représentants
de la communauté juive de Bayonne, sa mémoire
est encore présente dans la capitale labourdine.
Le principal lycée de la ville porte notamment
son nom, et René Cassin reçut de
son vivant, en 1969, la médaille de la
ville de Bayonne.
Néanmoins, l'importance de ce personnage
est surtout liée à son engagement
politique aussi bien au niveau français
qu'international. Il étudia le droit à
Aix-en-Provence puis à Paris, et fut membre
de la délégation française
à la Société des Nations
de 1921 à 1938. Ensuite, profondément
bouleversé par l'appel du 18 juin 1940
du général de Gaulle, il décida
de le rejoindre à Londres et devint le
conseiller juridique de la France Libre. Il embarqua
d'ailleurs de Saint-Jean-de-Luz à bord
d'un bateau Polonais. Sa vie fut ensuite marquée
par une série de postes clés au
sein de la vie politique de l'époque. Profondément
humaniste, en 1959, il devint membre de la Cour
européenne des Droits de l'Homme, qu'il
présida de 1965 à 1968, et fut de
fait le principal auteur de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme, adoptée
par l'Assemblée générale
des Nations Unies (ONU) en 1948. Cette implication
lui a valu l'obtention en 1968 du Prix Nobel de
la Paix.
Si l'on parle de René Cassin, il semble
tout de même important de rappeler quelques
traits de caractère de cet homme, qui jusqu'à
sa mort en 1976 fut attaché au même
idéal humaniste et à la paix. |
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Photos: Toutes ces photos
ont été données par la famille
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Euskonews & Media 211. zbk (2003
/ 05 / 23-30) |