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Eric DICHARRY
Les occasions de rire pour les Basques ne manquent pas. Les moments propices se retrouvent dans les fêtes, dans le carnaval, dans les tobera, dans les chiquitos, dans les mascarades, dans les pastorales, dans la littérature orale, dans les contes, dans la mythologie, dans le théâtre comique, dans la littérature et nous avons choisi comme objet de cet article le bertsularisme et les mascarades souletines c’est en raison du fait que le contexte ludique que constitue l’improvisation orale au Pays Basque nord et le carnaval en Soule sont des cadres sociaux spatiotemporels privilégié de production et de circulation du risible et du rire des Basques. Un « temple » du rire et de l’humour où les Basques profitent de ces moments pour évacuer le sérieux de la vie quotidienne et pour parfois contester l’ordre établi.
Nous reviendrons en premier lieu dans cet article sur le choix et la légitimité de notre objet de recherche à savoir une anthropologie du rire des Basques au Pays Basque. Nous effectuerons ensuite un triple détour par une définition générale du rire, par le lexique de la langue basque qui consacre au rire une place importante et par une analyse des rapports entre d’un côté le rire et de l’autre la philosophie. Nous continuerons notre exposé par un voyage au pays des mascarades souletines et du bertsularisme en prenant des exemples concrets. Nous nous aiderons pour ce faire de textes tirés des phases qualificatives du championnat du Pays Basque nord des bertsularis qui s’est déroulée à Saint-Jean-Pied-de-Port en 2009. Nous conclurons cet article en évoquant les conditions nécessaires pour que le public composé des énonciataires / allocutaires des bertsularis puisse rire des énoncés chantés lors des joutes improvisées dans l’instant.
En guise dintroduction nous évoquerons le travail de Jean Duvignaud pour légitimer notre choix d’objet. Ce dernier, dans un ouvrage intitulé Le propre de l’homme, évoque la relation des anthropologues avec le rire et constate :
« Ethnologues, anthropologues ne parlent guère du rire. Sans doute se défient-ils du comique et des aspects hilarants de la vie commune ? Il est vrai que la dérision trouble la cohérence des systèmes, la logique interne des structures ou la gravité des observateurs... Pourtant, les notes prises au jour le jour (quand elles sont publiées), les entretiens enregistrés, les photographies, les films montrent des moments d’hilarité qui s’effacent ensuite dans le discours élaboré ! (...) L’étude des règles, des fonctions, des mentalités, des structures et de leurs combinaisons diverses, répond sans doute au ferme propos de définir la constance, la cohésion et la conservation des sociétés. Elle nous dit rarement comment les femmes et les hommes acceptent, subissent, contournent, déforment ces contrôles et ces prescriptions invisibles ou non qui définissent une culture. Nous ne savons pas grand-chose de la manière dont les vivants vivent la société… Dans le meilleur des cas, on nous renvoie au marginal, l’atypique, autant de termes avec lesquels, on tente de conjurer ce qu’on ne comprend pas. Et cela ne rend pas compte de la flânerie, de l’attente, du jeu, des passions, des moments inutiles de l’existence... Cela nous renvoie à une région inexplorée de l’expérience des hommes... Le comique, la dérision n’appartiennent-ils pas à cette région obscure et indéfrichée. » (Duvignaud, 1985, p 19)
Si le mot basque bertsularitza possède à l’intérieur de la culture basque un sens clair et précis : « Inprobisazio kontua esan nahi du. Herri poetak bat batean kantatzen du teknika eta arau tradizionalen arabera. Il s’agit d’improvisation. Le poète populaire improvise dans l’instant en fonction de techniques et de règles traditionnelles » (Euskararen liburu zuria, 172. or), il n’en est pas de même pour le rire et c’est sur sa définition que nous nous arrêterons maintenant.
“Si nous suivons Eric Smadja dans sa définition qui utilise le concept positif et unificateur de communication, le rire est : « communication facio-vocale émettant des messages affectifs de plaisir, agressivité, angoisse (dénie ou non).”
Photo: CC BY - mac.rj.
Si nous suivons Eric Smadja dans sa définition qui utilise le concept positif et unificateur de communication, le rire est : « communication facio-vocale émettant des messages affectifs de plaisir, agressivité, angoisse (dénie ou non) ». (Smadja, 1993, p 84). Pour le dictionnaire Robert, c’est « exprimer la gaieté par l’élargissement de l’ouverture de la bouche, accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes ». Au niveau de ces manifestations physiques, il s’agit d’une expression faciale qui atteste la gaieté sous deux formes, l’une sonore, l’autre visuelle. Le rire se situe dans la troisième aire définie comme celle de Winnicott du schéma de la communication établie par Shanon et Waever. Cette dernière comporterait deux pôles, l’humour qui correspondrait au psychiqueélaboratif et le comique au phénoménologique-représentatif. Eric Smadja note que :
« La communication s’établit entre un ou des émetteurs celui ou ceux qui font rire, produisant et transmettant le message risible à un ou des récepteurs, individus ou groupe, qui répondront par le rire, communication facio-vocale codée, agissant lui-même comme stimulus risible au sein d’une collectivité et exerçant un feed-back positif ou négatif sur le ou les émetteurs. Le message risible est véhiculé à travers différents canaux de transmission employant différentes modalités sensorielles (vision, audition, mais aussi tact voire rarement olfaction et goût). » (Smadja, 1993, p 113)
Les diverses expressions de la langue française comportant le verbe rire illustrent bien l’idée qu’il existe différents degrés. Du « rire à gorge déployée » au « rire intérieurement » en passant par « mourir de rire » et jusqu’à « rire aux larmes ». Polymorphe, le rire serait tout à tour « méchant, modeste, immodéré, bruyant » ou encore « de réprobation, du juste » ou tout simplement « fou ». Il pourrait de plus comporter une connotation positive (allégresse, gaieté) et inversement négative (moquerie, intérieur) comme en témoigne l’expression « rire de quelqu’un »...
Il renverrait de plus à d’autres catégories comme celle du sourire définie pas le Robert comme « prendre une expression rieuse ou ironique par un léger mouvement de la bouche et des yeux » ou encore celle de l’humour « forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites ».
Mais laissons ici la langue française pour nous diriger dès maintenant vers l’univers sémantique de la langue basque et vérifier ensemble si le vocabulaire regorge lui aussi de mots qui caractérisent le rire. Nous tirerons nos exemples du dictionnaire Elhuyar et du dictionnaire du basque unifié Hiztegi batua publié par l’Académie de la langue basque Euskalzaindia.
Pour définir le rire, barre et irri sont utilisés par le dictionnaire Elhuyar. Pour le risible barregarri, irrigarri. La langue basque possède également le rire à gorge déployée irriz urratu et le rire aux éclats, algara egin, irribarrez ari, karkaraz egon. Pour plaisanter spécifiquement au Pays Basque nord : adarra jotzen ibili, bromotan, txantxetan, arrailerian ari izan. Pour la plaisanterie les basques utilisent : irri-barre, trufa, txantxa, adar-jotze, iseka, arraileria. Pour se moquer de : isekatu, trufatu, burlatu. Pour provoquer, attiser, taquiner, chatouiller ou faire la satire de : kitzikatu. Pour piquer, toucher et provoquer : zirikatu. Le basque connait de plus l’éclat de rire, algara et l’expression mourir de rire, algaraz lehertu.
La langue possède de plus la connotation négative évoquée précédemment avec la risée iseka, burla,trufa et pour se moquer, les Basques utilisent iseka, burla, barre, irri egin, trufatu. Pour désigner la satire et un mot piquant, c’est ziri qui est usité, pour faire une blague et se moquer, ziria sartu, pour désigner la vanne ou la pique piko, pour le sarcasme et la satire, eztenkada, et la « morsure des mots », hitzen klaska. Pour taquiner tentatu et pour définir un taquin, zirikatzaile, bihurri et un provocateur : kitzikatzaile.
“La langue possède de plus la connotation négative évoquée précédemment avec la risée iseka, burla,trufa et pour se moquer, les Basques utilisent iseka, burla, barre, irri egin, trufatu.”
Photo: CC BY - Dan Zen.
Notons enfin pour terminer ce détour par la langue basque les références qu’en donne le dictionnaire du basque unifié Hiztegi batua publié par l’Académie de la langue basque Euskalzaindia chez la maison d’édition Elkar en 2008:
« Irri : irri-antzerki edo irri antzerki, irri-belar edo irri belar, irri egin, irri eragin, irri-karkaila, irribarre, irribarre egin, irribarrez, irribarreka, irribarretsu, irribera, irrikor, irrigarri, irrika, irrikan, irrikaz, irrikatu, irrikor Sin. irriberra, irrimarra Sin. Karikartura, irrintzi, irrintzi egin, irrintzika, irrintzilari, irrino Ipar. Sin. Irribarre, irris Sin. Arroz., irrisku, arrisku, irrist, irrist egin, irrista, irristada, irristagarri, irristailu, irristakor, irristalari, irristaldi, irristarazi, irristatu, irrits, irritsu, irriz, irrizko, irrizale ».
Tous ces mots, verbes, proverbes et expressions étant autant de signes, de traces, d’indices du rire qui nous renvoie à une certitude première qui est que si les Basques ont élaboré un aussi riche vocabulaire spécifique pour qualifier le rire c’est qu’ils doivent le pratiquer.
La difficulté d’appréhender le rire découle de sa nature multiforme et hétéroclite, qui se révèle à première vue comme une réalité inclassable, dont il est malaisé de dégager l’unité puisqu’elle participe à la fois du psychique, du physiologique, du physique, de l’individuel et du social. Acte individuel et/ou collectif il est une réponse psycho-physique à un mécanisme psycho-physique (la Parole). Il est conditionné par la Langue qui résiste, en tant qu’institution sociale et contrat collectif, aux modifications de l’individu seul et il est en même temps porté par la Parole qui est combinaisons grâce auxquelles le sujet chantant peut utiliser le discours, c'est-à-dire le code de la langue en vue d’exprimer sa pensée personnelle. Aucun rire sémantique basque n’est possible s’il n’est prélevé dans le trésor de la langue basque. Son inexportabilité dérive de son intransidiolectalisabilité. Intimement lié par sa nature au domaine de l’idiolecte tel que Roland Barthes définit cette notion: « l’idiolecte comme le langage d’une communauté linguistique, c'est-à-dire d’un groupe de personnes interprétant de la même façon tous les énoncés linguistiques. » (Barthes, 1985, p. 26), le rire sémantique ne supporte guère le voyage transidiomatique. L’approche qui soit la seule satisfaisante pour le saisir consiste à prendre en compte simultanément le faiseur de rire, le bertsu et le rieur. Car ce n’est pas dans le fabricant du rire, ni dans le texte isolé ni même dans le rieur que se trouve le lieu du phénomène du rire, mais dans une interaction entre le bertsulari, le bertsu et l’auditeur.
Nous n’irons pas jusqu’au point où veut nous entraîner Nietzsche quand il nous dit, à la fin de Pardelà le bien et le mal : « J'irais jusqu'à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nous n’avons pas comme Nietzsche de violente aversion pour ceux qui « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». D’ailleurs, je ne me suis pas présenté aujourd’hui, devant vous pour dresser un quelconque classement. Ni de philosophes, ni de chercheurs en sciences sociales mais pour simplement vous communiquer les résultats de mes réflexions sur l’importance de porter une attention particulière sur le rire : de le prendre au sérieux. Attention spécifique non pas portée au rire en général mais au rire des Basques, au rire au des Basques au Pays Basque.
Mais avant de rentrer dans les détails de mes recherches penchons nous ensemble un instant, en guise d’introduction, sur l’attention portée sur le rire par les penseurs au cours de l’histoire. Pour ce faire nous reprendrons dans cette partie introductive une partie des données de la conférence prononcée à l’EHESS le 12 juin 2001 par Quentin Skinner intitulée La philosophie et le rire.
Nombreux ont été les penseurs qui au fil des siècles de sont intéressé au rire. L’un des premiers, et non des moindre, fut le philosophe grec du nom d’Aristote. Pour notre plus grand malheur, le Livre II de la Poétique, dont on sait qu'il portait sur la comédie fut perdu à la fin de l'Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet. Ce qui est arrivé jusqu’à nous est la thèse d'Aristote qui se trouve dans le premier tome de la Poétique. Pour Aristote, le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule.
“Pour Aristote, le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule.”
Photo: CC BY - Dan Zen.
C’est cette idée du rire comme expression de mépris qui a depuis été reprise par un grand nombre de penseurs. Cet intérêt pour le rire ne se dément pas et prend de l'ampleur au cours des premières décennies du XVIème siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione, Rabelais, Vives et Erasme. L'idée fondamentale de Castiglione - empruntée directement à Cicéron - est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui révèlent que nous avons ce qu'il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu'il existe trois vices principaux de ce genre : l'avarice, l'hypocrisie et la vanité ou orgueil. (...)
A la fin du XVIe siècle, pour la première fois depuis l'Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les Passions de l'âme, de 1648. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L'Ethique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son’. Mais bien avant cet intérêt pour le rire qui daterait du XVIème siècle, il faut remonter à l’Antiquité à Socrate, à Cicéron et à Aristote. La contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible est en réalité bien moins originale que ces auteurs ne voulaient l'admettre. Les humanistes avaient une dette considérable envers la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout, l'analyse de Cicéron dans De oratore.
Si ces penseurs se croient tenus de s'intéresser sérieusement au rire c’est que tous s'accordent sur une question cardinale : les émotions qui le provoquent. Une des émotions en question est une forme de joie ou de bonheur d'un genre bien particulier : la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine. Chez les humanistes, l'un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione : « A chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu'un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. » De même, comme le souligne Descartes dans Les Passions de l'âme : « Or encore qu'il semble que le ris soit l'un des principaux signes de la joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu'elle est seulement médiocre, et qu'il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. » De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law : « La passion du rire n'est rien d'autre qu'une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu'on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »
Au terme de ce détour par l’histoire de la pensée philosophique un constat s’impose : c’est le rire comme expression de mépris, le rire de, le rire contre, qui préside dans toutes ces réflexions sur le rire. Nulle trace ici ni d’un rire avec, ni d’un rire joyeux sans haine, ni d’un rire autocentré d’autodérision. Le rire positif est relégué au second rang loin derrière un rire à bannir, un rire qu’il faudrait au pire dissimuler, au mieux taire, un rire qui symboliserait une perte de contrôle de la maîtrise du corps : mal perçu. Comme le souligne Quentin Skinner :
« Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l'exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu'alors considérées comme involontaires. Or le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que les gens d'un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler. »
C’est pour confronter ces conceptions du rire à mon terrain d’enquête ethnologique que j’ai pris le parti de revisiter le rire en prenant appui pour ce faire sur le rire des Basques au Pays Basque à travers plusieurs recherches. La première s’est intéressée aux mascarades en Soule et a donné lieu à la rédaction d’un doctorat à l’EHESS. Travail récompensé par la Société d’Etudes Basques, Eusko Ikaskuntza par le prix de la Ville de Bayonne. La seconde, est en cours de rédaction. Elle est axée sur le bertsularisme contemporain. Pour cette étude, la Fondation José Miguel de Barandiaran m’a honorée de son financement. Je ne dévoilerai donc pas ici l’intégralité des résultats de mes recherches sur le sujet pour en garder la primeur à la Fondation, mais je prendrai ici tout de même appui sur quelques réflexions pour illustrer mon propos. La première thématique que je souhaite aborder avec vous concerne le rire dans les mascarades souletines.
Je ne reviendrais pas dans le cadre de cet article sur l’intégralité des thématiques sur le rire élaborées lors de mon doctorat. Les auditeurs ici présents intéressés peuvent s’ils le souhaitent consulter ma thèse de doctorat dans les locaux de l’association Eusko Ikaskuntza de Bayonne. Mais je souhaite tout de même revenir un instant sur le rire des mascarades pour évoquer avec vous ce que je nomme, les limites du rire, en prenant un évènement qui s’est déroulé lors des mascarades de Barcus en 2009.
“Rire, c’est partager le temps du rire des valeurs, une manière d’envisager le réel.”
Je me suis rendu il y a peu dans le village de Barcus pour assister à la pastorale Xahakoa consacrée au chanteur Attuli et rédigée par Patrick Quéheille dit Kanpo. Dès mon arrivée dans le village, je conversais avec l’un des habitants bénévole qui avait été désigné pour placer les véhicules des visiteurs. Après avoir échangé brièvement sur mon origine j’évoquais avec lui mes études sur les mascarades. Ce dernier m’engageait sur le terrain des mascarades. Il me confiait que son fils avait joué le rôle de Pitxu dans les mascarades de Barcus de 2009. Pitxu me confiait-il c’est le clown des mascarades. Je ne savais pas véritablement ce qu’il voulait me dire mais j’allais vite être fixé. Lorsque les mascarades de Barcus se sont déplacées dans le village de haute soule de Larrau, continuait-il, mon fils s’est installé dans la voiture des gendarmes. Pour rire. C’est l’objet même des mascarades et du rôle de Pitxu que d’investir des espaces et des lieux. Effectivement, lors de mon séjour en Soule j’avais eu l‘occasion de constater que Pitxu pouvait faire son apparition le jour de la représentation dans des lieux aussi divers qu’une salle de Mairie, une fenêtre d’une maison d’un habitant du village, le sommet d’un fronton... Tout l’art de Pitxu consistait précisément à dénicher des espaces et des lieux qui pouvaient procurer au public un sentiment de surprise. Plus la surprise était grande et plus il pouvait considéré qu’il avait bien fait son travail de Pitxu. Mais le jour de cette représentation de Barcus à Larrau, les choses n’allaient pas se passer comme d’habitude. Pitxu pris le parti d’investir le véhicule des gendarmes pour faire usage du klaxon. Avait-il dépassé les bornes du rire ? Les gendarmes apparemment non au fait des procédures en cours lors de ce rite carnavalesque ne comprirent pas que cet usage du klaxon était destiné à faire rire, que c’était pour rire. Ils prirent ce tour pour une provocation. Enfin j’imagine. Il faudrait aller leur demander. Ils n’avaient semble t-il pas été sensible à l’art de Pitxu ! L’un d’eux décida alors d’agir. Son intervention consista à braquer Pitxu avec son arme en lui appliquant son arme à feu sur la tempe. Ce qui aurait pu passer pour une simple boutade, ce qui aurait du rester dans l’ordre du risible / comique / aurait pu se transformer en fait divers. Passage d’un registre à l’autre en raison d’une non compréhension du rite de la part des forces de l’ordre. Pour ces derniers, l’ordre devait primer même en temps de carnaval alors que ce temps est comme le reconnaissent tous les spécialistes en la matière celui de l’inversion et du désordre. En braquant Pitxu avec son arme à feu, le gendarme fixait au rite ses limites. Etaient marquées par cette fixation des limites du rite : les limites du rire. Le rire s’arrêtait sinon à la frontière du véhicule des gendarmes tout du moins à l’usage de leur klaxon. Le klaxon symbolisait un objet proscrit, interdit pour faire rire. La frontière du rire était dès lors matérialisée dans un avertisseur sonore.
Avec cet exemple se dessine les frontières du rire. Il illustre bien le fait que ce qui en fait rire certains ne correspond pas à ce qui en faire rire d’autres. La frontière délimite les deux espaces entre d’un côté ceux qui pouvaient rire de cet usage du klaxon des gendarmes, les jeunes barcusiens qui montaient la mascarade et une partie du public venu assisté aux mascarades et de l’autre les représentants des forces de l’ordre qui voyaient dans cet usage de leur klaxon et dans l’occupation de leur véhicule une défiance à ce qu’ils sont censés incarner en tout temps sans exception : l’ordre. Ainsi se dessine également qu’on ne peut pas rire avec tout, c'est-à-dire ni avec tous les objets ni avec tous les espaces. Le véhicule des gendarmes échappait, en ce jour de visite des mascarades de Barcus à Larrau, au rite carnavalesque. Il imposait la limite à son rire en le censurant.
Mais il n’y a pas que lors des mascarades souletines que le rire est censuré. En dérangeant l’ordre établi, le rire dérange aussi le pouvoir, les institutions censées incarnées l’ordre, la sécurité, les valeurs. Souvenons-nous qu’il y a peu deux humoristes étaient licenciés de la radio France Inter pour avoir soit disons voulu poussé le rire à ses limites. Le licenciement d’un humoriste comme Stéphane Guillon est là pour rappeler au rirologue la causticité du rire. Que l’on aime où que l’on n’aime pas son humour, la question est précisément de cet ordre. Car le rire est révélateur d’identité, d’appartenances, de partage de valeurs. En effet, rire, c’est partager le temps du rire des valeurs, une manière d’envisager le réel. Et dans cette appréhension du réel lorsqu’il est question de rire, bien souvent deux camps s’opposent : ceux qui rient et ceux qui sont ris, ceux qui en rie et ceux qui n’en rie pas.
Après ce détour par les mascarades souletines partons maintenant pour le pays de l’improvisation. Ce second exemple puisé dans le bertsularisme viendra illustrer le rapport entre le rire et le sourire. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais insister sur l’importance du rire dans le bertsularisme. Le « faire rire » parait en effet être l’un des atouts majeurs des improvisateurs. Comme le note le célèbre Xalbador lorsqu’il évoque son compagnon Mattin.
« Je ne valais rien quand il s’agissait de faire rire. Même si, fatalement, j’ai essayé, cela ne m’a jamais vraiment réussi. En revanche, cela a toujours été l’atout majeur de Mattin. Moi-même, j’ai ri plus d’une fois à l’écoute de ses réparties. Heureusement, j’avais compris depuis longtemps qu’il valait mieux ne pas se vexer avec lui. Autrement, tant pis pour vous : il se réjouit de vous voir touché et vous en adresse de pires. Alors, vous n’avez d’autre solution que de commencer à rire, vous aussi. » (eke.org)
J’ai demandé à Xan Alkhat de me donner son point de vue sur ce thème du rire en lui posant la question suivante : « Orain dela bi aste edo hiru entzun nuen bertsualdi bat Gure Irratian, zahar bertsulariekin eta bertsualdia irriz beteta zegoen. Zuk uste orain lehen baino guttiago irri egiten dugu? », « Il y a de cela une semaine ou deux, j’ai eu l’occasion d’écouter une session de bertsu sur la radio Gure Irratia avec d’anciens improvisateurs. Cette session était pleine de rire. A ton avis, riaiton plus autrefois qu’aujourd’hui ? ». Sa réponse fut la suivante :
« Bai dudarik gabe. Gero egoera edo bizitzak nahi duelako. Bainan ezin uka lehen desberdin zela. Jendea loriatzen zen bertsulariekin eta plazer haundia hartzen zuen heiekin irri egitea. Ene ustez, gutiagorekilan content agertzen zen lehengo publikoa, eta normal pixka bat, ideia xinpleenak, onenak baitira ardura. Bainan bertsoa garatu da, efektu gehiago sortu nahi dira orain. Bainan bada ere gaur egun, eta beharrik funtsean, publiko ona lekuka eta araberako bertsolari umorestuak ere. Bainan ezin gira beti umoretsu arizan bertsotan, gaiak hala nahi badu eta ideiak araberakoa lortzen badira orduan bai eginen da bertsoaldi umoretsua. Jendeak preziatzen du beti irri egitea eta irri eginarazten duten bertsolariak ere gustoko ditu. Iker Zubeldia ene ustez adibide ona da, ardura umore pitzarazle gaitza baita eta jendeak zinez maite du ene ustez.” (Xan Alkhat, elkarrizketatuta)
“ Oui sans aucun doute. Ensuite c’est aussi la situation et les existences qui en veulent ainsi. Mais on ne peut passer sous silence le fait qu’autrefois c’était différent. Le public et les gens se complaisaient, connectaient avec les improvisateurs et ils prenaient du plaisir à rire avec eux. A mon avis, le public d’autrefois était moins exigeant et il riait avec une production « normale », avec des idées simples, celles-ci étant souvent les meilleures. Mais le bertsu s’est développé. Aujourd’hui des effets supplémentaires sont demandés. Mais aujourd’hui heureusement il existe toujours un public d’initié capable de réagir aux productions des improvisateurs ayant le sens de l’humour. Mais nous ne pouvons pas toujours faire de l’humour dans l’improvisation. C’est aussi fonction des sujets et des idées. Le public apprécie toujours le fait de rire et il apprécie également les improvisateurs qui les font rire. Iker Zubeldia est à ce titre un bon exemple du fait qu’il soit souvent capable de faire surgir l’humour et à mon avis, les gens aiment vraiment cela. (Entretien avec Xan Alkhat, novembre 2009)
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