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Nicole LOUGAROT
Cet article fait suite à la parution de mon livre “Bohémiens” aux éditions “Gatuzain” en 2009. Il a pour but d’essayer d’apporter un éclairage sur l’histoire des Bohémiens au Pays Basque, plus particulièrement au 19ème siècle en Basse-Navarre et en Soule : Depuis quand apparaissent-ils sur les actes d’état civil? Y étaient —ils toujours désignés comme Bohémiens ? Quels étaient leurs métiers ? Vivaient-ils en communauté ? Habitaient-ils dans des maisons ou n’étaient —ils que de passage ? Peut-on les repérer à leurs noms de famille ou certains n’étaient-ils qualifiés de bohémiens qu’à cause de leur mode de vie ? Quels pouvaient être leurs rapports avec les locaux et avec les autorités ?
La zone étudiée est celle de l’ancien arrondissement de Mauléon, comprenant la Basse-Navarre et la Soule. Mes sources principales sont un recensement des Bohémiens effectué en 1860, demandé par le Préfet au Sous -Préfet de Mauléon, les registres de la prison de St Palais et du dépôt de mendicité de Bayonne, et les actes d’état civil. J’ai étudié deux communes de plus près, Irissarry ou le nombre de gens listés était assez important, mais aussi Menditte en Soule, ou 7 personnes étaient listées et dont on dit aujourd’hui encore qu’il s’agit d’un village de Bohémiens. (“Buhamiak Mendikotako”).
Les premières mentions de Bohémiens que j’ai trouvées sont antérieures au 19ème siècle, sur des actes de baptêmes en Soule. A Chéraute, elles concernent un couple de Bohémiens et vagabonds qui ont un enfant en 1683, un autre couple dont le père est bohémien au service du Roi dans les armées et la mère bohémienne en 1689, et un dernier couple de Bohémiens en 1696. A Ordiarp, une Bohémienne fait baptiser son enfant en 1736, qu’elle a eu avec un Gotinois. A Alos en 1741 et 1747, un Tardésien et un Larraintar font baptiser leurs enfants qu’ils ont eus avec deux Bohémiennes. Enfin à Ossas en 1776, Pierre le “bohame” et Catherine aussi bohémienne font baptiser leur enfant illégitime.
Dans les 7 cas, les femmes ne sont désignées que par le prénom.
Même cas de figure à Irissarry où en 1740, un acte annonce le décès de Marie la “boémiene” puis en 1741 le mariage de Gratianne surnommée Camucha avec un Basque.
Par contre à partir de l’établissement de l’état civil en France en 1792, les Bohémiens seront enregistrés sur les actes avec des noms de familles et des prénoms, comme le prévoit la loi pour tous les Français. Comment ces noms de familles leur ont-il été attribués ? Apparemment dans beaucoup de cas comme aux autochtones, en prenant soit le nom, en langue basque, d’un lieu expliquant ou ils habitent, ou celui d’un village ou d’un métier. Ces noms de famille n’étaient donc pas exclusivement attribués aux Bohémiens. Il a pu aussi se passer un phénomène connu pour les Tsiganes d’autres régions d’Europe, l’attribution du nom d’une personne du pays qui les logeait ou les protégeait.
Parmi les noms de famille les plus cités dans la liste de 1860 (voir en fin d’article), certains apparaissent dans l’état civil avant 1820, pour des familles de Bohémiens, tondeurs ou vanniers.
Parmi les actes, j’ai aussi retrouvé des personnes qui faisaient partie des 475 Bohémiens (hommes, femmes, enfants) du Pays Basque de France raflés en 1802 et envoyés dans des dépôts de mendicité, aux travaux forcés ou à l’armée sur ordre du préfet. Les survivants avaient été libérés en 1805. Certains étaient donc revenus s’installer au Pays Basque.
Les premières mentions de Bohémiens que j’ai trouvées sont antérieures au 19ème siècle, sur des actes de baptêmes en Soule.
La liste de 1860 diffère suivant les circonscriptions. Dans les cantons de St Palais et Iholdy, une colonne est réservée au nom de la maison qu’habitent les Bohémiens. Dans ceux de St Etienne de Baigorry , St Jean Pied de Port et en Soule, elle contient des observations faites par les commissaires de police. En Haute-Soule, il est précisé que les deux Bohémiens habitent depuis longtemps dans la commune et qu’il n’y a jamais eu de plainte contre eux. A Menditte, ils ne seraient là que depuis quelques mois et mendient continuellement dans les communes du canton. Dans le canton de St Etienne de Baigorry, ils sont installés depuis 15 ans, 25 ans, ou depuis longtemps. A Saint Jean Pied de Port, on apprend qu’ils ont tous été chassés de la commune. A Saint Jean le Vieux, que le maire, l’adjoint et les membres du conseil municipal verraient avec plaisir tous ces Bohémiens chassés du département. A Arnéguy, la demeure de la seule famille listée serait le rendez-vous de tous les gens sans aveu, étant sur le point de l’extrême frontière. A Jaxu, Bustince et Bussunarits, aucune observation n’est faite. Les autres villages ne renferment aucun Bohémien et ils ne font qu’y passer pour mendier.
Sur la liste de 1860 sont recensées 256 personnes :
2 en Haute-soule à Licq, 7 en Basse-Soule à Menditte, 147 dans les cantons de Saint-Palais et Iholdy, 60 dans le canton de St Jean Pied de Port et 40 dans celui de Saint Etienne de Baigorry.
Je n’ai pas retrouvé sur les actes toutes les personnes de la liste de 1860, d’abord parce que je n’ai pas étudié tous les villages, mais aussi parce qu’il semblerait que tous les Bohémiens ne soient pas enregistrés à l’état civil. En effet au moment de se marier, un grand nombre de Bohémiens ne fournissent pas leur acte de naissance mais un acte de notoriété. Cet acte dressé devant le juge de paix était délivré pour suppléer au défaut d’acte de naissance.
D’autre part, beaucoup d’enfants sont nés hors mariage, et ont donc été déclarés dans un premier temps sous le nom de la mère. Certains sont ensuite reconnus par le père, ou du moins le mari de la mère. Des familles se déplaçant d’un village à l’autre, les recenseurs de la liste de 1860 ont peut-être inscrit des enfants sous le patronyme du chef de famille.
Enfin, je n’ai fait aucune recherche en Navarre espagnole, alors qu’il semblerait que beaucoup de Bohémiens aient fait des allées venues.
Les professions sont précisées pour la Haute Soule et le canton de St Jean Pied de Port seulement. Le Bohémien de Licq est tondeur. Dans le canton de St Jean Pied de Port, il y a 15 adultes sans profession, 11 mendiants (dont 9 femmes), 2 tondeurs, 3 vanniers, 2 chiffonniers, 1 laboureur, 1 ménagère, 1 journalier et 24 enfants de moins de quinze ans.
Pour la période de 1807 à 1893, sur 160 actes de naissances environ que j’ai recueillis et qui concernent cette population bohémienne, une cinquantaine porte la mention de bohémien pour l’un des parents ou les deux (dont 2 seulement en Soule), une autre cinquantaine précise la profession de tondeur de mulets, vannier ou rempailleur généralement pour le père. Pour les autres sont mentionnés le statut de mendiant ou de journalier, ou plus rarement une autre profession (chiffonnier, charbonnier, ménétrier, pêcheur). Enfin certains actes ne comportent aucune précision, mais je les ai retenus puisqu’ils concernaient des naissances dans des familles déjà repérées sur d’autres documents.
Dans tous les corpus assez importants de personnes ayant un même nom de famille, on trouve des membres avec les mentions de : bohémien (ne), tondeur de mulets, faiseur de corbeilles (ou rempailleur ou vannier) et mendiant (e). Certaines personnes passent d’ailleurs de la profession de tondeur à vannier au cours de leur vie.
Le recensement d’Irissarry compte 36 personnes ayant 7 patronymes différents. Dans les registres d’état civil apparaissent également, à la même époque et qualifiés de bohémiens 5 autres patronymes. D’autres personnes encore exercent les professions de tondeurs ou vanniers : 6 nouveaux noms de famille dont 3 apparaissent dans le recensement des Bohémiens d’autres villages.
De 1809 à 1874, 17 personnes sont qualifiées de Bohémiennes sur les actes, dont 15 pour des naissances : 9 enfants sont nés de couples mariés, 6 de pères inconnus.
Pour une même personne, le qualificatif “bohémien” n’est pas toujours employé. On le trouvera seulement dans certains actes.
Un acte de naissance de 1796 signale un témoin “laboureur”, un autre “ngt” et le père de l’enfant “espagnol”. Les témoins seront déclarés “Bouhème” ou tondeurs quelques années plus tard, et le père fera partie de la liste des Bohémiens raflés de 1802. En 1817 une femme décédée dont le nom est illisible est marquée bohémienne sur l’acte et “egipcienne” sur le récapitulatif des décès de l’année.
Certaines familles de Bohémiens sont installées dans le village depuis longtemps. On peut établir dans le village la descendance directe d’un couple ayant une fille en 1808, et dont un arrière petit enfant naîtra en 1874.
Pour certaines familles de la liste de 1860, dont je n’ai retrouvé aucun enfant ou seulement le dernier sur les actes, j’ai d’abord pensé que la famille était nouvellement installée dans le village. Mais il pourrait bien y avoir une autre raison à cette unique déclaration.
Des habitants d’Irissarry, rencontrés aujourd’hui, se souviennent de Bohémiens basques qui venaient s’installer durant l’été au bord de l’eau dans le village il y a une soixantaine d’années seulement. Ces témoins disent ne pas savoir ou partaient ensuite les Bohémiens pendant l’hiver. Le même phénomène existait aussi à Baigorry. J’ai alors vérifié à quelle période de l’année étaient nés les Bohémiens déclarés sur l’état civil d’Irissarry. Tous ceux nés dans les bordes sont nés entre septembre et avril, excepté un au mois d’Aout. Leurs frères et soeurs ont donc pu être déclarés à l’Etat civil d’autres villages du Pays Basque, pendant les pérégrinations estivales de leurs familles, ou peut-être aussi ne pas avoir été déclarés du tout.
À partir de l’établissement de l’état civil en France en 1792, les Bohémiens seront enregistrés sur les actes avec des noms de familles et des prénoms, comme le prévoit la loi pour tous les Français.
Seules deux personnes sont qualifiées de bohémiennes sur les actes de naissance de l’an 3 à 1859 : un tondeur de mulet et une jeune femme de Lohitzun de passage chez lui. Mais on trouve 9 familles de faiseurs de paniers ou vanniers, dont 5 portent le même patronyme que des Bohémiens du Pays Basque.
L’une de ces familles compte également parmi ses membres un faiseur de fuseaux, un pêcheur, un ménétrier et un musicien.
Les membres masculins de deux autres familles, ayant aussi des patronymes de Bohémiens, exercent les professions de tondeurs ou journaliers. Les femmes ou les personnes âgées de ces familles sont quant à elles mendiantes.
Un acte de décès concerne en 1840 une Bohémienne de 80ans.
Bien que cette recherche s’appuie principalement sur des documents du 19ème siècle, je voudrais citer un des textes des Etats de Navarre de 1782 sur cette question des mariages. Rappelant que les Bohêmes continuent à se répandre dans le pays malgré les mesures prises, ce texte parle d’un “mal bien plus sensible : c’est que les Bohêmes de l’un et de l’autre sexe entraînent les regnicolles (habitants du pays) dans leurs débauches et contractent mariage avec eux”. Il est donc proposé de conduire les mâles aux galères et les femmes au dépôt de mendicité. Il est aussi défendu aux sujets de contracter mariage avec les Bohêmes, aux notaires de passer des contrats de mariage et aux ecclésiastiques d’impartir la bénédiction nuptiale sous peine d’amende. Pour qu’un tel texte soit écrit, on peut penser que les mariages mixtes étaient déjà d’actualité au 18ème siècle.
Au 19ème siècle, certains Bohémiens se sont mariés avec des Basques, mais il est difficile de savoir combien tant les homonymes sont nombreux, et qu’en se mariant avec un Basque, la personne bohémienne n’est plus marquée comme telle sur les actes. Pour exemple en 1857, un fils de Bohémien né à Bussunarits se marie avec une fille d’institutrice et petite-fille d’instituteur. Ils sont tous deux marqués journaliers sur leur acte de mariage et les professions des parents ne sont pas mentionnées. En 1876 à Larribar, un Bohémien a un enfant avec son épouse qui n’a pas un nom bohémien. En 1883, on retrouve semble-t-il le même couple à Pagolle, lui est devenu laboureur et elle cultivatrice.
On peut par contre relever que les Bohémiens se marient très souvent entre eux. Pour 15 mariages relevés dans 6 villages de Basse-Navarre entre 1847 et 1856, soit 30 personnes, seules 5 ne portent pas de patronyme bohémien relevé sur d’autres actes (une fille de journalier sans profession, un maçon fils de cultivateurs, un journalier fils de métayers, un marchand de chiffons fils d’une ouvrière et une fille de mendiants sans profession). De plus, les familles semblent vivre en réseau sur toute la Navarre (française et espagnole) et la Soule. Ainsi à Irissarry, un tondeur né à Ossas se marie avec une femme originaire du Baztan, tandis qu’une jeune Bohémienne née à Bidarray se marie avec un jeune né à San Miguel. 3 enfants de Bohémiens de Basse-Navarre se marient à Menditte. Très souvent aussi, le réseau se limite à quelques villages et familles du voisinage. Un couple d’Hélette mariera ainsi ses deux fils à deux soeurs de Méharin, et sa fille semble-t-il à un cousin des deux soeurs à Hélette.
Les actes semblent souvent comporter des anomalies. Toujours à Irissarry pour la période de 1860 à 1872, 4 hommes (un Bohémien, un vannier, un faiseur de paniers et un rempailleur de chaises bohémien) ont pour épouses 4 personnes portant les mêmes nom et prénom. Un tondeur de mulets est marié à une personne pour la naissance d’un enfant en 1848, puis à une autre pour un deuxième enfant en 1850. Très souvent aussi, les âges déclarés ne suivent pas le cours normal des années.
Un acte relevé à Larribar en 1884 comporte de nombreuses ratures et concerne une famille de rempailleurs de chaises : le nom de l’enfant et celui des parents sont rayés et remplacés une ou deux fois. Une mention dans la marge précise que les témoins ont approuvé les corrections.
En 1895 sur les registres de St Palais, un homme est marié à Marie L, qui se prénomme Jeanne 4 ans plus tard, à moins qu’ils ne s’agisse d’un autre couple, mais il serait étonnant qu’ils aient tous exactement le même âge. Ayant parcouru un grand nombre d’actes dans plusieurs villages, j’ai l’impression que les Bohémiens se déclarent parfois à l’état civil sous le nom d’un autre membre de leur communauté.
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