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Un trésor caché à l'Opéra de Paris : l'orgue Cavaillé-Coll du Palais Garnier et son projet de restauration

Bernard ARRIETA

Tout le monde connaît le fameux roman de Gaston Leroux, « Le Fantôme de l’Opéra », ou du moins une de ses multiples séquelles. Comment ne pas se rappeler la chambre secrète d’Erik, le Fantôme, cachée dans les sous-sols du palais Garnier ? À l’intérieur se trouve un orgue, sur lequel il joue son Don Juan Triomphant... Toute cette histoire est, bien sur, imaginaire... En fin, toute ? Eh bien, non ! Car il existe vraiment un orgue au sein du palais Garnier. Et, bien qu’il ne soit pas caché dans les profondeurs de l’Opéra, il est parfaitement dissimulé et, hélas, trop silencieux… Combien de fois nous sommes-nous trouvés face à lui, sans même pas soupçonner son existence !

Cet instrument exceptionnel - « le plus célèbre des orgues français de salle lyrique [...] remarquable par sa composition »1 - se trouve coté Cour, au niveau de l’avant-scène, juste au dessus du poste de commandement (tuyaux au 4ème étage, au niveau du Pont Duboscq, équivalent aux 4èmes loges du coté public ; clavier un étage plus bas), à environ 12 mètres de hauteur. Occupant deux niveaux des anciennes loges « sur scène »2, il est enfermé dans une boîte expressive qui cache les tuyaux et le mécanisme. Tout au plus vous pourrez repérer deux des trois fenêtres de 8 jalousies destinées à « régler » le volume sonore de l’instrument.

L’auteur de cette merveille n’est autre qu’Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899), un des plus grands facteurs d’orgues du XIXème siècle, et créateur dès 1846 de ce qu’on pourrait appeler l’orgue « moderne » ou « symphonique ». Il trouve son modèle dans l’orchestre ; ses idéaux sont : puissance, pureté, homogénéité, stabilité. Parmi ses nombreux travaux, les orgues de Saint-Sernin à Toulouse, et de Saint-Sulpice, de Notre-Dame, et de la Madeleine à Paris. La revue « Diapason » lui consacre ce mois-ci un intéressant article, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance3.

Palais Garnier

Palais Garnier.
Photo: CC BY - scarletgreen.

Du point de vue historique, tout commence avec le premier devis de l’orgue, qui fut approuvé le 9 mai 1874. Aristide Cavaillé-Coll prévoyait de 4 à 5 mois de pose, pour un total de 22.000 francs. Le 29 décembre de la même année, il communique à la direction de l’Opéra que l’orgue est « terminé et posé […] prêt à la livraison ». Le coût final sera de 25.000 francs. La place prévue initialement était « exiguë » ; heureusement, le facteur de l’orgue réussit à convaincre Garnier de lui donner un peu plus d’espace, ce qui lui permet d’ajouter quelques jeux à ceux qui étaient prévus dans le premier devis. Néanmoins, la place finale reste assez restreinte pour un orgue de ces caractéristiques : sa base n’occupe que 1,60 mètres de largeur pour 5 mètres de profondeur, avec un poids total d’environ 6.000 kg4. L’emplacement est particulièrement défavorable à plusieurs points de vue : la manipulation des décors et l’empoussièrement qui en découle nuisent fortement l’orgue, l’organiste est incapable de voir directement le chef d’orchestre5, l’environnement climatique est problématique (présence de projecteurs de lumière qui occasionnent d’importantes variations de température), accès difficile, entretien et nettoyage compliqués...

L’orgue est joué pour la première fois le soir du 1er janvier 1875, à l’occasion de la première répétition (6 heures) du programme prévu pour l’inauguration de l’Opéra. Celui-ci incluait la « scène de l’église » du Faust de Gounod, ainsi que les deux premiers actes de La Juive. Les répétitions se déroulent normalement jusqu’à la générale du 3 janvier... Mme. Nilson étant enrouée, le programme est changé. Faust est abandonné, mais on garde La Juive et on ajoute la scène de la « bénédiction des poignards » des Huguenots.

L’inauguration de l’Opéra - et, par conséquent, de l’orgue - a lieu comme prévu le 5 janvier 1875. Le service pour l’instrument, d’après le détail des payements, dure 7 heures et inclut les 2 souffleurs, un accordeur et un « aide » pour l’organiste. La 1ère représentation d’un spectacle lyrique complet avec orgue, La Juive, a lieu le 8 janvier. Faust n’arrivera finalement que le 6 septembre...

Désormais, la vie artistique du nouvel Opéra se déroule normalement et, au gré des reprises et des créations, l’orgue est utilisé de façon régulière. Hélas, un premier cri d’alerte arrive, le 1er juin 1893 : Cavaillé-Coll signale que depuis 1875 « aucun travail [...] n’a été fait pour enlever la poussière ». L’état de l’orgue se détériore, certains jeux souffrent d’une perte de qualité de leur timbre... Le 8 février 1894 il considère l’orgue « en état de délabrement » !

En 1925, suite à une fuite dans la colonne d’eau du grands secours d’incendie, l’orgue est inondé et mis hors de service. C’est à ce moment, à l’occasion de la réparation par la maison Cavaillé-Coll / Convers6 que quelques modifications sont effectuées, la plus importante étant le remplacement de la soufflerie manuelle (1.000 kg de contrepoids pour compresser les soufflets, manipulés par 2 souffleurs) par un ventilateur électrique, installé dans une pièce séparée située sous l’orgue.

L’orgue est joué pour la dernière fois lors d’un spectacle lyrique le 23 mars 1959, à l’occasion du centenaire de la création du Faust de Gounod. Le grand organiste André Marchal7 continuera à le jouer occasionnellement jusqu’en 1964. Mais la toute dernière personne à donner vie à l’instrument, en 1968, est Mme. Simone Blanc. Chef de chant à l’Opéra de Paris entre 1951 et 1974, elle est toujours vivante et se porte bien8.

Avec l’arrivée de l’administration Liebermann, l’orgue tombe en désuétude, au point d’être remplacé par un clavier électronique disposé dans la fosse d’orchestre... Par la suite, il est complètement laissé à l’abandon. Il échappera pour un temps à l’oubli le plus total grâce à quelques rares visiteurs curieux, guidés par le musicologue et spécialiste de l’orgue Claude Noisette de Crauzat qui organise vers 1973-74, avec l’appui du Conservateur de la Bibliothèque de l’Opéra, des visites prestigieuses des coulisses.

Au vu de la situation, une première demande de protection sera faite par Norbert Dufourcq9 en 1975, sans succès. C’est finalement un arrêté du 14 août 1990 qui classe l’orgue (uniquement sa partie instrumentale), au titre objet, dans le répertoire des Monuments Historiques10. Propriété de l’État, il est considéré alors « hors d’état de marche ».

Oublié de tous, sauf des spécialistes, l’orgue a subi une longue période d’abandon. Aux effets du temps sont venus s’ajouter des actes de vandalisme. Non seulement la poussière s’est accumulée de manière effrayante : des tirants de registres ont disparu, le placage en ivoire de certaines touches a été arraché, d’autres sont complètement manquantes, quelques tuyaux ont été fortement abimés (des gens n’ont pas hésité à marcher dans la tuyauterie...). Bref, bien qu’ayant subi des détériorations assez spectaculaires, l’instrument semble « fort sain » et une restauration serait possible sans trop de difficultés. Il y aurait fort espoir de retrouver les sonorités d’origine de cet instrument dont la structure et l’harmonie ont été miraculeusement préservées : le matériel existant semble avoir conservé tous ses caractères d’origine, et c’est le seul orgue « lyrique » à demeurer à son emplacement initial.

L’idée de récupérer cet instrument a, finalement, vu le jour : c’est pendant la direction de M. Gérard Mortier qu’Adrien Perreau - faisant partie de la Direction des Relations Sociales et des Ressources Humaines de l’Opéra - apprit l’existence de l’orgue. M. Mortier, qui ignorait l’existence de l’instrument, avait semblé dans un premier temps intéressé par le projet de restauration. Cependant celui-ci ne prendra forme que très récemment, avec l’arrivée de M. Nicolas Joël, et plus particulièrement avec le soutien du directeur adjoint, M. Christophe Tardieu.

Entre temps, un heureux hasard a permis à M. Perreau - actuellement Chargé de la restauration de l’Orgue – de rencontrer Florian Le Doussal, responsable des Dispositifs Musicaux au Palais Garnier et très attaché à l’histoire de l’instrument, car arrière-petit-neveu d’André Marchal, que nous avons évoqué plus haut. Passionnés, la collaboration entre ces deux hommes a donné un nouvel élan au projet de restauration.

Cavaille-Coll de l eglise Saint-Roch

Cavaillé-Coll de l'église Saint-Roch.
Photo: CC BY - dalbera.

Le chemin a été long et les interlocuteurs nombreux : visites officielles, rapports, recherches de documentation, étude préalable détaillée sur l’état de l’orgue, réunions de la Commission Nationale des Monuments Historiques... Heureusement, ces efforts on été payants : le projet semble actuellement sur la bonne voie et l’orgue du Palais Garnier sera vraisemblablement remis en état de marche dans un futur relativement proche. Les modalités définitives de la restauration sont encore en cours d’étude. Par exemple, un des sujets soumis à débat et d’une grande importance du point de vue musical est le diapason. Au premier abord, l’orgue semble être resté au diapason de l’Opéra, réglementé par l’arrêté de 1859 : 435 Hz à 15º C. La compatibilité de son usage avec un orchestre moderne est, de ce fait, à vérifier...

Bien. Très intéressante, toute cette histoire de restauration mais... vous demanderez vous... pourquoi l’Opéra aurait besoin un orgue ?

Il s’agit d’une tradition vieille de presque deux siècles. La première référence à l’usage d’un orgue dans le répertoire lyrique provient du Zampa de Hérold, donné le 3 mai 1831 à l’Opéra-Comique. L’Opéra ne tardera pas à suivre l’exemple précédent « afin d’ajouter sa teinte inimitable aux manifestations religieuses »11 : l’emploi de l’orgue dans Robert le Diable de Meyerbeer le 21 novembre 1831 sera relevé par la presse. Désormais, son utilisation deviendra fréquente, non seulement pour évoquer l’église (Faust de Gounod, Manon de Massenet), mais aussi des temps archaïques (Esclarmonde de Massenet), ou avec des connotations « terribles », voire fantastiques (Faust de Gounod)...

Les exemples d’œuvres lyriques contenant une partie d’orgue sont nombreux :

Gounod : Roméo et Juliette, Faust, Polyeucte, Mireille
Massenet : Manon, Esclarmonde, Werther, Le Cid, Thaïs
Mascagni : Cavalleria Rusticana
Lalo : Le Roi d’Ys
Meyerbeer : Robert le Diable, Le Prophète
Halévy : La Juive
Donizetti : La Favorite
Verdi : Luisa Miller, Aïda
Boito : Mefistofele
Wagner : Lohengrin, Les Maîtres chanteurs

Avant l’existence d’un orgue « fixe », il était habituel de louer un instrument qu’on installait dans le théâtre pour l’occasion. Le nouveau phénomène de « mode » rendit peu pratique ce procédé : la meilleure solution était, bien sur, d’avoir un orgue sur place. Un des premiers théâtres à réaliser l’investissement fut l’Opéra de Paris12.

Parlons maintenant de l’instrument lui-même, sa facture et sa composition. De manière résumée on peut dire qu’il est comparable par son importance à un gros orgue de chœur de cathédrale : il possède deux claviers manuels de 56 notes et un pédalier à l’allemande de 30 marches. Ses 700 tuyaux13, dont les plus grands ont 16 pieds de haut, sont répartis sur 18 registres (14 jeux réels). Parmi ses particularités, l’absence de jeux doux (à une exception près), ainsi que de tout jeu de détail, le vent très stable, et les pressions exceptionnellement fortes.

Quelques rares enregistrements peuvent servir pour nous faire une idée de sa sonorité :

• Faust de Gounod, 1ère version (mono) dirigée en 1953 par André Cluytens, avec Gedda, Christoff et Victoria de los Ángeles (réédition EMI en CD, 1994)

Le Roi d’Ys de Lalo (extraits), version de 1957 dirigée par André Cluytens (Columbia 30.187)

• Plusieurs enregistrements de Henri Busser, dont un Manon de Massenet assez connu, avec Jean Marny et Fanny Heldy (Pathé, 1923), réédité en CD (Aura LRC 1901 et Malibran MR 558).

Pour les amateurs d’orgue, voici le détail de sa composition :

I – Clavier des jeux de fonds, 56 notes, 6 jeux :

Bourdon 16
Principal 8
Flûte harmonique 8
Bourdon 8
Prestant 4
Doublette 2

II – Clavier de Grand-Chœur, 56 notes, 6 jeux :

Octave 4
Quinte 2⅔
Plein-Jeu VII rangs (posté comme un Cornet)
Bombarde 16
Trompette 8
Clairon 4

Pédale, 30 notes, 2 jeux + 4 emprunts

- Grande Pédale, sur 12 notes, Ut1 à Si1 :

Contrebasse 16 (sur la première octave)
Tuba Magna 16 (sur la première octave)

- Petite Pédale, 30 notes empruntées sur les deux claviers :

Soubasse 16 (empruntée au premier clavier)
Flûte 8 (empruntée au premier clavier)
Bombarde 16 (empruntées au deuxième clavier)
Trompette 8 (empruntées au deuxième clavier)

Tirasse I, Tirasse II, Accouplement II/I, Expression générale

La récupération d’un instrument aussi imposant permettrait non seulement son utilisation dans le répertoire lyrique traditionnel, pour lequel il fut conçu, mais aussi dans le répertoire de concert. Sa présence devrait également encourager des nouvelles créations.

Palais Garnier

Palais Garnier.
Photo: CC BY - scarletgreen.

Il y a, toutefois, dans cet orgue, quelque chose de mystérieux... Sans vouloir faire de lien avec le Fantôme de l’Opéra, il est curieux de constater l’étrange rapport de cet instrument avec le Faust de Gounod : son inauguration devait avoir lieu avec la scène de l’église de Faust ; la dernière production lyrique qu’il a joué est Faust ; et, au moment où j’écris ces lignes, l’Opéra de Paris donne Faust ! Et n’oublions pas la place capitale de Faust dans le roman de Leroux. C’est pour le moins étonnant...

Il serait injuste de finir cet article sans remercier sincèrement les personnes qui ont permis son écriture : Adrien Perreaux et Florian le Doussal. Ils ont guidé et accompagné mes recherches, ils ont répondu avec patience à mes multiples questions, ils m’ont aimablement fourni les documents nécessaires et, surtout, ils m’ont communiqué leur passion pour cet instrument et son histoire. Ils portent sur leurs épaules - avec le soutien de la direction, et en particulier de M. Tardieu - le poids de cet énorme défi. Leur engagement dans la sauvegarde de notre patrimoine est précieux.

Il est également important de signaler que la restauration, subventionnée en partie par l’État, ne pourrait jamais voir le jour sans l’aide inestimable du Mécénat et de l’AROP.

1Henri de Rohan-Csermak, Conseiller de l’ARIAM pour les orgues d’Île de France : « Projet de restauration de l’orgue Cavaillé-Coll. Rapport de visite. », 13 juin 2007

2Éliminées pendant l’été 1917, leur volume fut conservé pour d’autres usages.

3Nº 595, octobre 2011.

4Charles Nuitter, « Le Nouvel Opéra » (1875), p. 237. Réédition La Bibliothèque des Introuvables, 1999

5Plusieurs systèmes seront utilisés pour pallier ce problème : miroirs, assistants, voyants lumineux, haut-parleurs...

6Dirigée depuis 1924 par Auguste Convers (1884-1976), successeur de Charles Mutin (1861-1931), lui-même élève et successeur d’Aristide Cavaillé-Coll.

71894-1980. Aveugle de naissance, titulaire des orgues de St. Germain des Près, puis de Saint-Eustache, officier de la Légion d’Honneur, il fut l’un des grands organistes du XXème siècle.

8À sa retraite, elle fut succédée par M. François Sauvageot.

91904-1990. Organiste, professeur, musicologue et musicographe.

10Le Palais Garnier, lui (architecture et décor extérieur et intérieur), est classé depuis l’arrête du 16 octobre 1923.

11Hervé Lacombe, « Les voies de l’opéra français au XIXe siècle », Fayard, 1997, page 169.

12Le Théâtre-Lyrique possédait depuis 1864 un Cavaillé-Coll avec 8 jeux. Restauré en 1992, il est conservé dans l’église Saint-Géran de Le Palais (Morbihan). L’orgue utilisé au même théâtre pour la création de Faust se trouve actuellement dans l’église Saint-Didier de Voreppe (Rhône-Alpes).

131.032 tuyaux, d’après Charles Nuitter, « Le nouvel Opéra », p. 236.

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