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Les sorcières de Pierre de Lancre

Véronique DUCHE-GAVET

L’année 1610, de sinistre mémoire, vit se dérouler en Navarre le célèbre procès de Logroño, au cours duquel l’Inquisition jugea une cinquantaine de personnes suspectes de sorcellerie, toutes originaires de Zugarramurdi et de la vallée de Baztan. Douze condamnations à mort furent alors prononcées. Mais cet autodafé fit suite à une campagne menée l’année précédente en Labourd par un juge bordelais, Pierre de Lancre, chargé d’enquêter « pour la recherche du crime de Sorcelerie audict pais de Labourt, et autres circonvoisins [...] pour leur faire et parfaire le procez souverainement ». Du 27 juin au 1er novembre 1609, Pierre de Lancre visita 24 des 27 paroisses du bailliage, prononçant des dizaines de condamnations.

Les renseignements sur ces quatre mois de procédures se lisent dans deux ouvrages que Pierre de Lancre publia à son retour : le Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie et L’incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue, où il est amplement et curieusement traicté de la vérité ou illusion du sortilège.1 Le premier ouvrage nous intéressera ici tout particulièrement parce qu’il constitue un témoignage précieux de la réception française des événements espagnols contemporains : en effet, un chapitre est consacré à l’autodafé de Logroño.

Après avoir rapidement retracé l’histoire de l’obsession du magistrait bordelais pour la sorcellerie, nous brosserons le portrait-type de la sorcière selon Pierre de Lancre.

Nous ne ferons cependant que marcher sur les brisées de Gustav Henningsen, qui dans son œuvre magistrale The witches’ Advocate. Basque Withcraft and the Spanish Inquisition, utilise déjà ce matériau, sans toutefois l’étudier de façon exhaustive.2 Nous tâcherons donc de compléter sa lecture du Tableau de l’inconstance.

Pierre Rostégui de Lancre, seigneur de Loubens

« Conseiller au parlement de Bordeaux », Pierre Rostegui de Lancre, seigneur de Loubens, est né en 1553 et s’est paisiblement éteint à Bordeaux en 1631, à l’âge de 78 ans. Aprsè avoir reçu le garde de docteur en droit à l’âge en 1579, il exerce tout d’abord la profession d’avocat, puis achète une charge de parlementaire en 1582. Il est membre de la deuxième chambre d’enquêtes, puis membre de la grande chambre.

Mais il s’adonne également à l’écriture, une de ses passions sans doute. Il publie son premier ouvrage en 1607 : Tableau de l’inconstance et instabilité de toute chose.3

C’est à cette époque que se manifeste l’intérêt de Pierre de Lancre pour la sorcellerie. Le fameux procès de Jean Grenier, qui se déroule en 1603, retient toute son attention : il décrit minutieusement la procédure et rend visite à plusieurs reprises au soi-disant lycanthrope. Il est également rapporteur dans plusieurs autres affaires de sorcellerie. Mais ce qui lui vaudra la célébrité est l’enquête qu’il mena en 1609 avec son collègue Jean d’Espaignet, à la demande du roi Henri IV. Chargés d’éradiquer la sorcellerie en Labourd, les deux hommes disposeront pour cette mission des pleins pouvoirs.

Les renseignements sur ces quatre mois de procédures se lisent dans le Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons. Son auteur le présente comme un traité à la fois théologique et judiciaire, comme en témoigne son titre : « Livre très utile et nécessaire, non seulement aux Juges, mais à tous ceux qui vivent soubs les loix Chrestiennes ». Il s’agit donc d’un répertoire de cas de jurisprudence démoniale, mais aussi de littérature morale : Pierre de Lancre vise à débusquer l’inconstance.

La sorcière selon Pierre de Lancre

On notera toutefois que le discours contre la sorcellerie cible tout particulièrement les femmes. Le titre du 3e chapitre du livre Premier en témoigne : « Pourquoi il y a plus de femmes sorcieres que d’hommes ».

Ressourcée à la lumière de l’exégèse biblique, l’ancestrale peur de la femme prend toute sa dimension dans l’ouvrage de Pierre de Lancre, qui abonde en remarques misogynes. La situation particulière des Labourdines, en raison de l’absence de leurs maris pêcheurs, choque le sévère magistrat bordelais.

Ainsi selon Pierre de Lancre, la « sorcière » doit être punie parce qu’elle représente une menace pour la stabilité des structures sociales : son indépendance (sexuelle ou conjugale), le pouvoir qui lui est accordé dans le domaine familial ou religieux constituent un danger. L’abandon du nom du père, par exemple, n’est pas le moindre indice d’un dysfonctionnement de la société :

Ils laissent ordinairement leur cognom et leur nom de famille, et mesme les femmes les noms de leurs maris, pour prendre le nom de leurs maisons, pour chétives qu’elle soyent (p. 45)

Cette menace affecte personnellement le magistrat bordelais, séduit par la beauté des Labourdines, et frustré peut-être, non seulement dans sa condition d’homme, mais également dans sa condition de juge, face à l’inertie de l’institution judiciaire, et décidé à faire régner l’ordre, ou sa conception personnelle de l’ordre.

Pierre de Lancre est notamment obsédé par le sabbat, dont la représentation prend beaucoup d’importance dans le Tableau de l’inconstance, si bien qu’elle influencera toute la littérature postérieure sur la sorcellerie. Pierre de Lancre fait s’y exprimer toutes les hantises sexuelles, économiques et sociales qui marquent son époque. Opérant une véritable négation des cadres temporels, spatiaux et humains, le juge assimile les carnavals, charivaris et autres fêtes traditionnelles basques à des cérémonies du sabbat. Ainsi les sauts au-dessus des feux de la Saint-Jean sont interprétés comme une ruse diabolique destinée à faire disparaître la peur de l’enfer chez les sorciers. La gravure de Jan Ziarnko, eau forte qui orne les éditions de 1613 du Tableau de l’inconstance des mauvais anges et des démons, organisée autour de l’envol des sorcières arrivant au sabbat ou bien le quittant, matérialise toutes les obsessions du magistrat bordelais.

Zugarramurdi

Zugarramurdi.

Mais Pierre de Lancre vise également à démontrer la supériorité du système judiciaire français. En effet, un chapitre de son ouvrage est consacré au « Discours de l’acte de la foy, celebré en la ville de Logroigne le septiesme et 8. Novembre 1610 », auquel le professeur Gustav Henningsen a consacré ses brillantes recherches. Le titre de l’ouvrage de Pierre de Lancre en faisait d’ailleurs un argument publicitaire : « Avec un Discours contentant la Procedure faite par les Inquisiteurs d’Espagne & de Navarre, à 53 Magiciens, Apostats, Juifs & Sorciers, en la ville de Logrogne en Castille, le 9. Novembre 1610. En laquelle on voit, combien l’exercice de la Justice en France, est plus juridiquement traité, & avec de plus belles formes qu’en tous autres Empires, Royaumes, Republiques & Estats ».

Résumant les quatre-vingt sept pages d’une relation espagnole de ce procès4, Pierre de Lancre déplore tout d’abord que plusieurs sorcières aient pu échapper à sa juridiction :

Pendant que nous travaillions pour exterminer les Sorciers du pays de Labourt, les Inquisiteurs travailloyent en Espagne & Navarre. Et voyans que non seulement plusieurs sorciers bannis par nous, alloyent comme en asyle vers eux pour la facilité & commodité du passage, mais encore qu’un nombre infiny se refugioyent par toute la Navarre & les villes prochaines d’Espagne, creignans d’estre prévenus en Labourt, où nous leur faisions bonne guerre.

Puis il se propose de décrire « les traicts nouveaux, estranges & espouvantables, que le Diable faict faire aux sorciers au sabbat, & ailleurs, en Espaigne & Navarre ». Il s’attarde longuement sur les scènes de sabbat, se déroulant au lieu de « Lanne de bouc », avec un luxe de détails concernant le Diable et les sorcières.

Ainsi la sorcière de Pierre de Lancre est dépassée par des enjeux beaucoup plus grands. Le Labourd est en effet un lieu où s’exacerbent les conflits, politiques, sociaux ou religieux. Issu de la bourgeoisie bordelaise, Pierre de Lancre ne parvient pas à s’affranchir des préjugés inhérents à l’homme de robe érudit et urbain, et se révèle incapable de comprendre les coutumes de la campagne labourdine, qu’il attribue au diabolisme. « Jehanne de Hortilopits agee de 14 ans habitante de Sare », « Marguerite de Sate aagee de seize à dix sept ans habitante de S. Pé », « Catherine d’Arreiouaque d’Ascain agee de 14 à 15 ans » ou encore « Marie d’Aspilcuette habitante de Handaye aagee de 19. ans » en auront toutes fait les frais...

1 Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie, Paris, Nicolas Buon, 1612 (rééd. chez Jean Berjon, 1613) ; L’incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue, où il est amplement et curieusement traicté de la vérité ou illusion du sortilège... et d’une infinité d’autres rares et nouveaux subjects, Paris, Nicolas Buon, 1622.

2 « A detailled study of de Lancre, However, falls outside the scope of this book. I restrict myself to a short account in order to provide a background for the exposition that follows. » (Gustav Henningsen, The witches’ Advocate. Basque Withcraft and the Spanish Inquisition (1609-1614), University of Nevada Press, Reno, Nevada, 1980, p. 24).

3 Tableau de l’inconstance et instabilité de toute chose, où il est montré qu’en Dieu seul gît la vraie confiance, à laquelle l’homme sage doit viser, par P.D.R.D.L.S.D.L., Paris, Abel Langelier, 1607 (réédité en 1610).

4 Relacion summaria del auto de la fe que los señores doctor Alonso Bezerra Holguin, del Abito de Alcantara, licenciado Ioan de Valle Alvarado, Licenciado Alonso de Salazar Frias, Inquisidores Apostólicos en el Reyno de Navarra y su distrito, celebraron en la Ciudad de Logroño, en siete y ocho días del mes de Noviembre, de mil seyscientos y diez años.

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