Laurent BONARDI, Université de la Polynésie française
Le clergé basque
Le rôle du clergé dans l’apparition et le développement du nationalisme basque fait l’objet de nombreuses études1. Le projet nationaliste de Sabino Arana, dont le but ultime est l’indépendance du Pays Basque, est étroitement lié à la religion catholique, comme le démontre le célèbre aforisme de Arana : « Nosotros para Euzkadi y Euzkadi para Dios »2.
A la fin du XIXe siècle, plusieurs séminaristes d’idéologie nationaliste choisissent de poursuivre leurs études en Amérique et plus spécialement en Argentine. Parmi eux, Francisco Alcíbar Arichuluaga qui s’installe à Rosario3, Nicasio Cortabarría Idiazábal qui vivra à Buenos Aires4 et Francisco Azpiri Mendiguren qui lui sera intégré au séminaire de Santa Fe5. La trajectoire des ces trois hommes illustre la façon dont les membres du clergé basque jouent un rôle essentiel au sein de la communauté basque argentine. Ainsi, Alcíbar participe-t-il à la fondation du centre Zazpirak Bat de Rosario (crée en 1912, il s’agit du premier centre basque fondé en Argentine)6, Cortabarría devient un membre de premier plan du centre Laurak Bat de Buenos Aires7 et Azpiri un collaborateur régulier de la revue basque La Baskonia publiée à Buenos Aires8.
Fondation du centre Zazpirak Bat de Rosario. |
Pendant les années 1910, l’Eglise espagnole organise une épuration du clergé basque. L’idéologie nationaliste de certains religieux basques est susceptible de mettre en péril le statu quo précaire établi entre l’Eglise et la Monarchie depuis la fin de la guerre carliste. En 1913, le Nonce apostolique du Vatican à Madrid rappelle aux evêques du Pays Basque :
Vigilen con atención el bizkaitarrismo de algunos religiosos vascos. Estos, con su postura separatista, además de perder el espíritu de su Orden, provocan el odio del Gobierno y la Nación9.
La solution adoptée par la hiérarchie ecclésiastique sera d’envoyer les religieux nationalistes en Amérique. Comme le souligne le supérieur général de l’ordre des Capucins, Melchor de Benissa, la principale terre d’accueil de ces condamnés à l’exil sera l’Argentine10. Le clergé régulier est le plus touché par les mesures d’épuration. En effet, l’idéologie nationaliste avait trouvé un écho favorable au sein de plusieurs ordres, en particulier chez les capucins de la Province de Navarre. Dans les années 1920, avec la dictature de Primo de Rivera, le phénomène de l’exil des religieux basques s’amplifie. Mais l’événement qui engendrera l’exil le plus massif est à venir. En effet, le soulèvement militaire de 1936 et la prise de contrôle du dernier territoire basque par les troupes rebelles en 1937 marquent le début d’une répression systématique contre les secteurs nationalistes du clergé basque. Cette répression concerne non seulement les religieux qui défendent les idéaux nationalistes mais aussi ceux qui n’apportent pas un soutien inconditionnel aux rebelles. Le 8 juillet 1937, le nouveau maire de Bilbao désigné par Franco, José María de Areilza, déclare :
José Mª de Areilza Martínez de Rodas. |
Différentes mesures allant de l’assignation à résidence à la peine de mort touchent plus de 800 prêtres. Quant au clergé régulier, il n’est pas épargné et de lourdes sanctions sont prononcées contre nombre de ses membres12. Une telle situation provoque l’exil en Amérique de plus de 2 000 religieux basques auxquels s’ajoutent ceux qui « choisissent » d’autres destinations, dont la France13. Mais le spectre de la Seconde Guerre Mondiale aura tôt fait de transformer la France en une simple étape avant de poursuivre le voyage jusqu’en Amérique où ailleurs14. L’importance de la communauté basque et les liens tissés avec celle-ci par les religieux basques qui se sont installés en Argentine depuis la fin du XIXe font du pays sud-américain une terre d’accueil privilégiée15.
Les membres du clergé qui s’étaient distingués par leur position nationaliste au Pays Basque ne diminuent pas leurs activités dans leur pays d’accueil. En Argentine, les religieux exilés trouvent un espace favorable à la diffusion des idéaux nationalistes grâce à l’importance numérique de la communauté basque. Ils prennent une part active aux activités de centres déjà existants tels que le Laurak Bat de Buenos Aires et participer à la fondation de nouvelles entités pendant les années 1940-1945. Ainsi, le centre basque de Villa María est-il crée à l’initiative de trinitaires basques installés dans la région de Cordoba et le centre Euzko Etxea de La Plata voit le jour grâce aux capucins exilés vivant à Villa Elisa. D’autres religieux collaborent à des projets culturels tels que le Boletin del Instituto Americano de Estudios Vascos dont les deux premiers directeurs sont des prêtres nationalistes basques. Il s’agit de Gabino Garriga et de Bonifacio de Ataún16.
Les religieux basques contribuent aussi à la création du Comité Pro Inmigracion vasca, fondé le 30 août 1939. En janvier 1940, ce comité obtient du président argentin Ortiz un décret offrant l’asile aux basques espagnols et français qui le souhaitent avec pour seule condition de recevoir l’aval du comité. Le décret sera confirmé en juillet 1940 par Ramón Castillo, le successeur d’Ortiz. Grâce à cette mesure, près de 1 500 basques pourront s’installer en Argentine. Une telle situation indigne les autorités espagnoles qui multiplieront les tentatives pour mettre fin au traitement de faveur réservé aux Basques17.
1 Voir, par exemple, Fusi, Juan Pablo, García de Cortázar, Fernando, Política, Nacionalidad e Iglesia en el País Vasco, Saint Sébastien, Txertoa, 1988, 114 p.
2 Cité dans Fusi, Juan Pablo, García de Cortázar, Francisco, Politica..., op.cit., p. 61.
3 Voir Txorierri, F., « Markina’ko ‘Estudiantie’ il da », Euskaltzaleak, Buenos Aires, mai-juin 1955, p. 1.
4 Voir Gasteiztarra, J., « Del clero vasco en la Argentina », Anuario Almanque vasco, Rosario, s.e., 1941, p. 72.
5 Voir Tonda, Américo A., Historia del Seminario de Santa Fe, Santa Fe, s.e., 1957, p. 184.
6 Voir Álvarez Gila, Óscar, « Euskal abertzaletasunaren ezarrera Argentinan : Rosario-ko Zazpirak Bat euskal etxearen adibidea (1912-1935) », Mundaiz, Saint Sébastian, 1992, pp. 97-118.
7 Voir Gasteiztarra, J., op.cit., p. 92.
8 Voir Uriarte, Ramón de, « Notas locales », La Baskonia, Buenos Aires, 20 octobre 1910, p. 32. Dans cet article, le directeur de la revue qualifie Azpiri d’ « ami » et de « précieux collaborateur ».
9 Boletín eclesiástico del Obispado de Vitoria, Vitoria, 21 novembre 1913, p. 4 [Archives du centre Laurak Bat de Buenos Aires].
10 Voir Elizondo, Mauro, ‘Bizkaitarrismo’ e injerencias políticas en el gobierno interno de la Provincia capuchina de Navarra, Vitoria, Gasteiz, 1989, p. 216.
11 « Discurso de José María de Areilza en el coliseo Albia », Hierro, 9 juillet 1937, p. 4.
12 Voir Aguirre, J.M. et al., Historia general de la Guerra Civil en Euskadi, Bilbao, Naroki-Haranburu, 1918, pp. 125-216 (vol. 5).
13 Voir Álvarez Gila, Óscar, « El misionerismo y la presencia religiosa vasca en América (1931-1940) », Mundaiz, San Sebastian, 1991, p. 90. Les autorités basques se chargent d’obtenir des passeports pour les religieux, voir annexe p.
14 Voir « El exilio religioso vasco a Francia : la provisionalidad (1937-1940) », Actes du colloque international Españoles en Francia (1936-1946), Salamanque, Université de Salamanque, 1991, pp. 412-421.
15 Voir la lettre du délégué du gouvernement basque en Argentine, Ramón María Aldasoro, adressée au lehendakari, Buenos Aires, 13 avril 1940 [Archives du Nationalisme Basque (A.N.B.), GE,K.00384, C2].
16 Voir ARALAR, José de, La rebelión militar española y el pueblo vasco, Buenos Aires, Amorrotru, 1937, pp. 72-89.
17 Voir ANASAGASTI, Iñaki, Homenaje al Comité Pro-Inmigración Vasca en Argentina, San Sébastien, Txertoa, 2000, 1988, 242 p. Voir aussi l’entretien de Diego Joaquín Ibarbia reproduit dans Auzo, Gonzalo, « Nosotros creamos el Comité Pro Inmigración Vasca en Argentina », Euskonews, mars-avril 2003.
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