L'usage des langues espagnole et basque dans le Voyage vers les Pyrénées
Véronique Duché

Victor HugoEn été 1843, Victor Hugo entreprend un voyage vers les Pyrénées. Le tourisme, invention anglo-saxonne toute récente, privilégie en effet cette région du sud-ouest de la France. Comme son ami Mérimée quelques années auparavant (1838), Hugo met donc cap vers le sud, soucieux de retrouver le plaisir qu’il avait connu lors de ses excursions dans les Alpes, ou bien encore le long du Rhin.

S’il désire se remettre de l’échec des Burgraves survenu l’hiver précédent et s’échapper de Paris et de sa situation familiale compliquée – vie partagée entre son épouse Adèle et sa maîtresse Juliette, qui va l’accompagner en Espagne – Victor Hugo souhaite également retrouver les émotions de l’enfance. En effet, l’écrivain a la nostalgie de son enfance espagnole. Son père, général de Napoléon, avait servi en Espagne, et sa famille l’avait rejoint à Madrid en 1811 et 1812.

Victor Hugo quitte donc Paris le 18 juillet 1843. Il traverse les Landes le 23 juillet – il apprend alors la chute d’Espartero -, puis séjourne quelques jours à Bayonne. Les souvenirs d’enfance ressurgissent : Bayonne où il avait séjourné un mois avec sa mère et son frère Eugène, alors qu’ils se rendaient à Madird. (Deux souvenirs se dégagent particulièrement : on donne au théâtre les Ruines de Babylone, mélodrame de Pixérécourt, auquel le jeune Hugo assiste à plusieurs reprises ; et l’ « angélique figure » d’une jeune fille de 14-15 ans qui lui faisait la lecture.) Une escapade à Biarritz le 25 juillet coupe ces moments passés à Bayonne.

Puis Hugo prend la direction de l’Espagne le 27 juillet, par Irun et Fontarabie. Il se rend à Saint-Sébastien, puis Pasages, où il loge chez Mme Basquetz. Il contemple la baie, l’agitation du port, fait de longues promenades. Il visite le village dévasté de Lezo, puis se rend vers Tolosa, Ernani, enfin Pampelune.

De retour à Bayonne le 13 août, il se rend à Pau, Cauterets, Gavarnie, puis Luz. Enfin il prend le chemin du retour à Paris en passant par Auch, Agen, Périgueux et Rochefort, où Victor Hugo apprend par hasard, en lisant une gazette qui traînait sur la table d’un café, que sa fille Léopoldine s’est noyée.

C’est la fin du voyage. Deuil et désolation succèdent à l’enthousiasme de la (re)découverte.

Durant son voyage, Victor Hugo avait pris des notes et tenu une sorte de journal de bord, de relation de voyage. Certaines parties sont entièrement rédigées, d’autres sont constituées de brèves notations. On compte aussi une lettre. Une publication posthume de cet ensemble de textes sous le titre de Voyage vers les Pyrénées verra le jour en 1890.

On connaît l’intérêt des romantiques pour les littératures étrangères, et l’on sait que dans ses œuvres, Hugo recourt fréquemment à des vocables étrangers. Je voudrais aujourd’hui m’intéresser à l’emploi des langues basque et espagnole dans le texte du Voyage vers les Pyrénées.

On notera tout d’abord que Victor Hugo n’emprunte pas seulement aux langues des pays qu’il traverse. De façon paradoxale peut-être, il cite également d’autres langues, qui n’ont aucun rapport avec le lieu géographique dans lequel il se trouve. L’italien par exemple, est réservé à quelques citations d’ordre littéraire. Un mot en anglais a son importance : le mot tourist, d’invention récente. (Il est amusant de constater que ce terme intervient dans le contexte du séjour de Hugo à Pasages, « petit éden rayonnant » qu’aucun tourist ne visite ».) Figurent également deux syllabes en anglais relevées sur le mur de la maison qu’habite Hugo à Pasages : old/cold, survivances de « quelque enseigne de marchand ». Des références au béarnais sont également lisibles à la fin du Voyage. Enfin de nombreux passages en latin émaillent le texte.

LA LANGUE BASQUE

On sait grâce à la correspondance de Victor Hugo (Lettre à Charles Hugo datée du 31 juillet 1843) que Hugo a fait l’acquisition d’une grammaire basque, destinée à l’aider dans son apprentissage de la langue, et sans doute de satisfaire sa curiosité :

« Je suis ici [Saint-Sébastien] à peu près en Espagne, étudiant une grammaire basque qui m’a coûté quatre réaux, en parlant espagnol avec les curés et les servantes d’auberge comme si je n’avais fait autre chose toute ma vie. Je n’étais pas en Espagne depuis deux heures que tout mon espagnol de 1813 me revenait, et je me suis remis à barboter en plein castillan comme un poisson vivant qu’on rejette à l’eau et qui se remet à nager. »

Peu d’euskara dans le texte : une dizaine de mots et expressions seulement sont utilisés par Hugo. Sans doute ce dernier n’a-t-il pas eu le temps de mettre à profit la grammaire basque qu’il avait achetée ! Ces expressions représentent une difficulté pour le lecteur, obligé de s’imaginer le sens de ces mots, qu’Hugo n’indique pas toujours. Ces mots sont prononcés par des personnages de rencontre, deux pâtres dans la montagne :

Iguraldia gaiztoa.
Jaincoa berorrecrequin.
Ahuatlacouata !

ou bien par Hugo lui-même, en « basque médiocre » comme il l’avoue :

Buy, bicho nequesa.

Un dialogue entre montagnards basques – bien laconique – est entièrement traduit par Hugo :

Zuec ? – Gue. – Nu ? – Emen. – Cembat ? – Lau.
Vous ? – Nous. – Où ? – Ici. – Combien ? – Quatre.

On relève encore quelques expressions :

Adisquidea. (Traduit par Hugo : Un ami.)
Guiltza (traduit : la clef)
Bay (traduit : oui)

Ce ne sont que peu de mots, mais une ambiance est créée, grâce également à l’usage de noms propres, personnages (Escumuturra, Irumberri, Azcoaga) ou toponyme (Astigarraga).

Il il reste que la moisson basque est bien maigre dans ce Voyage de Victor Hugo, pourtant fortement impressionné par cette région qu’il traverse, et qui cisèle tout de même en termes très hugoliens uen définition de l’euskara : « La langue basque est une patrie, j’ai presque dit une religion. Dites un mot basque à un montagnard dans la montagne ; avant ce mot, vous étiez à peine un homme pour lui ; ce mot prononcé, vous voilà son frère. »

LA LANGUE ESPAGNOLE

On relève davantage de mots ou expressions en langue espagnole et l’on perçoit un véritable plaisir de la citation en espagnol. Sans doute s’agit-il là d’une mise en œuvre du pacte référentiel, propre à la littérature de voyage.

Les termes espagnols auxquels Hugo a recours permettent tout d’abord de situer le Voyage, d’un point de vue historique et géographique. C’est la couleur locale chère aux dramaturges du XIXe siècle, destinée à donner vérité et originalité à la peinture, à créer une ambiance grâce à des notations concernant la vie quotidienne.

Ainsi Hugo jalonne son texte des noms des villes ou régions qu’il traverse. Poésie de la langue, exotisme, souci de dépayser le lecteur autant que l’écrivain, rejoignent l’ambition encyclopédique. Toutefois seuls le « Passage » et Pampelune sont déclinés en espagnol et en français (Pamplona, Pamapelune, Pasages, El otro Pasage, le Passage, les Passages), les autres toponymes étant francisés (Fontarabie, Saint-Sébastien, Castille-Vieille) ou livrés tels quels (Ernani, Irun, Leso, Renteria).

Les villes sont parfois accompagnées du nom de la rivière qui les traverse et qui garde son nom espagnol : Araxa, Arga, Arlanza, Bidassoa, Oria, Urumea. Victor Hugo ne fait guère preuve d’originalité pour dépeindre ces rivières, qui sont invariablement « jolie », ou « belle ».

Hugo donne aussi les noms des montagnes, des monts : Arun, Jaitzquivel, Urgoll.

Si Hugo s’épanche dans quelques descriptions, laissant place aux senitments, impressions et sensations du voyageur, la topographie est surtout prétexte à évoquer l’histoire. Le monument rappelle les civilisations disparues. On notera le souci didactique de Hugo de retracer l’histoire du pays qu’il découvre, son histoire contemporaine, mais également plus lointaine.

L’histoire jaillit en fonction du lieu traversé ou seulement même évoqué. Hugo nous transporte au Siècle d’Or : Guetaria, ville natale de Sébastien de Elcano « qui fit le tour du monde en 1519 (notez la date) » ; venant d’Allemagne, débarquant à Loredo « pour Saint-Just, Charles Quint qui d’empereur se fit moine » : l’ile des faisans est l’occasion de retracer une autre scène, lieu où « la maison de France a épousé la maison d’Autriche, où Mazarin, l’athlète de l’astuce, a lutté corps à corps avec Louis de Haro, l’athlète de l’orgueil ». Motrico est la « patrie de Churruca qui mourut à Trafalgar ». Le voyageur regrette de ne trouver trace à Ernani de la maison natale de Jean de Urbuta « ce capitaine espagnol auquel échut, dans la journée de Pavie, l’honneur de faire François 1er prisonnier. Urbuta fit la chose en gentilhomme et François 1er la subit en roi. »

Philippe II rappelle une sombre époque et stimule l’imagination de l’écrivain. Lorsqu’Hugo se trouve « au Passage », celui qui est vu « du côté de la montagne » et non « du côté de l’eau » : « Vous entrez, vous êtes chez les hildagos, vous respirez l’air de l’Inquisition, vous voyez se dresser à l’autre bout de la rue le spectre livide de Philippe II. » L’impression se confirme un peu plus tard à l’église de Leso où « les formidables saints de l’Inquisition [sont] mêlés à l’architecture tragique et sinistre de Philippe II ».

Mais c’est surtout l’histoire contemporaine qui intéresse Hugo. Son père, le général Hugo, avait servi la maison Bonaparte. Quelques souvenirs de cette époque sont lisibles dans le texte : la mention des deux Castilles, administrées par Joseph 1er ; les provinces d’Avila et Guadalaxara, provinces insurgées que le général Hugo était chargé de « tenir en respect ».

Mais la fin de l’année 1813 vit la Restauration de la maison des Bourbons. Hugo vit en direct la première guerre carliste. Cette guerre civile, d’origine à la fois dynastique et politique, opposa les Carlistes (traditionnalistes, partisans de Don Carlos, frère de Ferdinand VII qui prétendait au trône sous le nom de Charles V) aux christinistes (libéraux, partisans de la régente Marie-Christine). Hugo parle des carlistes et des cristinos et cite plusieurs acteurs de cette guerre civile, parmi lesquels se détachent particulièrement Espartero, Zumalacarrégui et Don Carlos.

En effet, Hugo s’attarde longuement sur don Carlos, véritable héros romanesque. Il décrit son entourage : « Il y avait deux partis autour de don Carlos, le parti de la cour, el rey neto, et le parti des droits, los fueros ». Il ne peut s’empêcher de dénoncer la mauvaise influence du Père Larranaga, confesseur de Don Carlos. Il mentionne encore la Princesse de Beïra sa femme, le prince des Asturies, héritier de la couronne, fils de don Carlos.

Hugo souligne le charisme du général Tomas de Zumalacarrégui, chef carliste tué en 1835 (« nœud du faisceau carliste » selon Hugo.) véritable héros, et atout principal de Don Carlos.

Enfin il évoque la trahison de Maroto, qui obligea don Carlos à se réfugier en France le 31 août 1839.

Hugo décrit deux guerres civiles qui se succèdent : « la guerre civile d’Espartero après la guerre civile de don Carlos ». Mais il ne ressent aucune admiration pour Espartero, plutôt du mépris. Parmi les « Notes sur l’Espagne » on peut lire :

Oh ! Si cette grande nation trouvait un grand homme, comme elle ferait de grandes choses ! quelle misère ! avoir besoin d’un Napoléon et tomber sur un Espartero !

En traversant les Landes, au début de son voyage, Hugo a eu le pressentiment de la chute d’Espartero, sorte de sixième sens politique :

Un souffle de révolution semblait agiter ces vieux pins.
C’était l’instant précis où Espartero s’écroulait en Espagne.

Il rend compte de la dégradation du politique, qui se corrompt dans la bouche du postillon : « Espartero a pris Lafuite et Caillard ». Phrase énigmatique, qui doit sans doute être comprise comme « Espartero a pris la fuite et doit se taire (callar en espagnol) ».

Il résume ailleurs laconiquement ces changements politiques :
« Espartero qui tombe, Narvaez qui surgit, Lopez qui chasse Mendizabal ».

Hugo livre une définition inattendue du pronunciamento , coup d’Etat militaire au cours duquel le chef des rebelles prononce un discours-programme, pour entraîner ses partisans, et décrit la « petite révolution antiespartériste » de Saint-Sébastien :

Les principaux de la ville se sont réunis à l’ayuntamiento ; on a convoqué les deux officiers de chaque compagnie de la milice urbaine ; on a dressé dans une salle une table avec un tapis vert ; sur cette table on a rédigé une chose quelconque, on a lu cette chose par une fenêtre aux passants qui étaient dans la place ; quelques enfants qui jouaient aux marelles se sont interrompus un instant et ont crié « Vivat ». Le soir même on a signifié cet événement à la garnison qui était dans le castillo. La garnison a adhéré à la chose écrite sur la table de la mairie et lue à la fenêtre de la place. Le lendemain le général a pris la poste, le surlendemain le chef politique a pris la diligence, deux jours après le colonel s’en est allé. La révolution était faite. 

On sera sensible à la dimension politique de ces propose : le Pays Basque fascine Hugo, par son indépendance, sa résistance, son goût de la liberté, « l’antique liberté basque ». Hugo réfléchit longuement, s’interroge sur la contradiction basque. Pourquoi le Guipuzcoa, « pays des droits, nations des fueros », a-t-il accueilli « la royauté effrayée et traquée » ? Pourquoi « la vieille république guipuzcoane » soutient-elle « le vieux despotisme castillan contre la constitution de 1812 » ?

Enfin Hugo, européen dans l’âme, tisse des équivalences entre les nations lorsqu’il décrit :

une rampe de pierre massive admirablement ouvrée dans ce goût sombre et élégant de Charles Quint qui répond à ce que nous nommons en France le style François 1er, et à ce qu’on nomme en Angleterre l’architecture Tudor. 

Sur ce fond historique se déroule le voyage ordinaire de notre écrivain, avec ses difficultés de transport, ses problèmes de communication ou d’argent, ses préoccupations concernant le logement. Ici se manifeste le goût de Hugo pour le pittoresque, les anecdotes piquantes.

Hugo se heurte à l’administration, qu’il brocarde volontiers. Les premiers rencontrés sont les Cazadores de Guipuzcoa. « le cazador ne sait guère que courir sur la route, porter un fusil et demander l’aumône ».

Il s’amuse au sujet du passeport :

A chaque instant il s’envole de votre poche, se déplie et disparaît. Courez après.
Il est à la gefetara ?
Puis à la politica ?
Puis en casa del alcade !
Puis al alyuntamiento.
Puis à la referendacion.
Et chaque fois une media-peseta. »

Les moyens de transport sont très importants pour un voyageur. Hugo emprunte les diligences : Diligencias peninsulares, ou bien Coronilla de Aragon. Le voyage qu’il fait de Tolosa à Pampelune est décrit de façon détaillée, grossi à la dimension d’une épopée.

Hugo mentionne les trois conducteurs, dont un enfant de « huit à neuf ans » : « Figurez-vous un démon traînant le tonnerre. » Il nomme le Mayoral et le Sagal. « Qui n’a pas vu courir un sagal navarrais sur la route de Tolosa à Pampelune ne sait pas tout ce que contient le fameux proverbe : « Courir comme un basque. »

Les mules frappent fortement l’imagination de Hugo, qui retient leurs noms : La capitana ! la gaillarde ! la generale ! Leana ! la carabinera ! la collagiana ! la carcana !

Elles deviennent de véritables créatures infernales et Hugo, décrivant leur guarda-ojos , s’apitoie longuement sur leur sort.

Hugo s’intéresse beaucoup aux échanges, qu’ils soient verbaux ou commerciaux. Il décrit la monnaie du pays (Peseta, Quarto, Media peseta, Real). Il se livre à l’occupation favorite du touriste : faire les boutiques, rapporter des souvenirs.

« Dans les villes d’Espagne, il y a beaucoup de ventas, c’est-à-dire beaucoup de cabarets, quelques posadas, c’est-à-dire quelques auberges, et fort peu de fondas, c’est-à-dire fort peu d’hôtels. »

Il cite quelques noms de boutique : Posada Lhabit, Fonda Ysabel, déchiffre une devanture de magasin : Vino y aceite.

Les noms de ville se voient associer leurs productions (Bilbao : bénitiers en verre ; Pampelune : muleta ; Ségovie : jarretières à devise ; Saragosse : amulettes en or, en vermeil ; Tolosa : papier ; Urbieta : fabrique de chapeaux ; Elizondo : chandelles).

Il s’attarde sur quelques éléments du paysage, Castillo, Plaza de la Constitucion. Il explique au lecteur ce que veut dire : Al segundo piso (traduit par Hugo : au second étage) ; El matrimonio (expliqué par Hugo : un lit large).

Mais il se livre surtout au plaisir de conter et rapporte quelques conversations qu’il a eues avec les habitants. Il glane çà et là quelques expressions typiques :

(Andamos ; Amigo ; Señor estrangero, conoce usted cette chanson ? Que pensa usted de Don Carlos ? Vamos ; Señor frances, benga usted con migo ! – Con migo, caballero ! - Ven hombre, may bonita soy ! Que es eso ? Anda, nial ; And’usted ; Caballero ! Señor caballero ! El niño, el chiquito frances ; Un loco !)

Il dénomme ses personnages : Muchacha, Muchachas ; Querido ; Mozzo ; Contrabandistas.

Il insiste sur le caractère superstitieux des Espagnols, comme le confirme la scène qui se déroule avec les lavandières : « Mieux vaudrait jaser avec les quatre démons du levant et du couchant, du nord et du midi. » plutôt que parler avec un Français !

Il décrit ainsi cette scène étrange qui se déroule à Pasages, et l’écriture elliptique accentue le côté terrifiant de la scène :

Le soir, danse, rires, guitares. Tout à coup, une sonnette passe et une voix dit : « Paralme almas del purgaterio. » Tout le monde tombe à genoux.

Quelques métiers sont évoqués, les Serenos de Pampelune, entendus par Hugo, ou « Saturnino, Ropero » et « Fermin, Sastre », sur une devanture de boutique.

Hugo se montre plutôt discret en ce qui concerne la gastronomie ou les vêtements. Seuls quelques termes sont empruntés à l’espagnol (Olla podrida ; Verros ; Rosquillas ; De la langosta ; Sombreros ; Muletas). Il évoque très rapidement une scène de corrida, à l’occasion de la description de la plaza de la Constitucion à Pasages (Corrida, Novillos, Muchares, célèbre espada).

Ces termes espagnols glissés dans le texte agrémentent les saynètes retranscrites par Hugo, comme l’épisode des bateleras ou des lavandières.

Mais la découverte – redécouverte – d’une région n’empêche pas notre écrivain de se livrer à son occupation favorite : la recherche des ruines, la réflexion sur le passé. Victor Hugo, véritable « antiquaire », est à l’affût de la moindre inscription. Ainsi sur cette maison de Pasages :

« Una limosna para / Alumbrar al Sto Cto / D. Buen Biaje /Año 1756 ».
Traduit par Hugo : « Une aumône pour éclairer le Saint-Christ du bon voyage. An 1756. »
Sur l’église de Pasages, « maussade » : « Manuel Martin / Carrera me hizo / Año 1774 ».
A Tolosa, Hugo n’aura pas le loisir de recopier intégralement une inscription sur marbre noir à la devanture d’une maison, en raison d’un attroupement qui se forme autour de lui : « Sic visum superis …. el emperador le armo caballero ».
A Pampelune, Hugo relève de nombreuses inscriptions, parmi lesquelles :
« El Eminen Mo Sr Cardenal Pereira concedio 80 dias de yndulgen a y el Sr obispo Murillo 40 al que rezare una salve de rrodillas de lane esta Sma ymagen de Nra Sra de el Amparo ».
Même en France, Hugo prend note d’une inscription en espagnol :
« Lo que ha de se no puede faltar ».
Hugo ajoute : « on sent le voisinage de l’Espagne ».

Dans le désir de remonter le temps, d’établir un lien entre passé et présent, Hugo s’interroge sur un toponyme, son étymologie. Dans ce pays « où l’on prononce b pour ; ce dont s’extasiait cet ivrogne de Scaliger : « Felices populi, s’écriait-il, quibus VIVERE est BIBERE. », tout est prétexte pour Hugo à une réflexion philologique.
Aranjuez, « ara jovi, jovis ara »  est rapproché de deux villes françaises, Jouarre en Champagne, Jouarare dans les Landes.
Fontarabie laisse Hugo songeur. Le nom veint-il de « fuente à rabbia, fontaine qui guérit la rage, ou de fuente a raba , fontaine arabe, ou de fuente a rabbi, fontaine à rabbin à cause des ablutions qu’y faisaient les Juifs » ?
Si l’étymologie de Pasages est facile à retrouver, le passage, celle de Pampelune résiste davantage : « ville vasconne selon les uns avec le nom antique de Pompelon, ville romaine selon les autres avec Pompée pour fondateur ».
Cette préoccupation ne le quitte pas lorsqu’il se trouve sur le sol français :
Luz vient de l’espagnol « lumière », Castelloubon du béarnais « le Bon-Château », Cap Breton du latin « caput Bruti ».

Enfin l’intérêt de Hugo pour la langue, sa musique, se manifeste également dans l’attention portée aux chansons populaires, véritables éléments du patrimoine littéraire. Hugo, devant un bas-relief du 14 e siècle qu’il admire à Pampelune se remémore « La belle romance castillane qui commence ainsi :

Bernard, la lance au poing, suit en courant les rives de l’Arlanza. Il est parti l’Espagnol gaillard, vaillant et déterminé. »
A Biarritz, il entend une baigneuse fredonner :

« Gastibelza, l’homme à la carabine
Chantait ainsi :
Quelqu’un a-t-il connu dona Sabine
Quelqu’un d’ici ?
Dansez, chantez villageois, la nuit gagne
Le mont Falú.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou »

(poésie d’ailleurs reprise des Rayons et des ombres) et se compare à « Ulysse écoutant la sirène ».
Enfin il propose une traduction à :

Gentil muchacha
Toma la derecha.
Hombre de noda
Toma la izquierda.

Fille adroite,
Prends la droite.
Homme gauche,
Prends la gauche.

Hugo se nourrit véritablement de ces « choses vues » lors de son voyage dans les Pyrénées. Il renoue avec l’enfance, avec l’inspiration. Et son émerveillement est perceptible à travers l’usage des langues basque et espagnole.

Il décrit notamment avec beaucoup de justesse ce pays basque pour lequel il se prend d’affection, pays de transition, à l’image de sa rivière, la Bidassoa, « jolie rivière à nom basque, qui semble faire la frontière de deux langues comme de deux pays et garder la neutralité entre le français et l’espagnol ».

Plus loin il emploiera la métaphore de la danse pour décrire ce « pays mixte », « ni France ni Espagne, ni mer ni rivière » :

On [y] parle bien un peu castillan, mais on parle surtout bascuence. Les femmes ont la mantille, mais elles n’ont pas la basquine. […] On danse le soir sur la pelouse en faisant claquer ses doigts dans le creux de sa main ; ce n’est que l’ombre des castagnettes. Les danseuses se balancent avec une souplesse harmonieuse, mais san verve, sans fougue, sans meportement, sans volupté ; ce n’est que l’ombre de la cachucha.

Mais ces notes, ces souvenirs, ne seront pas exploités autant qu’ils auraient pu l’être, en raison de l’événement tragique qui mettra fin au voyage. La mort de Léopoldine recouvre d’une sorte de voile sombre tous ces moments, que seule une publication posthume permettra de faire connaître.


Véronique Duché, Professeur de Lettres et Littérature française à la Faculté Pluridisciplinaire de Bayonne
Photos: Auñamendi

Euskonews & Media 172.zbk (2002 / 6 / 21-28)


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