Il
semblerait que l’on puisse désormais expliquer de manière
très vraisemblable le nom, très ancien, de Biarritz
qui a pendant longtemps constitué une « énigme ».
L’explication n’a, malheureusement ou heureusement, rien d’« exotique ».
Formes
anciennes attestées : Beariz, 1150, 1170, Bearriz,
1150, 1170, Beiarridz, 1165, Bearidz, 1186, 1194,
Beiarid, 1199, Bearritz, 1249, 1258, Beiarridz,
Beiarriz, 1261, Bearridz, 1281, Beyarridz, 1311,
1335, Beriz, Beritz, Berridz, 1314, Bearitz,
Bearys, 1344, Bearritz, 1499, Bearitz, Bearritz,
1511, Bearitz, 1559, Sainct Martin de Bearitz, 1568,
Miariz, Mieritz, XVIIe
siècle, Mearritce[n], Joannes d’Etcheberry
de Sare XVIIIe siècle,
Biarits, Cassini XVIIIe
siècle).
On a longtemps
pensé que le nom de Biarritz pouvait être
un toponyme (nom de lieu) d’origine anthroponymique, c’est-à-dire
que nous aurions affaire en réalité à un
nom de personne. Le premier à défendre cette hypothèse
fut l’historien Eugène Goyheneche qui voyait dans ce nom
labourdin une construction patronymique (c’est-à-dire une
formation où le « prénom » d’un individu
est suivi du « prénom » de son père auquel
vient se greffer un suffixe de filiation -iz, « fils
de », équivalent du suffixe espagnol -ez d’origine
inconnue), semblable à celle qu’on rencontre dans les textes
médiévaux, entre autres, du Pays Basque.
Ainsi, si (Fernando)
Gomiz (et sa variante Gomez) signifiait « (Fernand)
fils de Goma » et (Lope) Garceiz, « (Loup) fils
de Garcia », etc., il était tout à fait possible
que Beiarriz (l’une des formes anciennes de Biarritz)
fût un nom de personne qui serait devenu un nom de lieu
et qu’il signifiât « fils de *Beiar(r) »,
ce dernier étant alors le présumé fondateur
d’un domaine rural à l’origine du village de Biarritz.
Cependant, les points faibles que présentait cette hypothèse
était que, d’une part, ce présumé anthroponyme
n’est pas attesté et que, d’autre part, la forme la plus
ancienne connue du nom de Biarritz est Bear(r)iz,
1170 et non pas Beiar(r)iz, 1261.
En réalité,
le nom de Biarritz ne serait rien d’autre qu’un anthroponyme
d’origine germanique devenu par la suite un toponyme. Il existe
en effet en Galice, dans la province d'Orense, une paroisse galicienne
appelée Santa María de Beariz (municipalité
de Beariz, Orense) dont les formes anciennes sont : Viarici,
1034, Uiarici, Uiariz, 1053, Beariz, 1220.
Ce nom galicien
est issu de l'anthroponyme germanique, attesté en Galice,
Viaricus, romanisé par la suite en Viarigo. En
effet, Viarici / Uiarici est le génitif (c’est-à-dire
le possessif) de Viaricus, variante latinisée du
nom composé germanique via-reiks avec un premier
élément via- ou wia- dérivé
très probablement d’après les spécialistes
du terme wig-, « guerre, combat » et un second
élément de composition très courant reiks,
« puissance ». La terminaison -ri(t)z présente
dans la toponymie basque semble en effet issue dudit élément
germanique reiks.
En Galice,
il y a de nombreux toponymes finissant en -riz :ce sont en général des noms germaniques composés
de deux éléments, le deuxième étant
ce terme reiks qui vient du gotique et signifie « prince »
— comparable au vieux haut-allemand rihhi, « puissant »
— morphologiquement latinisée par la suite en -ricus
> -rici génitif > -riz et basquisé
ultérieurement en -ritz.
Les hispanophones
ont pour habitude d’acccentuer ces noms galiciens sur l’avant-dernière
syllabe, ce que ne font pas les galaïcophones (individu qui
parle galicien) qui accentuent toujours sur la dernière :
cela explique pourquoi un Espagnol prononcera les toponymes galiciens
Uriz, Oriz, Alderiz, Baldariz, Esmoriz,
Goiriz, Astariz (cf. le patronyme basque Dastaritz),
etc.ñ
Úriz, Óriz, Aldériz
(cf. les toponymes navarrais identiques prononcés Úriz,
Óriz et Aldériz en espagnol, basque
Uritz, Oritz et Alderitz) Baldáriz,
Esmóriz, Goíriz, Astáriz et
un Galicien Uriz, Oriz, Goiriz, etc. sur
la dernière.
Les Espagnols
prononcent l’Ustaritz labourdin ñ
Ustáriz et Biarritz
ñ Biárriz.
En Galice, on a également un lieu de Lugo appelé
Ustariz (accentué sur la dernière) que les
Espagnols prononcent par erreur Ustáriz et qui rappelle
évidemment l’Ustaritz du Labourd et les Osteritz
(accentué en espagnol Ostériz, autrefois
Ostariz, 1280, en basque Osteritz) et Ustaize
de Navarre. Il existe également un Ustarriz alavais
(avec rr au lieu de r, suite probablement à
un renforcement analogique de la vibrante).
La forme Ustaize
est une forme populaire salazaraise, et semble-t-il plus ancienne,
du toponyme navarrais Ustés (forme romane), ce implique
un plus ancien *Ustariz > Ustaize avec -e paragogique.
Il est probable que l’Ustariz galicien est nom d’origine
germanique : Austericus > *uilla Osterici, « domaine
[villa] d’Ostericus » (la forme aust- du premier élément
de composition étant également attestée sous
la forme ost-) > Osteriz > Ostariz > Ustariz.
Le toponyme labourdin
Biarritz, autrefois Beariz, 1150, Bearriz,
1150, Bearidz, 1186, Bearritz, 1249, Bearys,
1344, Bearitz, 1511, pourrait alors avoir la même
origine que ce nom galicien issu de (uilla) Viar(r)ici,
« domaine de Viaricus ». Bien évidemment cela
ne signifie pas que l’individu ainsi nommé était
d'origine germanique puisque la propagation des noms de personne,
on le sait, suivait autrefois la mode comme cela est encore le
cas de nos jours.
D'autres toponymes
basques d'origine germanique étant attestés en Navarre :
c'est le cas du village navarrais d’Adériz, en basque
Aderitz, autrefois Adiriz, 1141, issu manifestement
du nom germanique Adericus ou de sa variante, également
attestée, Adi- + -ricus. Dans le cas du village
navarrais appelé Oderitz, autrefois Hoderitz,
1268, Oderiz, 1350, le doute n’est guère possible
puisque ce nom est assurément issu, comme le pensait au
demeurant le savant Julio Caro Baroja, du nom de personne germanique
Odericus attesté en 861.
Ces exemples
conjugués avec l'existence d'un toponyme galicien Veariz,
1220 tendraient à montrer que le nom labourdin Bear(r)iz,
1150, serait un nom de personne devenu un nom de lieu, l’évolution
du nom galicien (et labourdin) ayant alors été :
Viarici > Viariz > Veariz / Beariz avec passage
ia > ea attesté en phonétique galicienne
(cf. San Pedro de Bealo, autrefois Vialo, etc.),
ce passage existant également en phonétique basque
comme le montre le terme deabru « diable », aujourd'hui
en Pays Basque aquitain debru < lat. diabolus.
Mais l'exemple le plus clair est celui du toponyme Leache
(Navarre), village situé jusqu'au XVIIIe
siècle en zone bascophone et dont les formes anciennes
sont : Ligiaxi en 1035?, Liaxe, 1120, Liach,
1189, Leax, 1230, nom issu du basque li(h)atze « linière » :
*Liatze > Liache > Leache avec évolution ia
> ea.
Il existe deux
autres paroisses galiciennes portant le même nom :
San Martín de Beariz (municipalité de San
Amaro, Orense) et Santa Magdalena de Baariz, 1392 (municipalité
de Paradela, Lugo).
Ce nom de lieu
apparaît également dans la province espagnole de
Léon et en territoire portugais : Viariz (municipalité
de Corullón, Léon, Espagne), Viariz (municipalité
de Baião, district de Porto, Portugal) et Viariz
(district de Vila Real, Portugal) pour lesquels le linguiste allemand
Joseph M. Piel indique qu’il n’est pas difficile d’y voir le génitif
(possessif) Uiarici, 1098 du nom Viaericus 959,
Viari(a)gu 973, Uiariku 1093 (patronyme Uiarikiz
1094, Uiariguiz 1097), qui correspond au nom duroi
ostrogoth Vidiricus.
Hector Iglesias, UMR 5478 (CNRS
– UPPA – Bordeaux III) |