Título de la publicación: Revista
Internacional de los Estudios Vascos
Año
de la publicación: 1918
Páginas
del artículo: 75-79
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Lorsqu’on
examine certains noms de lieux de la région comprise entre
Saint-Sébastien et la Bidassoa, on leur trouve un aspect
incontestablement gascon: nous en citerons trois seulement, mais
ils ne sont peut-être pas les seuls: c’est le nom du mont
Urgull à Saint-Sébastien, celui du cap Higuer
près de Fontarabie, et aussi celui de l’endroit appelé
Molinao près de Pasajes. Sur le premier de ces noms,
aucune observation à faire, tant il est évidemment
gascon. Quant au nom du cap Higuer, que les Français
traduisent d’ailleurs par cap Figuier, c’est une forme
d’ancien gascon: seulement, si le mot eût suivi l’évolution
du gascon moderne, l’r finale serait tombée dans
la prononciation. Quant au nom de Molinao, il y a deux
façons de l’interpréter: on pourrait y voir le mot
gascon ancien Molin avec le suffixe ab, devenu normalemant
au, qui aurait ici une valeur locative: l’endroit où
il y a un moulin, ou bien: l’endroit où il y a des moulins.
Mais il y a une façon plus simple encore d’interpréter
ce mot: c’est d’y voir les mots gascons molin nau ou moli
nau, c’est-à-dire moulin neuf. Cette seconde
interprétation est plus simple encore que la première,
et elle est la plus vraisemblable. Quant à la transformation
d’une terminaison gasconne au en une terminaison ao,
elle est toute naturelle: c’est une simple «castillanisation»
analogue à celle que nous trouvons dans d’autres mots empruntés
au français méridional où un u en
diphtongue finale est devenu o: exemples burdeos; et
manteo du français méridional mantèu.
Nous trouvons d’ailleurs le même changement dans le
nom, emprunté lui aussi à un dialecte voisin du
gascon, d’un quartier d’une localité aragonaise (il s’agit,
si nos souvenirs sont exacts, de Jaca), quartier appelé
Bornao, ce qui doit s’interpréter par une forme
ancienne Borg-nau, c’est-a-dire Bourg neuf.
Les trois noms de lieu cités
plus haut: mont Urgull, cap Higuer, lieu dit Molinao,
ne peuvent guère s’expliquer que par la présence,
au Moyen-Age, de petites colonies gasconnes dans la région
où se trouvent les endroits désignés par
ces noms. On peut supposer que ces colonies étaient composées
de pêcheurs, car ces trois endroits se trouvent, soit au
bord même de la mer, soit à proximité du port
de Pasajes. A quelle époque ces colonies se sont-elles
formées, et à quel moment, noyées au milieu
de la population basque qui les environnait et à laquelle
sans doute elles se mêlaient de plus en plus, ont-elles
oublié leur langue gasconne pour ne plus parler que le
basque?: ce sont là des questions qu’il serait intéressant
d’élucider, si du moins nous possédons assez de
documents pour le faire, ce que j’ignore, n’ayant pas eu le loisir
de faire les recherches néces-saires. Certaines de ces
colonies ont d’ailleurs pu perdre leur individualité gasconne
plus rapidement que d’autres. La seule indication que je connaisse
à ce sujet se trouve dans le très intéressant
procés des sorcières de Fontarabie que M.
Eur Ju a n Arzadún a étudié
dans un excellent article publié en 1909 par la Revue
internationale des études basques.
Dans ces procès,
l’un des témoins, Isabel García, âgée
de treize ans environ, déclare qu’ayant été
emportée au sabbat, elle s’est trouvée en présence
du diable; «el diablo en gascon llamaba veni acá los de
San Sebastián, los del Pasaje y luego en vascuence llamaba
las de Irún, las de Endaya». Comment le témoin,
qu’il fût de bonne foi ou non, eût-il pu donner ce
détail: que le diable s’adressait en gascon aux gens de
Saint-Sébastien et de Pasajes, si réellement à
cette époque (en 1611) le gascon n’eût pas été
une langue encore usuelle dans les deux localités en question.
Nous ne sommes pas forcés, d’ailleurs, de supposer, pour
interpréter ce texte, que tout Saint-Sébastien parlât
alors gascon: il suffit de supposer qu’une partie de la population
pratiquait encore cette langue. Il est certain en effet que dès
la fin du XVIE siècle au plus tard, le basque était
d’un usage courant dans la future capitale du Guipúzcoa,
ainsi qu’en témoignerait, à défaut d’autres
preuves, l’histoire de Catalina de
Erauso, la «monja alférez» qui, née et élevée
à Saint-Sébas-tien, parlait couramment le basque.
En somme, Saint Sébastien devait être alors une localité
trilingue: le basque et le gascon y étaient employés
comme langue vulgaire, sans doute par des parties différentes
de la population, et le castillan y était employé
comme langue officielle, et aussi sans doute comme seconde langue,
par la partie la plus instruite de la population.
Aujourd’hui, l’usage du gascon a
complétement disparu de Saint-Sébastien, et le gascon
y a laissé la place au basque et au castillan, au castillan
surtout, qui, grâce à l’afflux de population attirée
de toutes les régions de l’Espagne par la vogue de la charmante
cité, n’a laissé au basque que quelques quartiers
de l’agglomération. En revanche, à Pasajes le triomphe
du basque a été complet et ceci nous montre que
si en quelques endroits de son domaine le basque a malheureusement
perdu du terrain au cours des derniers siècles, il lui
est arrivé aussi de faire des conquêtes.
Dans cette courte
note, je n’ai point prétendu, je le répête,
faire une étude véritable de la question qu’elle
concer-ne: j’ai seulement voulu signaler cette question à
l’attention des érudits, qui pourront peut-être faire
les recherches qu’elle comporte, et que diverses raisons m’empêchent
de faire moi-même (1).
H. GAVEL
(1)
Après avoir pris connaissance du manuscrit de cet article,
M. Julio de Urquijo a eu l’heureuse idée de demander une
consultation à l’un des érudits les plus qualifiés
pour résoudre les problèmes posés dans notre
travail, dout le but était précisément de
provoquer une consultation de cette sorte: c’est à M. Serapio
Múgica que M. de Urquijo s’est adressé et la réponse
que M. Múgica a eu l’obligeance de faire aussitôt
a été telle qu’on l’attendre de lui, c’est-à-dire
aussi érudite que précise. M. Múgica renvoie
à deux savants ouvrages: la Historia de Guipúzcoa,
de D. Nicolás de Soraluce, tome 2, page 94; et Las
Provincias Vascongadas á fines de la Edad Media, par
D. Carmelo de Echegaray, page 347. M. Múgica, par modestie,
néglige de renvoyer également à plusieurs
de ses propres travaux, qu’il eût pu légitimement
citer ici, entr'autres son ouvrage intitulé Las calles
de San Sebastián, page 5 et autres, d’où il
ressort que certaines rues de Saint-Sébastien ont des noms
d’origine gasconne, par exemple la calle de Embeltrán.
M. Múgica veut bien ajouter qu’aux archives de Fontarabie
il y a un long document en gascon concernant la Bidassoa; il rappelle
que les anciennes archives de Saint-Sébastien ont disparu
dans les incendies qui ont ravagé la ville, mais qu’au
témoignage du Dr Camino elles renfermaient également
des textes en gascon. Voici d’ailleurs le texte même de
Camino, tiré de la Historia de San Sebastián,
de cet auteur, page 67, et si aimablement communiqué
par M. Múgica: «Tampoco es de omitir que en el libro Becerro
de la ciudad, el cual tiene ya más de 300 años de
antigüedad, se halla en idioma gascon una ordenanza, sobre
vinos y sidras dispuesta por la propia ciudad en tiempo de este
Rey D. Fernando y año de 1309 y también hay otros
instrumentos del siglo XV concebidos en el mismo idioma; entre
ellos una sentencia arbitraria y amigable pronunciada por los
jueces nombrados por San Sebastián, Fuenterrabía,
Rentería y la ciudad de Bayona, sobre resarcimiento de
represalias; particularidad digna de observarse; pues solo ha
quedado y es usual dicho dialecto en ambos Pasajes, y de allí
á menos de un cuarto de legua, nada entienden semejante
idioma. Es creíble, sin embargo, que el lenguaje gascon
se introdujo en este país desde los tiempos de D. Alfonso
VIII de Castilla, en cuyo reinado, siendo españoles los
gascones, como sujetos á aquel monarca pudieron por el
continuo trato comunicar su lengua á sus limitáneos
los guipuzcoanos, y más con el poderoso motivo de los enlaces
matrimoniales; pues no hay duda que algunos solares muy distinguidos
en estas inmediaciones conservaran apellidos de aquellas gentes
enteramente españolizadas en el reinado de D. Alfonso VIII.»
Camino confirme quelques-unes de ces assertions dans un autre
de ses travaux, Diccionario geográfico de la Academia,
publié en 1801, article San Sebastián; (c’est
également à l’obligeance de M. Múgica que
nous sommes redevables de cette citation): à propos d’Alphonse
VIII et de Da Leonor,
Camino écrit: «En esta unión de la Gascuña
con Castilla debe ponerse al parecer la época y origen
de haberse introducido en San Sebastián y pueblos alrededor
la lengua gascona, que fué muy corriente y aún se
usó en públicos instrumentos: bien que hoy día
solo se habla en Pasajes» . . . . (Page 320). Arrêtons-nous sur les
principaux points de ces deux citations. Le «Libro Becerro»
auquel Camino fait allusion avait déjà de son
temps, plus de trois cents ans d’antiquité: ceci nous reporte
au Xve siècle. Il a disparu dans les incendies qui ont
eu lieu depuis à Saint Sébastien, mais nous ne pouvons
douter que les pièces mentionnées par Camino n’aient
réellement existé, car cet auteur n’aurait pu inventer
sur ce point une allégation dont tout le monde pouvait
alors contrôler l’exactitude. On notera aussi l’affirmation
de Camino d’après laquelle le gascon était encore
parlé à Pasajes à la fin du XVIIIe siècle:
sa disparition y est donc très récente. Camino attribue à des
raisons politiques le fait que le gascon a été à
un certain moment en usage dans la région de Saint-Sébastien:
mais il est bien clair que son opinion, qui n’est d’ailleurs qu’une
simple hypothèse, n’est pas fondée, et qu’elle ne
saurait suffire à rendre compte des faits: lui-même
avoue qu’à moins d’un quart de lieue de Pasajes le gascon
n’était pas com-pris: s’il y eût eu, en même
temps que cette soi-disant: «espagnolisation complète»
des pays gascons à laquelle il fait allusion dans le Diccionario
geográfico, une «gasconisation» correspondante d’une
partie de l’Espagne, on ne voit pas comment cette «gasconisation»
eût été limitée à trois ou quatre
localités seulement sans atteindre également les
autres localités voisines tandis que tout s’explique aisément
si l'on admet qu’il y a eu à un moment donné sur
cette partie de la côte quelques petites colonies gasconnes:
elles étaient probablement au nombre de trois: l’une à
Saint Sébastien, l’autre à Pasajes et l’autre à
Fontarabie; dans cette hypothèse, le gascon a disparu simplement
parce que ces colonies ont été noyées, avec
le temps, au milieu de la population de langue différente
qui les environnait, et qui les pénétrait de plus
en plus. Peut-être une
étude attentive des noms de famille des habitants des trois
localités mentionnées ci-desus nous feraient-elles
retrouver, sous une forme espagnolisée, quelques noms gascons
provenant des membres de ces anciennes colonies.
H . G . |