La
féodalité en Labourd enquête ordonnée par Edouard II d'Angleterre
pour connaître ses droits sur cette terre 1311 |
Maïte
Lafourcade |
Née
d’une façon empirique, la société féodale
n’a rien d’uniforme. A la forte organisation féodale du
nord et de l’est de la France, s’opposent le midi et le sud-ouest,
et particulièrement les provinces basques, où la
féodalité n’a pénétré que tardivement
et imparfaitement. L’une d’elles, le Labourd , notamment, a une
situation exceptionnelle dans le monde féodal.
Dans la mouvance
du roi d’Angleterre depuis le mariage en 1152 d’Aliénor
d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, le Labourd était
fort convoité par le roi de Navarre, son voisin, qui l’envahit
à plusieurs reprises. L’époque féodale fut
, en Labourd comme dans toute la Gascogne, une époque de
guerres incessantes et d’agressions sans cesse renouvelées,
si bien que le seigneur-roi dut intervenir pour rétablir
l’ordre. Mais, lointain, le roi d’Angleterre connaissait mal ses
droits sur ce petit pays. C’est pourquoi, il fit faire une enquête
en 1311 pour les connaître.
Neuf témoins,
soit le bailli Brasco de Tardetz et huit nobles labourdins, interrogés
sur les droits du roi en Labourd, donnent d’importants renseignements
non seulement sur les droits du seigneur-roi sur la terre de Labourd,
mais aussi sur le statut juridique de la population.
On y apprend que
« la terre de Labourd est tenue immédiatement du seigneur
roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine, par les nobles et les habitants
de ladite terre ».
Le seigneur-roi
en a le domaine éminent, ce que les habitants du pays nient,
affirmant que leur terre est, de tous temps, allodiale.
Tous les habitants,
nobles et non nobles, sont placés sur un pied d’égalité
vis-à-vis du seigneur-roi. Il n’y a donc aucune hiérarchie
féodale en Labourd, aucun intermédiaire entre les
habitants et leur seigneur. Pas de régime seigneurial.
Toutefois, les
témoins signalent que quatre seigneurs ont abusivement
peuplé des terres vacantes et que deux d’entre eux exercent
sur leurs tenanciers la basse justice, ce qu’ils dénoncent
comme une usurpation.
Nul, disent-ils,
ne peut peupler des terres vacantes ni construire de maison forte
sans l’autorisation du roi ou de son bailli.
Les habitants,
nobles et non nobles, ont des droits d’usage dans les terres vacantes,
bois et rivières : le droit de pacage pour leur bétail
seulement, à l’exclusion du bétail étranger
dont un porc sur cinq et, de trois en trois jours, la meilleure
vache sont carnalés au profit du roi ; le droit de
couper du bois pour leurs besoins personnels et non pour le revendre.
Les témoins
signalent les abus des Bayonnais qui dévastent les bois,
mais aussi de l’évêque de Bayonne qui, se disant
voisin de Labourd, a fait des coupes de bois, que les Labourdins
ont détruites, ce qui leur a valu d’être excommuniés,
ce qui est un abus manifeste.
Les
Labourdins ont la libre circulation des rivières. L’un
des témoins se plaint de nasses que deux Bayonnais ont
posé dans la Nive, provoquant la mort par noyade de plusieurs
personnes.
En contrepartie
et du fait qu’ils tiennent leur terre du roi, nobles et non nobles,
tous également doivent au roi les servies vassaliques,
soit l’ost et la chevauchée, à leurs frais jusqu’au
port de Caulas, et aux frais du seigneur-roi dans toute l’Aquitaine
pendant quarante jours. Un témoin ajoute le devoir d’hommage
et un autre celui d’assister à la « Curia ».
Ces devoirs sont communs aux nobles et non nobles.
Cependant, les
témoins signalent l’existence de soixante à soixante-dix
hommes liges, qui doivent l’albergade au seigneur-roi et à
son bailli avec leur suite, obligation lourde qu’ils rachètent
généralement deux sous morlans. C’est tout ce qui
distingue ces hommes liges du reste de la population.
Le seigneur-roi
a la haute justice sur l’ensemble de la population. Et les témoins
dénoncent non seulement les usurpations des deux seigneurs
qui exercent la basse justice sur les terres qu’ils ont indûment
peuplées, mais aussi celles de l’évêque de
Bayonne et de son official qui veulent étendre leur compétence
juridictionnelle au-delà des causes qui leur sont réservées ;
depuis environ six ans, l’official de Bayonne se saisit de toutes
les actions, réelles et personnelles, des laïques
du diocèse.
Enfin le roi possède
en propre le quart du moulin d’Ustaritz évalué à
cinq ou dix livres morlanes par an et le château, qualifié
de « motte » par un témoin, d’Ustaritz. En tout,
les revenus annuels du seigneur-roi :albergades, cens, profits
de justice, revenu du moulin d’Ustaritz, revenus fonciers, poules,
porcs et autres devoirs ne dépassent pas, d’après
un témoin, soixante-dix livres morlanes, et même
beaucoup moins pour d’autres témoins.
La baillie est
affermée et ne vaut guère plus de cent à
cent cinquante livres, alors que, depuis la guerre, elle est affermée
à trois cents livres bordelaises, au grand préjudice
du pays. Autrefois, elle ne l’était que pour soixante-quinze
livres et le pays était bien gouverné.
La mouvance dans
laquelle se trouvait le pays de Labourd était donc à
la fois noble et roturière, puisque les habitants de ce
pays devaient des services nobles et des redevances. La condition
des roturiers était très proche de celle des nobles.
Ils étaient tous francs ; aucune allusion à
des tenanciers serfs ne figure dans cette enquête. Ils avaient
le droit de port d’armes, de chasse et de pêche, d’avoir
leurs propres moulins, fours, pressoirs et colombiers, jusqu’à
la décapitation pour dernier supplice.
Ces privilèges,
ces libertés, ces droits immémoriaux sur leur terre,
l’égalité juridique de toutes les maisons, nobles,
franches et fivatières, furent affirmés dans leur
Coutume rédigée en 1514 et confirmés par
les rois de France à chaque changement de règne.
Ce statut privilégié,
commun à tous les Basques, a fait dire à de nombreux
auteurs, dont Sanadon, évêque constitutionnel de
Bayonne, que tous les Basques étaient nobles. De fait,
la noblesse universelle fut officiellement reconnue par le roi
de Castille aux Basques d’Alava, de Biscaye et de Guipuzcoa et
par le roi de Navarre aux habitants des vallées pyrénéennes
de son royaume au XIVe et au XVe siècles, déclarant
« ce caractère d’hommes francs et ingénus,
non sujets à la servitude, équivalent juridique
de la noblesse ».
Et dans le cahier
des doléances rédigé pour les Etats généraux
de 1789, le tiers état labourdin signale comme une exception
très regrettable, les redevances que les habitants de Lahonce
doivent payer à l’abbaye des Prémontrés et
ceux de Bonloc à la commanderie de Ronceveaux, « les
seules traces de féodalité oppressive, qu’on remarque
avec effroi dans le Pays de Labourt, de tous les tems noble, c’est-à-dire
libre et allodial ».
Maïte
Lafourcade, Professeur à
l’Université de Pau et des Pays de l’Adour |