Charles
Carrère, maître verrier d’Anglet, a accepté
de d’évoquer de son œuvre. Au détour de la présentation
de ses réalisations, il se livre avec beaucoup de pudeur :
ses débuts dans l’ombre de Lesquibe, ses premiers vitraux,
sa culture religieuse d’où naît une étonnante
densité d’illustration, sa technique : la dalle de
verre, sa plus grande réalisation à l’Ile de la
réunion : 18 vitraux…et aussi, ce qui motive ses créations,
religieuses ou non, son regard sur ce qu’il aime. Voici l’univers
de Charles Carrère.
Les débuts
-Charles Carrère,
comment a débuté votre rapport à l’art? J’ai
commencé à dessiner avec Louis Frédéric
Dupuis en 1941 à l’école municipale de dessin et
de peinture de Bayonne, en cours du soir jusqu’en 1948. En 1943,
j’ai commencé à peindre, en 1944 j’ai quitté
l’école à la fin du brevet élémentaire
et en 1945 début 46, j’ai commencé l’apprentissage
du métier de vitrailliste. Le maître verrier est
celui qui est indépendant dans son atelier, et avant il
y a l’apprenti, le compagnon, puis le maître. Je suis resté
avec Lesquibe jusqu’en 1976 soit pendant trente ans, j’ai « exécuté »
Lesquibe.
-Qui était
Lesquibe? Un verrier qui a commencé
à travailler en 1927 à Paris dans des grands ateliers
parisiens, notamment chez Gaudin où il a appris la mosaïque
et le vitrail en dalle de verre et il a importé ces deux
technique ici, à Anglet. Il a réalisé les
vitraux de la mairie d’Anglet et a vraiment commencé avec
l’exposition universelle de 1937. Moi j’ai été
son exécutant et en 1976 j’ai commencé à
réaliser mes propres vitraux en dalle de verre et mosaïque.
Je faisais de la restauration et de la création, maintenant
je ne fais plus que de la création. Je
vais vous monter les vitraux de Saint Léon d’Anglet, une
église démolie à Bayonne et transportée
ici pierre par pierre au XVIe siècle. Les vitraux avaient
été endommagés.
-Une série
de combien de vitraux?
De
18 vitraux de tailles différentes. Une verrière
en deux lancettes et un écoinçon qui représente
la Croix, arbre de vie, avec les cinq plaies du Christ, l’échelle
pour la descente de Croix, le rouge qui symbolise le manteau de
dérision et le roseau vert, opposé au bois mort
qui est ici, dans la liturgie du Vendredi. Les ténèbres
du Vendredi Saint deviennent rouges. Dans l’écoinçon,
on passe au soleil de Pâques, à la résurrection
et après à la Croix et à l’Eglise, un grain
de Senevé donne un grand arbre.
La culture religieuse
-Cette culture
religieuse, que vous exprimez dans votre travail, vous vient d’où? Dans
l’enfance, je suis allé à l’école de la rue
de Luc à Bayonne chez les Frères aux Ecoles Chrétiennes.
On a étudié le catéchisme, l’histoire sainte
pendant dix ans. Après, il y a aussi tout ce que j’ai appris
depuis.
-La lecture aussi? Oui,
la lecture, le métier
-L’observation
de la nature? Oui pour la peinture… Voilà
un vitrail où est traitée la question de la nourriture :
une sorte d’arbre avec de nombreux fruits, c’est l’arbre dont
on pourrait manger les fruits dans le paradis terrestre. Il y
avait deux arbres : l’arbre de la science, du bien et du
mal qu’il ne fallait pas toucher et l’arbre couvert de fruits,
nourriture gratuite pour tout le monde. En haut, j’ai placé
un lis des champs car Salomon lui-même dans toute sa gloire
n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux (Mathieu
6-28). En bas dans un panier c’est un artéfact, c’est le
panier, fruit du travail des hommes.
-C’est vraiment
une illustration du verbe? Oui, regardez encore :
Ici, c’est le banquet avec la coupe débordante du psaume
23 (le Seigneur est mon berger), le pain et le vin, le poisson
qui est le symbole du Christ qui se donne lui-même en nourriture
et cela rappelle la parabole des cinq pains et des trois poissons. Ici c’est le moulin mystique :
pour broyer le blé et faire de la farine tandis que le
pressoir mystique sert à faire du vin. Cette histoire vient de la
prédication des Premiers Pères de l’Eglise, les
commentaires qui ont servi à faire de ces espèces
« d’images de mots » des « images-images ».
Par exemple la lune est le symbole de la Vierge et le soleil son
pendant, est le symbole du Christ. À la première
galerie, de l’Eglise Saint-Léon, j’ai illustré le
psaume 128 : « tes fils (seront) des plants d’oliviers
autour de ta table comme des plans d’olivier ». Il y
a l’huile des catéchumènes. D’après la première
préface de l’Avent : « Il viendra de nouveau
revêtu de sa gloire », l’attente se fait dans la
lumière de la foi : une lumière cendrée
comme celle de la lune qui éclaire l’obscurité de
la foi de l’humanité… en attendant la plaine lumière
du Christ. Là
vous voyez la Jérusalem céleste, avec une porte
étroite : « ton nom, Jérusalem, brillera
comme un diamant », Isaïe 60. Ici
le psaume 1 : (l’homme) … « il est comme un
arbre planté près des ruisseaux : il donne
du fruit en sa saison et son feuillage ne se flétrit pas »
Là encore l’évocation de la vigne dans tous ses
états, dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
-Alors
il y a toujours quelques petites modifications entre le carton
et la réalisation? Oui toujours, car ici
le carton est un point de départ de peintre, puis il y
a le dessin « grandeur nature » avant le vitrail. Ici,
dans la résurrection de Lazarre, on dirait un cocon, il
a des bandelettes, il sort de l’obscurité du tombeau
et une plante passe par derrière, comme arrachée
du tombeau.
-Pour apprécier
votre travail, il faut une certaine culture religieuse, est-ce
que vous pensez que quelqu’un qui rentre dans Saint-Léon,
n’est pas déjà frappé par le symbolisme des
vitraux? Mais tout est écrit,
les références bibliques sont sur les vitraux, il
n’y a qu’à lire les textes ! Dans la deuxième
galerie, côté sud, on trouve la Vocation de Moïse
avec le buisson ardent, avec le nom de Dieu « Je suis» ,
en bas l’agneau de la première pâques, avec des herbes
amères. Dans le linteau, la croix est tracée avec
le sang. Vous voyez, il y a l’Exode 3 et l’Exode 12 ! Là,
c’est le Christ en gloire tel qu’il était présenté
au moyen âge, le Christ de Vézelay avec les pieds
sur la terre. Vous voyez ça, c’est de la dalle de verre.
La technique du
vitrail en dalle de verre
-Alors expliquez-nous
ce que c’est cette technique du vitrail en dalle de verre? C’est
du verre en dalle comme de la pierre qui est taillée au
marteau…
-D’où
les petits éclats ? Oui,
alors les éclats sont faits exprès après
que le périmètre de la pierre soit taillé,
pour donner cette vie qui traverse la matière.
-Vous avez
des talents d’aquarelliste, aussi… Oui,
voici le vitrail de la fenêtre qui éclaire l’orgue :
il représente un antiphonaire, ou recueil de chants sacrés,
avec des armes récupérées dans des vieux
vitraux et remontées dans un autre contexte, ici avec une
partition grégorienne du début de l’introït
du dimanche de Laetare (rejoignez-nous) avec deux figurines
prises dans des enluminures. Ici la forêt d’Anglet avec
toutes sortes de fleurs et ici encore une croix fleurie.
-C’est un projet
vraiment complet, cette église… Oui…
à l’entrée c’est la Vierge et l’enfant avec la liturgie
du 15 août, revêtue du soleil, couronnée de
douze étoiles. Ici les litanies de la Vierge : vase
d’élection, rose mystique, lys des vallées, tige
de Jessé, l’arbre généalogique du Christ.
Le cadre impose
la concentration du regard
-Le fait de
travailler dans des cadres, c’est un peu comme pour Giotto dans
la chapelle de l’Aréna à Padoue, qui a défini
en 1305 la notion de cadre dans les fresques? Oui car le vitrail
c’est du sur-mesure, il faut épouser la fenêtre,
et l’illustration
en dépendra : une fenêtre étroite et
haute sera appropriée pour un arbre, une fenêtre
large pourra accueillir une frise. Le cadre impose à celui
qui regarde, de concentrer son regard…et l’art du vitrail a cette
contrainte de remplir intégralement l’espace ! Par exemple, ce Christ dans
un vitrail en forme de croix dans une chapelle du séminaire
du berceau de Saint-Vincent de Paul, près de Buglosse dans
les Landes. Derrière lui, on trouve le soleil rouge du
Vendredi Saint, la mort le soleil qui s’éteint et ici la
résurrection, un soleil dans des lettres grecques. Là l’église de
Larrau, avec le thème de l’eau : moïse donne
un coup de bâton sur le rocher doré pour faire jaillir
de l’eau. Les hébreux murmuraient contre Dieu car ils avaient
soif. Ici le psaume 41 Moïse faisant jaillir l’eau du rocher
d’Horeb. Un pèlerin qui marche le jour et la nuit. L’église d’Aniarpe entre
Saint-Palais et Mauléon sur la « Jacobe bidea » :
le pèlerin s’est arrêté et la croisée
des chemins. Le berger avec tout ce qui a trait au village :
les chênes, les sources, le maïs…
-À Arbonne? Oui,
la sœur du père Cestac passait ses vacances à Arbonne
et le curé a voulu faire ce vitrail avec le portrait de
Saint-Michel Garricoïts et le Père Louis Edouard Cestac
avec en basque « Relève-toi et marche » C’est
quelqu’un qui est tombé.
La grande réalisation
à l’Ile de la Réunion
-On trouve
de vos œuvres partout dans la région : Anglet à
Saint-Léon et puis? Partout dans le département
mais j’ai réalisé mon plus grand travail à
l’île de la Réunion à Saint-André,
près du flanc du volcan, entre 1990 et 91. Le prêtre
de l’époque, le curé Baptiste, avait été
mon capitaine dans l’armée... Voici les vitraux de la Réunion : Quatre
grands vitraux de 5 mètres sur deux, 3 grandes rosaces
de 2 mètres de diamètre, 10 vitraux de 2,5x1,5 m.
-La lumière
de cette île, qui est particulière, vous a-t-elle
obligé à en tenir compte dans votre création? Non,
seulement les vitraux là-bas brillent d’une façon
encore plus extraordinaire. Il ne faut pas croire que c’est le
soleil qui fait briller, c’est le jour…
-Mais même
la lumière du jour est différente là-bas,
car lorsqu’il fait gris, quand il y a ces contrastes de lumières
saisissants, …et puis les églises sont assez pourvues d’ouvertures
… En plus aérées
…
-Quels thèmes
avez-vous choisi ? Cela naît d’une discussion avec
le commanditaire ? On vous laisse carte blanche? En
accord avec le curé, là, une Vierge comme celle
des Icônes, ici la Croix plantée sur le monde avec
les oiseaux, les sept dons du Saint-Esprit. Ici la tempête,
la pêche avec la Croix de Saint-André et pour le
baptistère tout ce qui a trait à la lecture :
le feu, le cierge pascal, le Saint- Esprit.
Dans la rosace, le jugement et la mort du Christ, la mort des
hommes et la pesée des âmes, le Christ en gloire
avec la phrase « ton nom Jérusalem brillera comme
un diamant » Isaïe 60. Parfois il y a des exigences :
dans les trois vitraux du chœur, l’eucharistie, par exemple le
poisson de la communion devait être rouge. La croix du Christ
en bois équarri, travaillé comme une poutre, sur
fonds rouge avec les sept branches qui représentent les
sept dons du Saint-Esprit, c’est un thème du XII.e siècle,
que l’on retrouve dans certaines cathédrales.
-Vous êtes très
curieux, très ouvert sur tout car vos références
sont très multiples? Oui,
oui….
La technique, les stades de fabrication
-Quels sont des stades de fabrication? D’abord une esquisse,
puis une aquarelle, la maquette : c’est le stade du carton… Ensuite je choisis parmi les
couleurs dont je dispose, la fragmentation ne se ferra que sur
le moment, vraiment. J’ai une
petite exigence vis-à-vis de moi-même, bien légitime
pour quelqu’un qui a exécuté un autre pendant de
nombreuses années, je ne ferrai jamais exécuter
mes dessins par un autre, comme j’ai exécuté Lesquibe
pendant trente ans … et pourtant il n’en est pas mort (rires),
ce n’est pas pour me faire exécuter maintenant…
-Vous avez une préférence
dans le choix des techniques? Non,
je suis à l’aise dans toutes les techniques, c’est en fonction
de la commande.
-Qu’est-ce qui motive l’acceptation
des chantiers, le souci de laisser une trace, d’illustrer l’Evangile,
de participer à un effort d’évangélisation…? Non,
ce qui me motive, c’est la plastique et que le thème que
j’illustre soit tiré des Ecritures…Ce n’est pas à
moi après de faire les commentaires…
-Vous avez formé des
apprentis? Non, cela
ne se fait plus, j’ai seulement eu une dame qui est restée
deux fois 6 mois…
-Où trouve-t-on vos
vitraux? Un peu partout, à
Anglet dans les églises Saint-Léon, Saint-Michel
et l’Eglise de la Trinité où j’ai réalisé
tous les vitraux, et Blancpignon que j’ai fait mais en compagnie
de Lesquibe. Je viens de finir Saint-Léon. Et puis un peu partout au Pays
basque : Elizaberri, Hasparren, en Soule
dans 7 ou 8 églises… Une commande est en ce moment
en cours d’achèvement pour Notre-Dame du Refuge d’Anglet,
représentant le père Cestac *.
Le style de Charles
Carrère: fidèle à ce qu’il aime
-Si on devait
caractériser le style des vitraux de Charles Carrère,
que dirait-on ? Les années trente- quarante? Non,
de toute façon ce n’est pas à moi de le dire, ce
sont des vitraux, c’est comme cela.
-Dans
une période où l’on voit beaucoup d’abstrait, vous
faites figure d’enclave? Oui l’abstrait, c’est
la mode, mais je ne crains pas de nager à contre courant…
-Et depuis toujours car
vous semblez être resté assez fidèle à
votre style? Oui à
la figuration.
-Ce qui est
aussi important, c’est de voir les vitraux dans leur contexte,
en harmonie avec le lieu… Oui,
d’ailleurs lorsque je fais visiter, je ne montre pas les vitraux,
je fais visiter la chapelle…la pierre qui crée un contraste
avec les vitraux. Des petites surfaces, des murs très épais,
les églises romanes pour le style dépouillé
me plaisent …
Des Vitraux pour des particuliers
-Passons au « civil »
maintenant : pour des particuliers, le travail est un peu
plus marginal, et dles thèmes commandés varient? Un pèlerin,
un comédien, « l’éveilleur » qui ramasse
la nuit et la lune dans une épuisette, réveil des
fleurs, comme l’allumeur de réverbères, un vitrail
avec le Saint Graal, le Saint-Esprit et l’eau qui coule… un coq
d’or, la nuit et le jour avec un bandeau sur l’œil, des
compositions florales, le phénix qui renaît de ses
cendres, un arbre avec des feuilles gothiques, des iris….
-On
reste dans des thèmes assez classiques, là, est-ce
que vous avez été amené à élaborer
des vitraux extrêmement originaux ou très contemporains,
avant-gardistes, comme le pierrot lunaire que vous
m’avez montré? Oui
celui-ci a été fait en vitraux.
Charles Carrère que l’on
connaît peut-être moins: des dessins, de la peinture,
depuis toujours…
-Maintenant passons aux dessins,
aux compositions à la gouache. Ce sont mes « caprices »
comme ceux de Goya, comme je suis très capricieux…(rires). Tout peut se faire, la vie,
la mort, les natures mortes, les oiseaux que je fais d’après
nature, des formes dans des crânes… je ne puis pas voir
un tronc d’arbre un crane sans y voir des formes, c’est du fantastique
qui est venu petit à petit… je donne des expressions par
anthropomorphisme aux animaux ou aux objets que je dessine. Les
titres viennent aussi comme cela, « Simon le Stylite dans
les déserts égyptiens, le saint qui vivait sur une
colonne avec en dessous les oiseaux emmanchés lui faisant
une cour…, des oiselles avec des cornettes et la mère supérieure »…
ce sont là des œuvres de 1967 à 1980… Il
y a des phrases extraordinaires que je note, des phrases que j’entends
à la radio sur France Culture, des phrases issues de livres,
des phrases de Jacques Prévert.
-Vous avez découvert
Goya à quelle époque? À
Bayonne, et au Louvre.
-Vous travaillez à quelle
période de la journée? Là
c’est de nuit, autrefois, je travaillais beaucoup la nuit, maintenant
je ne le peux plus. Je peignais le dimanche, c’est une habitude
d’ouvrier que j’ai conservée…
-Où et quand avez-vous
exposé vos dessins? Dernière exposition
chez Page en 1984 et je n’aime pas les expos de groupe où
l’on est noyé avec d’autres, cela n’a pas de sens pour
moi… Maintenant, j’attends que l’on
me propose un autre lieu d’exposition…
* Vitrail inauguré
à N-D du Refuge le 24 mars 2001 à 15h30 par Monseigneur
Pierre Molères. (RETOURNER) Photos: Sophie
Hontaas
Euskonews & Media 123.zbk
(2001 / 5 / 18-25)
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