Koldo
Ameztoi est né dans un petit village d'Amikuze, aux temps
héroïques de l'oralité où il n'y avait
pas encore de place pour la télévision. Grâce
à Koldo, cette oralité continue à vivre,
car il vit de l'oralité: son métier est celui de
conteur, au Pays Basque comme ailleurs. Il puise dans le trésor
des contes d'hier et d'aujourd'hui, ceux d'ici ou ceux d'ailleurs
parfois, sans compter ceux qu'il écrit lui-même.
L'inspiration ne lui serait-elle pas facilitée par le voisinage
des grottes d'Otsozelaia, repaire connu de Laminak ? Est-il vrai
que certains soirs de clair de lune il les observe monter et descendre
par le fameux "sentier des Laminak" d'Eltzarruze: puisqu’il vit
au pied de cette montagne ?
-Quel était
l'atmosphère familial de votre enfance? Mes parents étaient
Basques de naissance et de langue. Au temps de mon enfance c'était
l'oralité qui régnait dans nos villages. Chez moi,
il n'y avait pas télévision, mais seulement une
radio qui ne parlait que Français. Chaque jour, mon père
faisait le récit de sa journée en rentrant à
la maison après le travail aux "Ponts et Chaussées".
C'est ainsi que se nommait à l'époque: "l'Equipement".
Il nous transmettait ce qu'il avait entendu sur les chantiers
dans les trois langues : basque, gascon et français. Ensuite
ma mère nous rapportait les petits événements
du voisinage. Les fins-de-semaines, ma mère et mon père
étant tous les deux chasseurs et pêcheurs, nos oreilles
collectaient encore… deux fois plus de récits: «Qui parle
sème, mais qui écoute récolte!» Ou le contraire?
-Ce
qui fait que vous êtes devenu amateur de paroles et de cultures? Oui. Mon esprit était
toujours ouvert aux diverses langues, aux mots. Toujours à
l’affût. Ca reste toujours vrai: mon esprit est perpétuellement
attiré par la langue et la culture basques, et les cultures
arabe, africaine et autres (chant, musique, langue, mode de vie,
cuisine...). J'ouvre grandes les portes de mon coeur et de ma
maison à l’ami qui vient de loin pour nous rendre visite,
comme à mon propre voisin. De bon cœur et avec joie.
-Comment vous
êtes vous lancé sur les chemins du théâtre?
Depuis
tout petit j’étais solitaire et secret, un garçon
silencieux et timide. Est-ce pour découvrir mon côté
le plus hardi, je ne sais. J'ignorais même qu'il puisse
exister. Toujours est-il que j'eus l'occasion d'entrer au club-théâtre
du lycée et je me suis lancé ainsi. Et j'eus la
chance de rencontrer un jour cette hardiesse qui était
cachée en moi. Quelle joie! Quel bonheur! A partir de là j'ai participé
à de nombreux stages de théâtre avec les acteurs
du "Théâtre des Chimères" et des artistes
d'ici, de là-bas (j'étais toujours le seul Basque
au milieu des autres, en compagnie surtout de filles) pour travailler
masque, respiration, déclamation, chant, improvisation,
danse, conte... Nous recherchions, approfondissions et mettions
à l'épreuve, équilibre et déséquilibre
corporel, intérieur... Même si tout cela ne m'a pas
libéré de ma timidité, l'expérience
de ces chemins de traverse fût enrichissante. Vraiment.
A la même période je travaillais avec les compagnies
de théâtre "Hiruak Bat" de Garazi et "Bordaxuri"
de Hasparren. Exercices pratiques.
-Ensuite vous
avez fait le choix du métier de la "parole". De tout temps j'ai
rêvé d'un métier artisanal, manuel et solitaire.
Dans ma jeunesse, j’ai fait quelques expérinces en ce domaine:
après avoir étudié les techniques de la construction
pour être ensuite salarié, garçon boucher;
maçon, menuisier, ébéniste, dessinateur en
bâtiment et même un peu architecte. Et ça continue,
car je pense que je suis toujours un artisan. En
ce Pays Basque Nord, les premiers pas du patriotisme, le chant
basque, le nouveau théâtre, le mouvement des premières
Ikastola et le fait de faire un bout de chemin avec les enseignants
d'AEK (j'ai été trois ans durant salarié
d'AEK) me poussèrent sur la route de l'artiste, l'euskara
et la culture basques sous le bras, le conte me servant de bâton
du randonneur. J'allais entreprendre le tour du Pays Basque et
continuer encore plus loin mon "compagnonnage" pour tracer par
la suite mon chemin vers le métier de conteur.
-Mais pas n'importe
quel chemin: pour dire "non", faire "oui" vous alliez être
forcé d'emprunter aussi d’autres sentiers. N’est-ce pas? Lorsque j'étais
au Primaire j'avais déjà commencé à
dire et à faire "non", à l'école même
et à l'église ensuite. J'ai toujours en mémoire
quelques
petites rebellions. Même si je ne voyais pas toujours très
bien ce que je voulais, je savais fort bien ce que je ne voulais
pas. Plus tard, jamais je n'ai dit
un « oui » franc et massif à aucun enseignant,
patron ou toute autre autorité. Je me suis toujours réservé
une part de "non" dans mon esprit et dans mes actes, comme pour
m'assurer un peu de liberté. Maintenant encore, pour choisir
et mener mon travail solitaire, ma vie d'artiste ; et faire
suivre le meilleur chemin à l'art de conter, je sais souvent
dire « non ». Ces choix n'arrondissent pas mes fins
de mois, au contraire, mais... il faut avoir l'audace de le faire.
Sinon! Vous vous rendez compte par la suite que deux "non" vous
donnent l'occasion de dire et de faire un bon "oui", finalement.
Le propriétaire de la maison où je vis dit souvent:
« je préfère que mes moutons se remplissent
bien le ventre une fois, plutôt que de rester deux fois
avec la faim ».
-Vous allez
donc en solitaire, votre valise pleine de force et... de faiblesse? Oui. Je suis un solitaire
dans mon travail et aussi comme militant, offrant toujours mon
aide le plus sincèrement possible, sans jamais reculer
devant les actions les plus humbles. Je crois à la force
du groupe et je n'ai aucun problème à l’accepter
mais à condition qu'il soit l'addition d'individualités...
Sinon, zéro! Le groupe ne vaut pas grand chose et ne durera
sûrement pas. Mes créations les plus
importantes s'appuient pour la plupart sur la mythologie basque.
"Ibarxola" en solo, "Apanize" avec le musicien Pascal Gaigne,
"Maribil" avec Maddi Oihenart, "Makilargi" et enfin, "Harriola
Marriola" sur lequel je travaille actuellement. Je vis en travaillant
ces contes pour ensuite les vendre et les conter. A force de temps,
en roulant sans cesse ma bosse par monts et par vaux, en partant
du Pays Basque Sud, conteur dans les festivals de contes en France
et par toute la Francophonie... Sans demander d'aides financières,
laissant de côté dossiers, bureaux et toute la machinerie
aux subventions, sans me courber devant les politiques, je vais
toujours de l'avant... Leur adressant de loin un petit bonjour,
car mieux vaut garder ses distances. J’ai ainsi l'esprit et la
parole libres, et encore plus de liberté pour agir.
-Il semblerait
que vous utilisiez avec autant d'aisance les éléments
d'une vie passée que les richesses qui nous sont proches. Mon rythme de vie et
de travail, les coins paisibles et le silence que je recherche
(ma compagne vous dirait que je suis un ours), et le fait que
je me sente mieux avec deux copains qu'en présence de deux
cents, me donnent le loisir d' écouter et de jouir de tout
ce qui m'entoure. En les approchant,
j'essaie de humer, de lire, de voir et de connaître, d'entendre
et de cueillir les signes, les symboles, les traces, les vestiges,
les images intérieures et extérieures, les noms
et les êtres, les rites et les mythes, ce que l'on voudrait
nous cacher sans le pouvoir, les idées et les rêves
que renferment depuis toujours notre terre et nos gens, la nature
et les éléments. Tout ceci m'aide à structurer
intérieurement la matière à partir de laquelle
je crée, donnant à chaque conte un peu d'âme
et d'esprit. Même si les auditeurs ne voient pas au tout
premier coup d'oeil, les oreilles doivent entendre !... Peut être
qu'ensuite ça restera quelque part, dans un recoin de leur
esprit. C'est vrai pour certains. Mais pas pour tous. J'ai été élevé
dans une ambiance paysanne, plongé en plein dans la nature,
(même si je n'étais pas fils de paysan.) C’est pour
cela que j'ai toujours en tête (et bien souvent devant mes
yeux) animaux et plantes, plaines et montagnes, forêts et
ruisseaux. Nous vivons dans la nature et celle-ci, qu'on le veuille
ou non, nous emmène toujours de l'avant dans la vie.
-Seriez-vous
en train de remplir le grenier de l'avenir en amassant les récoltes
d'hier et d'aujourd'hui. C'est un de mes buts.
L'oeil aux aguets et l'oreille dressée je vais pour découvrir,
connaître et comprendre tout ce que je peux dans les croyances
d'hier, religions et foi, fêtes et rituels d'aujourdhui,
d'ici et de là-bas, mon coeur et mon esprit ouverts à
tous, avec respect et curiosité. Il m'arrive aussi souvent,
d’essayer de comprendre les spiritualités contemporaines
et celles qui nous ont précédées., d'imaginer
des liens entre elles. Je sais que je ne suis pas le seul. Il
y a aussi d'autres artistes tout aussi sensibles et éveillés,
poètes, musiciens, chanteurs, peintres, sculpteurs, car
"une esthétique sans âme ne peut, seule, aller bien
loin. Attentif à la vie du Pays Basque et d'ailleurs, à
tout événement d'hier, d'aujourd'hui et de chaque
jour, je veux en tenir compte. D'une part pour savoir, et, pour
continuer avec ces éléments, le travail de création
dans la tradition vivante.

-Est-ce que
pour le conte, comme pour les autres arts, il faut d'abord être
humain et artiste ensuite? Un peu des deux. Je suis
ce que je suis, avec mes forces et mes faiblesses. Avec beaucoup
de travail et un peu d'audace. Dans le conte je continue à
être serviteur de la parole. Il faut d'abord trouver les
éléments du conte, les composer, les travailler,
leur donner de la consistance, de la vie, en faisant appel parfois
à un ou autre ami artiste. Et ensuite, je raconte, pour
restituer de bouche à oreille, d'une façon ou d'une
autre à nos compatriotes leur trésor, leur héritage,
et aux étrangers ce que je sais sur nous-mêmes. Pour
aller où ? Je ne le sais. Mais je crois que, comme toujours,
j'arriverai avec un peu de retard... Je me suis lancé dans
le métier de conteur à 30 ans, j'ai eu mon premier
fils à 40 ans, je construirai ma maison à 50 ans
et, comme me disait un ami, "tu mourras certainement après
les autres." On verra ! En attendant, je tiens « à
vivre jusqu'à mourir ». Photos: Jean Claude Broca
Euskonews & Media 119.zbk
(2001 / 4 / 20-27)
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