Xavier
Diharce, connu sous le nom "Iratzeder" est né en 1920 à
Saint Jean de Luz, dans la province du Labourd. Il rentra moine
dans l'ordre des Bénédictins au monastère
de Belloc, près d'Hasparren. Il y est depuis plus de soixante
ans et il en fut le Père Abbé durant quelques années.
Il y continua aussi son activité littéraire en langue
basque qu'il avait débuté très jeune. Il
y édita un périodique en euskara, "Otoizlari". Il
publia un ouvrage important "Salmoak" ("les Psaumes"), un ensemble
de Psaumes qu'il avait traduits et qui prirent une place majeure
dans la diffusion de la liturgie en basque, en appliquant les
recommandations du Concile Vatican II dans la décenie des
années soixante.
L'oeuvre poétique d'Iratzeder s'inscrit dans une poésie
mystique exprimant une vie intérieure intense marquée
par une foi vivante et par un amour de sa terre et natale et de
sa langue. La plus grande partie de ses texte se trouve rassemblée
dans l'ouvrage "Biziaren Olerkia" ("La poésie de la Vie"),
en 1983. Il y a rassemblé ses divers recueils poétiques.
Le premier de ceux-ci "Pindar eta Lano" ("Etincelles et brouillard")
parut en 1946.
Nous avons rencontré Iratzeder dans sa colline inspirée
qu'il désigne par le vocable de "zerumendi" ("montagne
céleste"). Comme toujours, avec une grande humilité,
il nous parle de sa vie et de sa démarche poétique,
protégé par les beaux arbres du parc éclairés
de soleil d'automne.
-Pour ceux qui ne vous connaissent
pas, pourriez-vous indiquer l'origine de votre nom littéraire? Mon nom de famille
était Diharce, et je me demandais d'où provenait
ce nom... C'est alors que je pensai au mot "ihartz", venant du
mot "iratz", "fougère". Ensuite, pour embellir ce nom j'ajoutai
"eder" ("beau"), et ce fut "Iratzeder".
-Ce n'est peut-être pas
une explication suffisante : il semblerait que la fougère
possède certaines qualités... Les fougères
se trouvent en montagne sur des terrains incultes ; alors, la
fougère est un nom qui évoque la liberté
et pas seulement la liberté mais aussi une plante qui pousse
en zone de montagne.
-Il lui suffit peu de chose
pour qu’elle croisse, un peu de terre lui suffit... Mais l’eau
lui est nécessaire. Oui, mais le vent procure
la vie à la fougère: alors je pensais que le bertsulari
(l’improvisateur de vers) était ainsi, que l’air de la
montagne et l’air de l’océan frappaient sa pensée
et naissaient alors en lui les vers.
-En quoi consiste votre vie
quotidienne ici à Belloc ? Quel est l’emploi du temps de
votre journée par exemple? Le lever est à
six heures, on chante les psaumes à six heures et demie
en compagnie des autres frères pour faire offrande de la
journée. On déjeune ensuite à huit heures
et j'entreprends le travail, dans mes occupations, dans mes livres.
Ensuite à midi, nous célébrons la messe solennelle
ensemble, puis, l’après-midi, je reprends à nouveau
mon travail et dans la soirée nous avons une réunion.
Le Père Abbé mène la réunion et chacun
parle de sa journée. Nous vivons ensemble en fait. Mon
travail est donc de chanter les Psaumes cinq fois par jour et
ensuite je reprends parfois mes écrits et quand je le peux
j’écris des poèmes.
-Quels
livres lisez-vous, beaucoup de livres basques, des livres qui
viennent de paraître par exemple? Je ne lis pas beaucoup.
Mais je fais beaucoup de rêves, des rêves et des prières,
et là je trouve les thèmes de mes vers.
-Traducteur des Psaumes, vous
les avez adaptés, vous avez été l'un des
plus grands adaptateurs au Pays Basque. Le basque dont vous avez
fait usage alors, quel est-il ? Comment avez-vous procédé
? Ce travail de traduction en basque n’est pas facile... J’avais appris les
Psaumes en latin ici. Nous les chantions en latin et alors comme
j’avais l’habitude d’écrire des vers, je chantais les psaumes
en latin avec les autres frères, puis je les chantais en
basque dans mon coeur et je faisais paraître parfois les
vers qui me venaient à l’esprit.
-On dit souvent que les latinistes,
les moines, en prenant l’exemple de l'écrivain classique
Axular, ont trop introduit les formes latines dans la langue basque.
Avez-vous considéré cela comme un danger ou avez-vous
privilégié le parler local ? Quel parler avez-vous
fait valoir ? Vous avez appris le basque parlé à
Saint Jean de Luz, en tout cas... Oui, ce sont les vieilles
chansons basques qui m’ont plu. Alors, ces chansons ont été
les sources de mon savoir. Je n’ai pas eu d’enseignant pour apprendre
le basque, seulement ma famille. Autrement dit, j’ai appris comment
développer les idées, dans les poésies et
les chansons.
-Ces idées trouvent
aussi leur fondement dans votre vie. La culture qu’a acquise le
petit Xabier Diharce a-t-elle eu un impact vos choix linguistiques
et votre production? J’ai appris beaucoup
de chansons basque dès mon plus jeune âge et ces
chansons ont été les voies de ma connaissance.
-Vous dîtes souvent que
votre père vous avez forcé à apprendre le
basque lorsqu'il eut connaissance de votre volonté de sacerdoce. Quand nous rentrions
de l’école, nous commencions à parler français,
comme nous le faisions à l’école. Alors, papa nous
demandait, en criant, de parler basque. C’est ainsi que nous avons
été attachés à la langue. J’ai aussi
appris beaucoup de chansons basques. J’ai appris par les chansons
basques comment il fallait traiter ce monde basque si attachant.
J’aimais beaucoup apprendre les chansons basques et j’avais appris
toutes les chansons que je pouvais. Quand je m’apercevais qu’une
personne savait une chanson que je ne connaissais pas, je ne la
laissais pas en paix jusqu’à ce que je l’apprenne et ainsi
j’ai appris beaucoup de chansons basques. Je les avais en mémoire,
je les écrivais aussi et les retenais.
-Vous parlez de vieilles chansons.
A quel monent faisiez-vous un rapprochement avec la littérature
basque ? Vous avez appris dans les livres aussi, assurément.
Quels ont été vos modèles ou ceux auxquels
vous vous êtes référés? Mon professeur a été
Jean Barbier, le curé de Saint Pée-sur-Nivelle.
Il a écrit le livre "Piarres". Je l’avais soigneusement
lu et avais appris son contenu.
-Même
si peu de livres du médecin Jean Etxepare ont été
publiés, vous en lisiez des passages sur l'hebdomaire "Euskalduna"? J'avais lu avec attention
son ouvrage "Buruxkak". J’ai beaucoup appris dans ce livre. Mais,
mes sources d’information ont été surtout les chansons
basques. J'en connaissais plus d’une centaine.
-Nous pouvons voir dans vos
poèmes que vous parlez beaucoup du Pays-basque. Vous parlez
beaucoup de votre foi, de votre famille, on trouve de belles poésies
destinées à votre soeur et beaucoup de textes émouvants
aussi. Vous avez voulu apporter votre témoignage dans vos
écrits. Chacun est le témoin de son milieu... La mer a été
ma meilleure enseignante. Il faut dire que je suis né au
bord de la mer. J’étais à cent mètres du
rivage : j’étais toujours amené à en parler.
Iratzeder tient à nous
lire son poème "Itsasoan" ("sur l'océan"), sans
aucun doute, son texte le plus célèbre.
Sur l'océan
(29 octobre 1950)
Sur l'océan,
sur l'océan, Sur la vaste et folle vague, Au loin, sur l'océan. J'allais souvent avec toi.
Il n'y avait plus de mesure, Il n'y avait plus de frontière
! Toi capitaine, moi timonnier, Il n'y avait pas de coeur Plus joyeux que les nôtres.
Au loin sur l'océan J'allais souvent avec toi.
Ah ! Les paroles de là-bas, Les chants, les rêves
! De vagues folles, d'amour, Nous emplîmes pour toujours Les coeurs de chacun.
Sur l'océan,
sur l'océan, Sur la vaste et folle vague...
Depuis lors, où
sommes-nous ? Il y a tes os, je suis moine: Toi au ciel et moi dans le
monde, Unis dans le chant, Pour aider les Basques.
Sur l'océan,
sur l'océan... Sur l'océan de Dieu, Dans la vaste et pleine joie.
Et Iratzeder ajoute: là, je
parle de mon frère mort à la guerre, mon frère
aîné.
-C’est un événement
qui vous a beaucoup marqué, n’est-ce-pas? Oui, oui, j’étais
très lié à lui. C’est lui qui avait mis en
moi l’amour de l’âme basque. Il était attaché
à la langue de façon acharnée.
-Iratzeder, quand on parle
de vos poèmes on parle souvent de ce cri de Gernika et
de votre coeur. Cela veut dire que tous les événements
relatifs à la guerre du Pays Basque vont ont beaucoup éprouvé? Quand je vivais à
Saint Jean de Luz, les réfugiés arrivèrent
de l’autre côté de la montagne. Je les ai beaucoup
fréquentés, le compositeur Garbizu et d’autres.
J’appris beaucoup de chansons basques avec eux et alors leur flamme
s’alluma dans mon coeur.
-Certains basquisants de votre
époque s’engagèrent dans la politique et vous, comme
vous l’avez souvent dit, vous avez fait un autre choix, celui
de vous faire prêtre. En vous faisant prêtre n’avez-vous
pas pensé que vous reniiez votre âme, la politique
restant pour certains le remède principal? J’avais cette conviction
que je devais sauver le Pays-basque et je pris la décision
que je devais faire le maximum pour y parvenir. Alors, je pensais
qu’il était préférable dee faire entrer la
force de Dieu en Pays-basque. Et alors, grâce à mon
père j’ai appris le basque.
-On dit que les moines vivent
à l’écart du monde; vous avez eu malgré tout
des échos de ce qui se passait dans le monde. Des faits
de la dernière guerre et ensuite, des événements
graves qui se produisent au Pays-basque ces cinquante dernières
années... Comment ressentez-vous ce siècle basque
quand tant de choses ont changé? J’avais pensé
que le Pays-basque avait besoin de l’énergie du Dieu céleste,
et que, souvent, toutes les autres forces étaient souvent
fausses, irréelles. Si je rapprochais la vie du Pays-basque
de Dieu, alors, que le Pays-basque aurait une vie qui franchirait
tous les siècles et qu’il vaincrait à l’avenir.
-"L’arme
des mots", je ne sais s’il faut s’exprimer ainsi, la force des
mots, de toute manière, vous l’avez utilisée sans
répit. En tout cas, vous avez beaucoup utilisé les
mots... Je voulais parler de
ce que j’avais sur le coeur. Alors, il me fallait les mots pour
faire part de mes pensées. Je devais utiliser les mots
que je connaissais.
-Votre professeur et collaborateur
en tous cas a été Urteaga, le compositeur et organiste
de Saint Jean de Luz. Vous avez beaucoup travaillé avec
lui. Il vous aidé dans votre voie? Oui, je lui donnais
mes poèmes et lui me les mettait en musique. Il les composait
à partir des couplets que je lui remettais.
-Et inversement aussi, il vous
donnait ses musiques et vous créiez les paroles ensuite... Ah oui, nous nous sommes
beaucoup entraidés. Il venait à Belloc et était
souvent affligé de voir que l’on abandonnait le basque
à Saint Jean de Luz. Alors, je travaillais avec lui, lui
au piano et moi chantant, apprenant des chansons basques et de
nouvelles chansons basques.
-Les Editions Ezkila ("la cloche")
de Belloc ont été un moment important de votre activité
à Belloc: pouvez-vous nous en parler? Elles virent le jour
quand la liturgie commença à être donnée
en basque. J’avais remarqué alors qu’il fallait créer
de nouveaux chants basques car autrement, ils allaient être
introduits en français. Tous les chants arrivaient de Paris.
Je traduisais tous les Psaumes en basque, il y en a cent cinquante,
de façon à les chanter en basque.
-Vous avez dû fournir
un long et important travail... Oui, et comment trouver
le temps pour faire ce travail ? C'est alors que je tombai malade.
Une fois malade, je suis resté alité deux ans. Je
souffrais des poumons ; c'est alors que je mis tous les psaumes
en basque, tous les chants que j’avais sous la main en basque.
-Cela fut un travail des Editions
Ezkila. Il y avait aussi les revues "Otoizlari" et "Corde Magno".
Quand et comment parurent-elles? On commença
à publier au couvent un mensuel en français, "Corde
Magno". Alors, je pensais qu’il fallait le faire en basque aussi.
Je créais une revue basque et je lui donnais le nom "Otoizlari"
("le Prieur"). Je l’ai faite paraître durant quelques années.
Elle contenait des prières et autres textes, il y avait
aussi des poèmes. On y parlait des saints, de l’Eglise.
Je parlais de la vie de l’Eglise et des premiers hommes d'église
basques d’autrefois. Je parlais des saints aussi.
-Vous avez eu également
une expérience importante en Afrique, Vous avez développé
une annexe du couvent de Belloc dans le village de Sananado au
Dahomey. Ils avaient commencé
à construire un couvent en Afrique. Et alors, j’avais pensé
que je devais moi aussi y aller. J’en demandais l’autorisation.
On me l’accorda et j’y suis resté trois ans, jusqu’à
ce que je tombe très malade.
-Si vous deviez comparer la
vie et la foi des habitants de ce pays-là avec celle qui
se vit et se pratique chez nous, avez-vous trouvé un autre
milieu et avez-vous connu la même foi? Il y a une grande resssemblance
avec ce qui existe ici. Je ne connaissais pas bien la langue de
leur pays. Je ne la savais pas mais nous avions quand même
des relations.
-La construction des couvents,
les travaux que fait l’Eglise catholique en Afrique font parfois
l’objet de critiques, qu’il s’agit d’une culture étrangère
et l’on dit, a contrario, que l’Eglise s’est toujours adaptée
aux croyances locales. Avez-vous réfléchi à
de tels phénomènes là-bas?
Il
est toujours facile de critiquer. Mais, nous n’étions pas
allés là-bas pour enseigner le français.
J’étais allé pour introduire les paroles d’évangile
dans leur vie et pour ce faire, il nous fallait d’abord apprendre
leur langue. Nous avions commencé à l’apprendre
et nous avions appris aussi leur chants. Et de même que
j’avais traduit les cantiques en basque, là-bas aussi je
leur ai composé quelques chants.
-Quelle appréciation
portez-vous sur votre langue littéraire, à l’heure
actuelle? J’ai essayé
de parler le labourdin autant que possible, sans même l’associer
au bas-navarrais. J'utilise le dialecte labourdin. Et, je continue
toujours ainsi. Tous les basques comprennent le labourdin. Moi
je suis attaché au labourdin.
Le poète Iratzeder aime
répondre aux questions par un poème. Il nous ouvre
son bel ouvrage "Biziaren olerkia" (Le poème de la vie)
et nous lit "Munduan iragan da" ("Dans le monde est passé").
Dans le monde est
passé le regard de Dieu: C'est lui qui habille de blanc
la crête des monts, L'obscurité avec des
étoiles, et l'océan avec des ciels.
Dans le monde a fondu
le regard de Dieu: C'est lui qui verse leur douceur
aux mères, Dans les yeux des enfants le
sourire céleste.
Dans le mond est passé
le regard de Dieu: C'est de lui que l'homme tire
sa valeur, De lui son Rêve sans
mesure.
Dans le monde va le
regard de Dieu: Ainsi nous est beau l'avenir
du futur, Le Pays Basque éternel
de demain.
-Vous donnez l’impression d’être
toujours fermement fidèle à votre conviction de
jeunesse et de n’avoir pas changé votre engagement d’alors. Je ne me renie pas.
J’exprime ce que j’ai sur le coeur dans mes poèmes et mon
manière d'écrire en est la conséquence.
-L’importance de l’évangile
et la foi ressort toujours dans votre expression. Vous parlez
du futur dans vos poèmes : que l’évangile est valable
pour le futur et pour toujours. C’est un fait que vous pouvez
rappeler? L’amour de Dieu et
du Pays-basque sont nés tous deux en même temps dans
mon coeur et j’ai fait grandir les deux. Oui, j’ai été
lié au Pays-basque par la prière
et à Dieu par amour pour le basque. Et je préserve
les deux dans mon coeur.
-Vous aviez dit une fois qu’il
fallait sauver le Pays Basque par la prière et non par
la violence, et que vous vous y engagiez. Gardez-vous la même
pensée au vu de toutes les violences présentes de
nos jours? Bien sûr! Et
de plus en plus.
-Dans l'ensemble de vos poèmes,
y en a-t-il que vous préférez? J’ai exprimé
en vers ce que j’avais dans mon coeur alors j’ai de l’attachement
pour tous ces vers.
Et, en guise de conclusion, Iratzeder
nous lit l'un de ses nombreux poèmes.
Euskal lurreko (28
octobre 1951) Coeurs des mères de
la Terre Basque
Coeurs des mères
de la Terre Basque, oh, saints coeurs de mères ! Pensant et repensant aux enfants
partis, effondrées en secret. Que de ma bouche montent les
plaintes de leurs prières, Que le cri de la terre basque
touche aujourd'hui le Seigneur du ciel.
Intérieur des
enfants que bercent les mères basques Que les montagnes et les horizons
ne peuvent rassasier. La maison qu'ils quittent,
pris par la nostalgie du lointain, Laissant souvent les yeux des
mères attendre jusqu'à la mort.
Ah, véritable
vallée de larmes que la vie de ce monde! Toi aussi, Seigneur, tu as
taché de sang cette terre où nous allons. Nous acceptons le baiser rouge
de la croix. Ah, mais jouissons du Pays
d'en haut avec nos enfants.
Comment regarder de
loin la foi mise en nos enfants, Qu'ils ne tombent pas quelque
part dans le gouffre tout seuls. Voilà heureusement ce
sommet avec les moines basques de Belloc : Protégeant et réunissant
tout le monde, lançant des appels au ciel.
Moines silencieux,
modelez sur cette colline le coeur des coeurs basques Modelez l'Eglise des enfants
basques du monde pour les siècles des siècles. Que cette Eglise protège
les vivants... et aussi les morts, En faisant monter jour et nuit
la prière de la Terre Basque. Photos: Euskaldunon Egunkaria, Eusko Ikaskuntza
Euskonews & Media 114.zbk
(2001 / 3 / 9-16)
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