Itxaro Borda, écrivain basque de
Basse Navarre est postière de profession. Née en
1959 à Bayonne, mais fidèle à son esprit
nomade, elle a vécu dans différents lieux : Paris,
MauléonS Licenciée en histoire et en études
agricoles. Responsable de publication de la revue Maiatz de 1981
à 1991; actuellement elle y collabore en écrivant
des articles. Parmi les livres qu'elle a écrit on peut
citer son roman Basilika, son livre de poèmes Bestaldean,
et son recueil de poèmes Bizitza nola badoan. Depuis son
enfance, elle écrit tous les jours. Elle vient de terminer
un roman, non édité encore. D'autre part, ces dernières
années elle s'investit beaucoup dans Seaska, fédération
des ikastolas en Iparralde. Tous les mardis on peut lire sa chronique
dans le quotidien basque Egunkaria dans la rubrique Seiko urrean.
Itxaro Borda, cette humoriste navarraise qui se déplace
d'un endroit à l'autre est d'un caractère gai.
Lorsque nous lui avions donné rendez-vous dans un café
à Bayonne, elle nous avait salués en plaisantant
et pour nous quitter elle le fit avec autant d'humour.
-Vous avez fait des études
agricoles et d'histoire. Que vous a apporté chaque domaine
et pourquoi les aviez-vous choisis?
J'ai suivi les études agricoles jusqu'à la fin
du second cycle. J'ai appris l'économie mondiale agricole
et les lois qui la régissent. J'ai eu un professeur extraordinaire
en économie: Eñaut Etxamendy. Il nous avait conditionné
dans la façon de voir le monde. Etxamendi est connu en
tant que chanteur et auteur hors du commun. Grâce à
lui et à d'autres personnes, nous avions un point de vue
de l'agriculture. Jusqu'à présent nous avions connu
une agriculture traditionnelle, qui a longtemps duré,
mais grâce à ces études j'ai compris les
changements et les nouveaux paramètres.
D'autre part, depuis mon enfance, j'ai toujours aimé l'histoire.
Vraiment j'ai eu beaucoup de plaisir à l'apprendre. Aujourd'hui
je me sers de l'histoire et de l'agriculture comme modèle
d'environnement. Par contre, d'autres écrivains sont plus
littéraires que moi. Ma formation est différente,
je suis plutôt favorable à une idéologie
socio-culturelle.
-Vous avez plusieurs frères et s¦urs?
Oui nous sommes sept. Je suis l'aînée. Nous avons
tous eu la même formation idéologique, ici sur place.
Nous avons tous étudié l'agriculture avec ce point
de vue particulier. Nous sommes une grande famille, comme une
tribu d'autrefois.
-Vous avez commencé
très jeune dans la littérature. Lorsque la revue
"Maiatz" a été publiée pour la
première fois, vous aviez 22 ans et votre signature paraît
déjà alors. Comment avez-vous commencé à
écrire?
A dire vrai, j'ai commencé
à écrire à l'âge de 12 ans. Jusqu'à
l'âge de 6 ans, je n'ai parlé que le basque. Etant
donné l'âge obligatoire de la scolarité à
6 ans, j'ai commencé alors à parler le français.
Petit à petit j'ai perdu l'habitude de parler en basque.
J'avais un oncle à Paris, qui me donnait des dictionnaires,
des livres et des disques. A nouveau, petit à petit j'ai
commencé à m'intéresser au basque et à
le lire.
J'étais très jeune, quand j'ai commencé
à écrire, en 1974 mon premier article a été
publié. Depuis lors, toutes les semaines, j'écris
des bertsu, des articles, de la poésie ou d'autres. Depuis
1981 je collabore à la revue Maiatz. J'ai tenu le poste
de responsable de direction pendant plusieurs années.
J'ai fait des traductions, donné des informations, des
critiques, sur d'autres revues traditionnelles littéraires.
-Comment vous souvenez-vous des débuts de "Maiatz"?
Je me souviens de ces temps-là avec beaucoup d'émotion.
Cette année-là eut lieu en France un changement
de gouvernement; après plusieurs dizaines d'années
de gouvernement de droite, la gauche avait gagné les élections,
30 ans que la droite était restée au pouvoir. Les
gens étaient pleins d'illusion.. Nous pensions tous que
tout était possible. On pouvait même en Iparralde
avoir notre revue littéraire basque. La revue Maiatz ne
ressemblait pas aux publications périodiques littéraires
d'Hegoalde. En Hegoalde, ceux d'une même tranche d'âge,
d'une même culture, qui avaient fréquenté
les mêmes écoles se rassemblaient. En Iparralde,
tous ceux qui se considéraient écrivains se réunissaient
autour de la revue Maiatz; ceux de tous âges, de tous styles,
en tout une quarantaine. Ces années-là on débattait
beaucoup, ce qui est normal. Par exemple, quelqu'un comme Xarriton
n'avait pas le même point de vue que Lucien Etxezaharreta.
Tous se retrouvaient dans Maiatz, et en vingt ans on n'a refusé
aucun texte. Maintenant je travaille moins dans Maiatz, mais
je collabore toujours. De la même manière Maiatz
est comme un tremplin pour les jeunes écrivains. Avant
on commençait à écrire pour Herria les nouvelles
des villages ou quelques articles d'opinion. Ces dernières
années Maiatz joue ce rôle. En Iparralde, celui
qui se sent écrivain adressera ses textes à Maiatz.
En ce qui concerne les lecteurs de Maiatz, des militants, à
un moment donné nous vendions un millier d'exemplaires.
Maintenant je ne sais pas qu'elle est le nombre exact de lecteurs.
-Depuis toujours vous
avez écrit des poèmes. Votre recueil de poèmes,
1974-1984, " Bizitza nola badoan (Ainsi va la vie) ",
quelle influence a eu la réflexion sur le temps passé?
A ce moment-là j'avais maximum 25 ans. Il est vrai que
j'avais approfondi les connaissances de la littérature
française, surtout certains écrivains, comme Chateaubriand.
J'aime beaucoup les textes de Voltaire. Mon recueil de poèmes
est très romantique, une réflexion sur le temps
passé. On dirait un classique romantique, j'avais alors
une vue théorique du temps passé.
Aujourd'hui, dans la vie, je suis plus pragmatique, même
lorsque j'écris. J'ai toujours écrit des poèmes
et aujourd'hui je continue. La poésie n'est pas un péché
de jeunesse, comme le disent certains. La poésie est un
désir de vivre et une manière de sentir le Monde.
D'après moi, au fur et à mesure que les années
passent, on voit qu'on se rapproche de la vérité.
Je la sens ainsi cette philosophie. Suivre notre courant intérieur,
c'est magnifique et voir où nous amènent les passions
de la poésie. Je sais que mes livres ne sont pas parfaits,
que ce ne sont pas des modèles, mais ils sont témoins
de certains moments particuliers et dans une certaine mesure
sont la prémolition du prochain livre. J'aime beaucoup
lire la poésie.
-Certains
de vos poèmes sont pessimistes. Vous aussi êtes
pessimiste?
Au fond de moi-même, je suis pessimiste. Et puis pour exprimer
mon fonds intérieur j'utilise l'ironie. Grâce à
l'ironie et à l'humour j'ai une manière de surmonter
le pessimisme et de continuer à vivre. D'un côté
je suis romantique et pessimiste et d'autre part optimiste.
-D'autre part, vous
avez traduit des textes du français au basque. C'est un
travail difficile n'est-ce-pas?
Bon, moi je n'ai pas traduit de roman entier. Ce que j'ai fait,
c'est traduire quelques poèsies pour Maiatz, j'appellerais
cela plutôt un travail approximatif. Comme documents, j'ai
traduit des poèmes du français au basque, mais
ce n'est pas un travail facile. Je n'aurais pas le temps de traduire
un livre. Si j'avais le temps, je traduirais tous les poèmes
du palestinien Mamoud Darwich. Pour traduire des romans, il me
semble qu'une formation est nécessaire. Est-ce que l'on
traduit davantage des textes du basque dans d'autres langues?
-Vous nous avez parlé
de votre vie de nomade. Vous avez travaillé comme postière
à Paris. Quelle expérience en retirez-vous?
D'un côté, j'ai des mauvais souvenirs, j'ai dû
vivre séparée de ma fille pendant quatre ans et
demie. J'ai vécu comme une exilée. Par contre dans
le monde du travail, nous étions solidaires entre employés.
Au travail j'ai rencontré une solidarité que je
n'ai pas retrouvée au Pays Basque. Du point de vue littéraire,
au début je pensais que je ne pourrais pas écrire,
mais ce ne fut pas le cas, ce fut même positif. Quand j'écrivais
en basque, je ne me sentais pas là-bas. J'avais 28 ans
quand je partis. Quand on revient, on se rend compte que les
liens sont coupés avec certains. Au retour, il faut renouer
les relations. Par contre, on retourne avec une autre envie de
vivre et un autre goût d'écrire. Quand on revient
au pays on se sent comme un étranger ; c'est pareil passer
à l'extérieur un, cinq ou dix ans. En revenant
au pays, il faut recommencer à nouveau.
-En ce moment vous
vivez à Mauléon et bientôt à Bayonne.
Vous vous déplacez beaucoup d'un endroit à l'autre?
Oui. Du point de vue littéraire c'est positif. En juillet,
je pars à Bayonne et à nouveau il va falloir que
je constitue un réseau de relations. Je continuerai mon
travail de postière, mais dans un poste différent.
Il me semble que les changements sont favorables à l'écriture.
La vie à Mauléon est tranquille, pacifique. Tu
sens l'éloignement. Si tu ne veux pas voir certaines choses
tu ne les vois pas. Ces expériences de vies différentes
enrichissent. La vie à Mauléon ou à Paris
est très différente. Je me déplace beaucoup
d'un endroit à l'autre.
Si vous restez toujours au même endroit, vous entrez dans
une espèce de monotonie. Moi, plutôt, je passe beaucoup
de temps à me projeter dans l'avenir, chercher des changements
avec cette idée de nomade. J'ai du mal à m'imaginer,
si je devais vivre au même endroit toute ma vie.
-Vous avez beaucoup
¦uvré en faveur de la langue basque et vous continuez.
Comment avez-vous commencé à Seaska et comment
voyez-vous la situation des ikastolas?
Quand j'étais revenue de Paris, ma fille était
enfant, et je l'avais amenée à l'ikastola de Mauléon.
Il est vrai qu'au bout de quelques mois je m'étais impliquée
dans la vie de l'ikastola puis à Seaska et cela fait 10
ans que je suis présidente à Mauléon. Puis
quelqu'un d'autre me succédera. D'abord comme écrivain
puis comme basque, j'avais l'impression que je devais m'impliquer
dans le monde de l'enseignement en basque. Pour continuer à
écrire il faut savoir où seront nos lecteurs. Dans
l'avenir, nos livres devront être lus. Les aventures de
Seaska me touchent depuis longtemps.
Nous avons un long chemin à parcourrir. Nous n'avons pas
de raisons d'être optimistes. Il est vrai que ces vingt
dernières années, la langue basque s'est beaucoup
perdue dans les villages ainsi que dans beaucoup de familles.
Mais on peut dire qu'une génération l'a perdue
et qu'une partie de la nouvelle génération apprend
en basque et le parle couramment. En Iparralde il y a la possibilité
d'apprendre en basque et puis il y a les radios, les journauxS.
qui n'existaient pas à une certaine époque. D'autre
part, pour vivre en basque on peut faire les achats dans les
magasins où l'on parle basque. Ce n'est pas la même
situation qu'en Hegoalde, ce n'est pas comparable. Ici on va
à petits pas tantôt en avant tantôt en arrière.
-En Iparralde, comment
voyez-vous l'officialiation de la langue?
En France tant que la loi n'est pas modifiée, ce sera
difficile. Mais on peut la parler officieusement. Ainsi ceux
qui parlent basque doivent s'en servir pour communiquer. Imaginons
un endroit où j'ai l'habitude de me rendre plusieurs fois,
si je me présente en basque, on finit par me connaître
et à partir de là on a des relations avec ceux
qui parlent le basque. Cela m'arrive souvent dans les cafés,
les magasins.. Ce qui est important c'est de provoquer la demande,
et c'est cela qui est officieux. Nous voudrions obtenir le plus
tôt possible un système officiel d'éducation
en basque. On travaille dans la basquisation et il y a de quoi
faire.
-Le travail d'Euskal
Konfederazioa est là?
Oui, nous verrons ce qui se passera. Euskal Konfederazioa demande
l'officialisation de la langue basque partout Comme tout le monde
le sait, le 10 juin une grande manifestation a eu lieu, et l'appel
de la société est bien là.
-Entre temps, comme
vous le dites, il faut travailler la pratique orale, n'est-ce-pas?
Oui. C'est ce qui nous revient. Et nous le faisons. Ma fille
a 13 ans et je parle toujours en basque avec elle. A Mauléon
aussi je parle basque. J'ai appris le dialecte souletin et j'essaie
de le parler avec ceux des environs, les personnes âgées,
les jeunes et avec ceux qui l'étudient. J'espère
qu'à Bayonne je trouverai davantage de personnes parlant
le basque. Tant qu'il n'y a pas d'officialisation, nous devons
faire des signes d'appel pour utiliser le basque, car on ne sait
pas si celui qui est en face est basque ou non. On se rend compte
que le risque vaut la peine, si celui qui est en face sait le
basque, une autre relation se noue. En ce moment c'est ce qu'il
y a de plus important la pratique.
-Comment voyez-vous
les avancées technologiques actuelles, Internet, l'informatique?
Globalement il me semble que ces avancées nous sont favorables.
Par Internet ou par courrier électronique, je suis en
relation aussiôt avec Aingeru Epaltza
ou avec un ami écrivain de Galice. C'est un avantage considérable.
Au sein de Seaska nous utilisons Internet et ceci facilite beaucoup
la communication. Il est vrai qu'on voit de plus en plus de pages
web en basque. Je crois qu'il faut utiliser toutes ces possiblités
pour communiquer entre nous. Moi j'utilise plus le courrier électronique
qu'Internet. Les relations sont plus faciles aujourd'hui avec
les maisons d'édition. Imaginez-vous dans les années
80, quand j'écrivais pour Argia, ce que je devais faire
: à la maison je devais taper à la machine, aller
à Bayonne, laisser la lettre dans l'autobus qui allait
à Saint-Sébastien, et là quelqu'un la récupérait
et à nouveau devait copier tout le texte. Aujourd'hui,
on peut passer un texte d'un ordinateur à l'autre. Certains
pensent que le papier disparaîtra mais pour le moment il
me semble qu'on utilise beaucoup de papier.
-Avez-vous des projets
dans le domaine littéraire?
Oui, j'ai envoyé un livre à l'éditeur Susa.
Je ne sais pas quand il sortira, mais je n'ai pas trop le temps
d'y penser. C'est un roman en 40 épisodes, vu d'Iparralde.
Des sujets divers comme la nuit, la route, les sentiments intérieurs,
sont traités. C'est un sujet assez classique. J'ai passé
beaucoup temps à rédiger la fin du livre. En dehors
de mes heures de travail, j'écris tous les jours depuis
l'âge de 12 ans. Il faut beaucoup de temps pour bien écrire
mais je ne passe jamais huit heures en suivant à écrire.
D'autre part je travaille pour Seaska, la Poste et la littérature.
Photographies:
Euskaldunon Egunkaria
Euskonews & Media 84.zbk (2000
/ 6 / 23-30) |