La culture basque
dans les annees 1960-1970 en Labourd, Basse-Navarre et Soule * Traduction au français
de l´original en basque |
Manex Pagola |
Chaque fois qu'il faut aborder la culture en général
- et aussi lorsqu'il s'agit de culture locale - les éléments
qui la composent sont très variables. En premier lieu,
les aspects matériels, les techniques, les façons
de travailler, de vivre dans l'espace, bref tout ce qui conditionne
la production et en même temps tant d'autres éléments
influant sur la personne ou sur un groupe. Les aspects intellectuels
: l'esprit, la pensée, le langage, la science, les sentiments,
les croyances, les coutumes, les valeurs du moment etcS sont
toujours en évolution. Si on ne tient pas compte de tous
ces paramètres impossible de mesurer ou d'évaluer
une culture.
En effet, l'activité culturelle qui va de 1960 à
1970 a été très particulière et riche
dans les trois provinces d'Iparralde. En résumé,
on peut relever trois ou quatre phénomènes remarquables.
L'utilisation de nouveaux outils dans l'agriculture (tracteurs
et autres) comme dans l'industrie (nouvelles matières
premières et diversification du travail), l'importance
de la durée de la scolarité chez
les enfants et les jeunes, les enfants commencent à l'école
de plus en plus jeunes (l'introduction de l'unique langue française)
puis l'âge de la scolarité obligatoire est portée
de 14 à 16 ans. L'apparition de nouveaux moyens de communication
est aussi significative (radios, télévision, publicité
et autresS.ici encore exclusivement tout en français).
Petit à petit ils s'infiltrent et apportent une vision
extérieure du monde très contrastée jusqu'aux
fermes les plus éloignées.
Dans beaucoup de domaines, jusqu'en 1960 subsistaient en Iparralde
des habitudes et des idées du 19ème siècle,
à la manière des néocolonies, et ce par
manque de services publics de l'Etat français.
La culture vécue individuellement comme en groupe est
du type traditionnel, organisé autour de la vieille conception
de la "maison souche", ancrée dans des valeurs
traditionnelles et anciennes, impreignées de la rude religion
catholique, romaine, dictant ses normes à qui voulait
être bien vu surtout dans les campagnes.
La grande majorité de la population adulte parle d'instinct
couramment l'euskara, mais dans les petites villes des cantons
on l'entend de moins en moins, comme en Soule à Tardets,
à Mauléon, en Basse-Navarre à Saint-Palais
et à Saint-Jean Pied-de-Port, et en Labourd, à
Hasparren et encore moins dans les villes de la Côte basque,
à Bayonne, Anglet, Saint Jean-de-Luz, Hendaye.
D'autres facteurs ont aussi une influence importante, en ces
temps-là comme le développement d'un tourisme dit
populaire avec la construction de gites ruraux, près des
fermes, pour accueillir des touristes en été.
Quel choc ! ici encore quand on pense que jusque-là ces
gens là ne vivaient que des revenus de la terre. On peut
voir là comment l'apport de nouveaux revenus peut modifier
la façon de vivre, d'une vie tradionnelle simple, dure
et austère, menée en autarcie, et comment l'apparition
d'une nouvelle monnaie fait naître de nouvelles conceptions
induites par l'organisation de marchés plus larges. Mais
voilà que jaillissent des réactions audacieuses,
apparemment sans aucun rapport entre elles, et qui prennent tout
à coup le monde traditionnel basque comme pour réagir
aux grands vents venus de l'extérieur: Jean Errecart crée
une coopérative des paysans à Saint-Palais "Lur
Berri , Pierre Charritton met en marche le collège technique
Saint-Joseph à Hasparren, les pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz
vont chercher le thon jusqu'à Dakar, au Boucau les Hauts
Fourneaux sont remplacés par d'autres types d'entreprises
plus diversifiées comme Satec, Socadour, Fertiladour,
Bréguet, Turbomeca, et le renforcement de l'école
technique de Cantau à Anglet.
De même que le monde agricole a commencé à
évoluer, il semblerait que même l'industrie soit
entrée à présent dans une nouvelle ère,
celle d'une plus grande liquidité.
A présent, on a un peu oublié les blessures de
la Grande Guerre de 1914-1918 et les rigueurs de celle de 1939-1945.
L'état français a perdu la plupart de ses colonies
d'Afrique et d'Indochine mais s'affronte durement à la
révolte des colonisés d'Algérie et perd
ici encore de manière lamentable. Il semblerait que la
grandeur et la puissance de la France soient mises en doutes.
Au Pays Basque Sud comme dans tout l'Etat espagnol, le franquisme
sévit, le gouvernement basque est en exil. Heureusement
que des voix s'élèvent pour dénoncer tous
ces agissements, comme ces intellectuels, l'Eglise, et certaines
de ces informations parviennent jusqu'en Iparralde. Michel Labéguerie
crée un nouveau type de chant basque patriotique. Les
éditions Meyzenc à Bayonne, publient le disque
intitulé Gogor et sa longue et puissante contestations
"Non, je ne veux pas de cette civilisation". Le Concile
Vatican II se réunit, et pour lors en silence les pères
de Belloc, Iratzeder et le Lertxundi ont traduit en basque et
mis en musique les textes liturgiques les plus importants. Il
n'y a pas de doute que nous parvenons là sur le seuil
d'une nouvelle culture.
On ne peut non plus oublier la présence de Euskaltzaleen
Biltzarra, association prestigieuse mais qui semblait un peu
fatiguée. Il y a aussi Euskalzaindia, l'Académie
de la langue basque, ainsi qu'une petite association nommée
Ikas, née en 1957, qui essaie d'enseigner le basque dans
les écoles. Des groupes de danse basque tentent d'éveiller
le sentiment nationaliste basque, tel qu'Oldarra à Biarritz,
c'est aussi l'époque des groupes folkloriques Garaztarrak
à Saint-Jean-Pied-de-Port et Lapurtarrak à Ustaritz
et j'en oublie d'autres (Pardon !).
Dans un autre domaine, le théâtre
de Piarres Larzabal connaît un succès considérable
avec les troupes d'Hélette et de Hasparren Telesforo de
Monzon nous offre également ses fines ¦uvres ,
comme Menditarrak, Hazparenen AndereaS Marie Jeanne Malharin
et Marie Jeanne Minaberry réalisent de belles ¦uvres
avec les enfants des écoles à travers les chants
et le talent de Daniel Landart nous apporte un théâtre
bien engagé, sous le titre: "Bai ala ez", joué
au théâtre à Bayonne.
On joue encore beaucoup à la pelote dans les petits villages
mais le football et le rugby lui font de plus en plus concurrence.
En Soule, Pierre Bordazahar (Etxahun Iruri) renouvelle la pastorale,
en délaissant des sujets religieux pour des thèmes
historiques touchant notre pays. A Barcus, on jouera la pastorale
d'Etxahun (le fameux barde malheureux).
A Bayonne, Jean Haritschelhar est nommé directeur du Musée
Basque. Il relance la recherche des études basques avec
la publication du Bulletin des Amis du Musée Basque.
La volonté de ce renouveau nous est apportée par
l'hebdomadaire catholique Herria, tiré à plus de
trois mille exemplaires. De la même manière, Gazte,
organe de jeunesse basque (d'obédience catholique, se
fait l'écho du même courant de rénovation)
En ces temps de renouveau, apparaît une nouvelle vague
venant de la Côte, du Labourd, comme pour élever
d'un cran la nouvelle culture basque, politiquement, comme si
une voix de résistance voulait réveiller
ces espaces endormis. Le moment est venu en effet de faire le
bilan. Bien que la société en Iparralde ait évolué,
les fermes se vident, les habitants deviennent citadins (et automatiquement
francisés), perdant beaucoup de coutumes (religion, la
langue basque, etc..) Enbata est le nom de la nouvelle vague
où se passionneront tant de jeunes hommes et femmes. Ils
désirent faire voir la réalité blessée
du Pays Basque dans sa totalité. Y participent des hommes
et des femmes de professions différentes, mais cependant
encore assez démunis d'expérience politique.
Ce sont Pierre Larzabal, Michel Labéguerie, Ximun Haran,
Jean Etcheverry Ainchart, Michel Burucoa, Jeanne Idiart, Jean
Louis Davant, Marceline Arbelbide, et derrière tous ceux-ci
Telesforo de Monzon. (l'instigateur et le stimulateur le plus
ardent peut-être).
De là, bien vite s'ouvrira à Bayonne un secrétariat
basque assuré par des jeunes du Pays Basque Nord et Sud,
en relation avec des réfugiés tels que: Txillardegi,
Julen de Madariaga entre autres.
De même au grand séminaire de Bayonne, comme à
celui de Saint-Sébastien, des séminaristes s'engagent
dans la contestation en faveur du Pays Basque et n'étant
pas compris quittent le séminaire. Les éditions,
Goiztiri du livre et du disque sont en marche. En Iparralde aussi,
progressivement les chants basques sont entonnés de place
en place avec une guitare sous le bras.
Auparavant, des basques réfugiés su Sud avaient
essayé de créer une école en basque, à
leur niveau, puis des militants d'Enbata, s'engagent à
fonder une vraie école basque, l'ikastola, à Bayonne,
sous le nom de Seaska avec Argitxu Noblia, jeune parent d'élèves.
Puis l'ikastola s'installe à Biarritz, pour s'établir
de manière durable à Arcangues.
Par cette réalisation, la semence est jetée pour
faire jaillir les autres ikastolas mais on ne peut pas laisser
sous silence les difficultés dans lesquelles a débuté
l'action en faveur du fait basque. Peut-être à cause
du lien avec la politique, et concrètement avec le nationalisme
basque. Et ce n'est rien de décrire les pressions que
le système en place a exercées contre les abertzale
et leurs diverses entreprises en voulant assimiler tout cela
à de l'aventurisme. C'est précisèment alors
que se durcissent en Hegoalde la nouvelle résistance basque.
Et, qu'on le veuille ou non, les informations pas toujours les
meilleures parviennent en Iparralde.
On voit bien que la décennie 1960-1970 connaîtra
dans les provinces du Labourd, Basse Navarre et Soule, un mouvement
intense. Il a sans doute été précédé
pour cela en alliant le nouveau à l'ancien mais c'est
sans doute l'abertzalisme qui lui a insufflé un véritable
nouveau souffle. Mais, ce qu'il faut surtout relever, c'est que
pour progresser dans ce renouveau, Iparralde ne dispose de la
moindre Institution comme cela aurait dû être.
Manex Pagola,
directeur de le Musée Basque de Bayonne |
Euskonews
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