Des points de vue divers...
Le développement transfrontalier
du Pays basque fait s'exprimer de nombreux points de vue allant
de la construction nationale au simple développement territorial.Dans
cette situation, comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, deux
voies, non exclusives, sont possibles pour agir. L'une consiste
à situer le problème directement dans la rhétorique
politique pure. L'autre, organiser et développer des relations
transfrontalières concrètes en mettant en relation
la société civile des deux côtés de
la frontière.
Les liens entre la société
civile et le monde politique sont très complexes. Souvent
on considère les événements du monde politique
comme des mouvements de société, ce qui supposerait
que, d'une certaine façon, des décisions politiques
suffiraient pour faire changer la société ! Eh
bien non ! Cet aspect de "marquage du terrain"
au niveau politique est important bien sûr, mais n'est
pas suffisant. Et encore moins quand la problématique
n'est pas socialement assumée et que seule une tendance
minoritaire le proclame.
Agir
Sur le plan pratique, il est
socialement très important de faire progresser les expériences
transfrontalières, d'avancer avec des actions concrètes.
Non seulement dans le monde de la culture et de la langue basque,
mais aussi dans le domaine de l'économie, dans les relations
entre les entreprises, les syndicats, la santé, l'école,
la formation, les universités, les entreprises et les
universités, le jumelage entre villes et communes... En
résumé, et globalement, dans tous les domaines
où des relations transfrontalières font sens. Car
du point de vue historique, la frontière a laissé
des traces. Du point de vue culturel, la frontière a créé
et approfondi les différences dans les manières
de considérer le monde (la fameuse Weltanschauung).
Il faut voir cela d'une manière positive. Car le Pays
Basque, lui-aussi, doit se construire en tenant compte de toutes
ses différences. En résumé, la construction
du Pays Basque a besoin d'un minimum de complémentarité
et de "biodiversité". Car c'est quand
il y a des différences de potentiel que le courant passe
! Le pari est dans l'interactivité, non seulement en Pays
Basque, mais aussi pour celui-ci, dans une perspective d'ouverture
au monde entier.
Car si nous devons entrer dans
la société civile, notre projet doit être
concrétisé dans la "chair" de la société.
Autrement, comme souligné ci-dessus, il reste en suspens
dans l'espace du politique, abstrait, dans l'ordre du discours
mal perçu par les gens. Cette distance n'est-elle pas
une des racines de la profonde crise citoyenne que connaît
aujourd'hui l'Europe de l'Ouest ?
D'autre part, beaucoup d'habitants
du Pays Basque et en particulier ceux d'Iparralde, proches des
partis politiques français, ne sentent pas le besoin de
développer des relations transfrontalières dans
l'optique de la construction nationale basque, mais par contre
comme des relations normalisées entre frontaliers des
deux territoires. Par conséquent, le pari serait pour
nous qui nous positionnons dans la construction nationale, que
ces attitudes "réelles " deviennent concrètes,
nombreuses, plurielles, attractives et servent de modèle.
Les politiciens, tout au moins ceux qui sont favorables à
la construction nationale du Pays Basque, doivent se positionner
en aidant, en cautionnant tous ces processus, en leur donnant
une priorité importante. Ils seront là dans leur
rôle, actifs et proches de la population, travaillant concrètement
à la territorialité et à l'identité
du pays.
Notre pari sera alors de convaincre
ceux qui n 'ont pas les mêmes points de vue que nous. Nous
obtiendrons ce résultat par un travail commun, volontariste,
et par des expériences sociales concrètes.
Car aujourd'hui peu de gens assument
concrètement cette déclaration. Vu d'Iparralde,
on voit peu de gens d'Hegoalde prêts à collaborer
concrètement avec nous, car beaucoup de ceux qui travaillent
dans ces domaines font un investissement essentiellement politique.
Vu d'Iparralde beaucoup de politiques sont reçus comme
prêchant de façon nombriliste et incantatoire. En
ce moment où la politique du Pays basque est en train
d'évoluer positivement, il me paraît très
opportun d'apporter "du bois au feu". Bref c'est
une bonne occasion pour faire prendre du muscle à la société
civile dans ce mouvement de construction nationale.
En guise de conclusion...
De telles expériences,
même si elles sont peu nombreuses, et à vrai dire
très limitées, nous paraissent indispensables.
C'est un début. Nous n'avancerons pas si nous n'exploitons
pas les relations de proximité. Sans le principe du local
et du concret, nous n'avancerons pas. C'est donc concrètement
cela " la citoyenneté dans la construction nationale
basque" : dans la société qui est la nôtre,
telle qu'elle est, avec ses acteurs tels qu'ils sont, avancer
vers la concrétisation des projets. C'est ainsi que se
créeront des liens entre les basques des deux côtés
de la frontière. Sans faire ce travail, l'action politique
reste bien stérile. Elle reste une affaire de technocrates,
même s'ils se disent nationalistes.
L'idée que nous avons
est la suivante: développer des expériences transfrontalières
partout et dans tous les domaines, pour donner du corps et du
muscle à notre projet de construction nationale, en commençant
hic et nunc. La connaissance
réciproque est indispensable pour travailler ensemble
- priorité des priorités ! - pour nous inventer
un futur commun.
Jean Michel LARRASQUET, Maître
de conférences,
Faculté de Bayonne |