Carrefour de Pellegrinia

Dr. Clement Urrutibehety. Gure Herria. Urria-Octobre 1965

A l’entrée de Garris par la Départementale 11 de Bidache à Saint-Palais, la maison Pellegrinia retient l’attention des passants et des curieux. Son nom évoque les péregrins ou pèlerins de jadis, et le terme de pellegrino réservé seulement, selon Dante, aux pèlerins qui effectuaient le voyage de Saint-Jacques-de-Compostelle.

La maison est de vastes dimensions, comprenant trois corps de bâtiment . L’aile d’habitation au Nord avec façade à chevrons en bordure de route et son inscription. La porte d’entrée en plein cintre donne sur la cour et un escalier monumental conduit au premier étage et aux combles. L’aile du fond s’orne d’un cadran solaire du côté du Levant. Elle sert d’étable et devait être, m’assure-t-on, aménagée en dortoir. Au Sud, une aile remaniée communique avec la précédente à l’aide d’une passerelle en bois, elle fait office de grange et de dépendance.

Chacun des bâtiments porte une date, les deux premiers contemporains de l’année 1654, le troisième postérieur de quelques années de 1689.

Des retouches sont intervenues par la suite qui ont effacé les derniers vestiges de fortification, fermé les meurtrières et rasé la tour. Celle-ci est signalée par M. Berdeco dans sa monographie sur Garris, en même temps que la tour carrée toujours debout de la maison noble Urdos.

Quelques rares habitants nous ont transmis le souvenir des meurtrières.

Qui tenait cette maison forte et s’entourait ainsi de défenses ? Le rôle joué dans l’essor économique de la foire de Garris par Pellegrinia et ses chevaliers-hospitaliers ou moines-soldats a été justement souligné par cet auteur. Ils patrouillaient journellement sur les routes et assuraient la protection, le gîte et le couvert et les soins des voyageurs.

Pellegrinia était sans conteste un relais important sur la route de Dax à Pampelune, bien que nous ignorions à auprès tout de son histoire. La tradition a retenu la présence de chevaliers-hospitaliers sans préciser leur appartenance. Il doit s’agir des chevaliers de l’ordre de Malte. A défaut de texte, une indication archéologique peut nous guider et orienter notre choix : une tête sculptée de moine portant la croix de Malte et le collier de l’Ordre.

Nous l’avons observée sur le montant d’une cheminée transfuge de la région de Garris et secondairement implantée dans un immeuble de Saint-palais où elle préside nos veillées familiales . La qualité de la pierre à grain jaunâtre dénote, à dire de maçon, une extraction du voisinage. En avant du corbeau de la cheminée sur le montant gauche, se détache en ronde bosse une tête stylisée de Basque aux oreilles minuscules, coiffé d’un béret à pointe rigide, surmontant une simple croix latine.

On voit sur l’autre montant une croix de Malte au-dessus d’une tête joufflue au masque vieillot, que nous avons longtemps considéré comme le masque d’une bonne femme sous sa coiffe. La coiffe est en réalité une calotte, et les traits ceux d’un moine.

La croix de Malte a été fréquemment utilisée comme motif de décoration sur les tombes discoïdales. Mais ici le sculpteur a différencié croix latine et croix de Malte suivant le personnage, réservant celle-ci à la dignité de l’un et permettant ainsi l’identification certaine d’un chevalier. Le collier de l’Ordre complète du reste ces attributs : suspendus aux bras de la croix supérieure, de gros grains entourent le visage et se terminent en sautoir au-devant du cou sur la croix de malte inférieure.

On peut discuter des rapports ce de ce moine avec Pellegrinia. L’influence des prieurés-hôpitaux limitrophes de Garris, ceux de Luxe et de Saint-palais, ne peut être retenue, tous deux placés sous la direction du curé de la paroisse qui en était en même temps le prieur. Quelques kilomètres plus loin, l’hôpital d’Amorots pourrait être invoqué car il dépendait de la commanderie d’Irissarry et partant des chevaliers de Malte. Nous pensons laisser à Garris et à ses chevaliers le bénéfice du voisinage et la présomption d’origine de la pierre.

Ces scupltures qui ne semblent pas postérieures à la première moitié du XVII° siècle témoignent de la présence indubitable des chevaliers de Malte et d’une inspiration artisanale puisée à même leur rang, suffisamment rare pour être signalée.

INSCRIPTION DE PELLEGRINIA

L’inscription de Pellegrinia nous renseigne-t-elle sur ses occupants ? Elle est gravée sur latranche en saillie du mur extérieur à hauteur du premier étage de l’aile de l’habitation :

G.D. PELEGRI ETGNE—DARA MONBER 1654

Gratia Dei Pelegri Etgne d’Aramon Ber 1654

(Par la grâce de Dieu Maison Pelegrin de Raymond Ber 1654)

La graphie Pelegri etgne pour pelegri etche peut être considéré comme une forme de passason de Pelegrin , est ge entre pelegri etche et pelegriene. Pelegrienea, la maison appelée courramment Pelegrinia ou Pellegrinia. Le suffixe ene n’a pas un sens locatif ou possessif, comme on l’a écrit parfois, mais représente une contraction d’etche dont il dérive pour désigner la maison.

La date de 1654 est reproduite sur le bâtiment au fond de la cour, et rappelle une réfection à peu près totale de Pellegrinia à cette époque. L’auteur de cette réfection est un nommé Raymond Ber, patronyme retrouvé au XVIII°siècle sur une liste d’habitants, Gratien Bert maréchal-ferrant vers 1730 et qui se perpétue de nos jours à Garris.

Est-ce l’artisan qui s’est manifesté sur son ouvrage, ou bien le proriétaire quis’est déclaré sur sa maison ? Leds inscriptions lapidaires duPays Basque nous ont habitués à la mention des maîtres de maison dans une région out toute l’organisation sociale, jurique et politique, reposait sur la maison, sur la personnalité de la maison, sur la vocation de maître subordonné à la maison et finalement souvent confondu avec elle.

Mais Raymond Ber doit être l’artisan restaurateur de Pellegrinia en 1654. Un changement est intervenu à la tête de l’établissement et dans son orientation au cours du XVII° siècle. L’éclipse du relais de pèlerins doit être alors complète. Nous touchons en plein XVII° siècle, comme à regret, au terme de l’histoire jacobite de Pellegrinia . L’inscription se tait sur les moines-hospitaliers quoi ont pris définitivement congé, car il ne s’agit plus de la maison des pèlerins, mais de maison Pelegrin.

SIEUR DE PELEGRIN, DEPUTE DE GARRIS

On trouve dès 1669 l’existence d’un sieur Pelegrin marchant de Garris. Le numéro 15 du recueil des règlements des Etats de Navarre, relatif aux droits de foraine, s’exprime ainsi :

« par règlement du 28 juillet 1669 accordé par Monsieur le Comte de Guiche à la réquisition des Estats, il est ordonné que la patente du Roy Henry quatriesme portant exemption des foraines en faveur des régnicoles sera exécutée et en conséquence le nommé Monic commis à la foraine d’Oloron condamné à rendre et restituer par corps au Sr Pelegrin marchand de Garris les sommes qu’il luy a fait payer pour marchandise qu’il faisait passer pour la Navarre dans la d. ville d’Oloron ».

Un document officiel nous apprend que trente ans après, en 1684, un sieur de Pelegrin, député de la ville de Garris, siégeait aux Etats de Navarre. Un litige s’était élevé entre ceux-ci et le Parlement de Pau qui refusait d’enregistrer et de publier le cahier des Etats de l’année 1682 avant d’avoir reçu entre ses mains le serment de fidélité du nouveau syndic des Etats, noble Jean de Caro, avocat au Parlement.

Cette prétention, les Etats de Navarre la jugeaient contraire aux privilèges du Royaume. Leur syndic, estimaient-ils, ne pouvait être obligé à prêter serment devant la Cour ; il devait jouir de ses prérogatives, être reçu à la Cour et intervenir dans toutes les affaires, sans serment préalable.

Le 8 août 1683, dans le château de Saint-Palais qui n’était autre que la gendarmerie actuelle, ancienne maison commune de la ville et siège de la Sénéchaussée de Navarre, après les derniersoffices, l’assemblée des Etats confirme la nomination du syndic et délègue M. de Belsunce en ambassade auprès des membres de la Cour.

Le rapport de M. de Belsunce aux Etats de 1684 précise que le Parlement a écrit au Roi sur cette affaire, et que sa Majesté en a saisi M. de Foucaut, Intendant. Il conviendrait, ajoute le rapporteur, de fournir des preuves de l’usage en la matière des Etats de Haute-Navarre aussi bien que d’autres pays d’Etat.

Le sieur de Pelegrin et le syndic sont chargés de cette mission : « Les Etats ont délibéré que le sieur de Pelegrin, député de Garris, sera prié pour avoir les dits certificats, et qu’à cet effet le syndic écrira aux officiers des Etats de Languedoc et au conseil souverain de la Haute-Navarre, et tâchera aussi d’avoir l’attestation du Parlement de Toulouse, et que les frais pour le recouvrement de ces attestations leur seront remboursés par le général, et que ces attestations seront remises entre les mains de M. de Belsunce pour conjointement avec le syndic poursuivre le jugement par devant le Seigneur de Foucaut. »

Le sieur de Pelegrin faisait partie du troisième groupe de l’assemblée , du tiers-état. La ville de Garris avait le privilège d’élire deux députés dans ce corps, au même titre que Saint-palais, Larceveau, Saint-Jean-Pied-de-Port et Labastide-Clairence, les autres membres du tiers-état provenant des différents parsans (pays ou vallées) de Mixe, Ostabarret, Cize, Baïgorry, Ossès et de l’entité constituée par Iholdy-Armendaritz-Irissarry.

A ce titre le député de Garris était l’ élu des jurats et des maîtres de maison de la localité.

L’appellation de Pelegrin souligne le lien du député avec sa maison, et non une quelconque appartenance nobiliaire ; Malgré sa tour, Pellegrinia n’était pas une maison noble et ne donnait pas droit d’entrée aux Etats dans les rangs de la noblesse.

C’est probablement à ce Pelegrin que nous devons la construction de l’aile Sud qui porte, nous l’avons vu, la date de 1689.

Un hiatus de trente ans sépare ce sieur de Pelegrin de Raymond Ber ; De l’ancienne maison des pèlerins il est resté un toponyme et issu de lui, un patronyme.

Cette identification se fera totale au XIX° siècle, par suppression et disparition de la préposition de indiquant l’origine et la subordination. Les archives paroissiales de Garris en effet, bien que fort lacunaires, certifient le décès d’un Guillaume Pelegrin survenu dans la maison du même nom le 14 septembre 1815 : »…. Ai inhumé le corps de Guillaume Pelegrin, avocat et rentier du présent lieu, décédé dans la maison de ce nom, après avoir reçu les Saint Sacrements hier quatorze du même mois et an que dessus, âgé d’environ soixante-dix ans. Témoins J. Bte Loustalot régent et Jn Pierre Larraincy huissier qui ont cy signé. Barbaste prêtre curé de la ville de Garris et ses annexes » (Luxe et Oneix).

Nous ne connaissons pas de descendance Pelegrin à Garris.

CARREFOUR DE PELEGRINIA

L’inventaire de Pellegrinia n’est pas pour autant achevé, ses réserves topographiques sont intactes. Il suffit de remembrer les éléments épars sur le terrain pour voir l’établissement resurgir dans le cadre vivant qui était le sien à la croisée des chemins.

Face à la maison et en surplomb de l’autre côté de la route, un enclos dessine un carré de 35 m de côté environ, que nous désignerons faute de mieux sous le nom de quadrilatère de Pellegrinia. A l’intérieur du mur d’enceinte, une vigne et dans l’angle Sud-Est une laiterie, telles sont les indications du vieux plan cadastral ; si l’on y ajoute la mémoire de gloriettes aux autres angles, c’ est tout ce qui nous a été donné de recueillir dans un lieu où nous étions disposé à trouver les traces de la chapelle et du cimetière de Pellegrinia, suivant une disposition du pèlerinage maintes fois rencontrée, où chapelle et hôpital se font face de part et d’autre de la route ; Mais loin sont les chevaliers, et demeure un problème de fouille.

Le quadrilatère a le privilège de commander sept chemins, en rapport avec lui et orientés par rapport à lui, et puiqu’il faut être précis, au Nord la Départemantale 11 de Bidache à Saint-palais, et le tronc commun au départ vers Labets et vers Gabat ; à l’Est le chemin d’Amendeuix et celui d’Oneix ; au Sud le prolongement de la départementale à l’intérieur de l’agglomération et un chemin parallèle derrière les maisons ; à l’Ouest enfin le chemin de Luxe.

Le plan cadastral confirme cet aperçu dont les éléments se retrouvent dans la carte d’Etat-major, dans la carte détaillée de Roussel-Lablotière ou dans la photographie aérienne de l’Institut Géographique National.

Tout le réseau du quadrilatère est ancien et contemporain pour l’ensemble du Moyen-Age, sans préjudice d’antériorité d’une partie du réseau. Tel qu’il est, il irradiait vers les communes environnantes, mais son rôle et son ambition allaient au-delà. Ce n’est pas au hasard mais à la conjonction des chemins, que l’on doit l’implantation ici d’un ordre de chevalerie. La route au Moyen-Age avait déjà ses victimes, et sans renchérir et son insécurité, il convient d’observer le choix d’une position par ceux qui en assuraient la surveillance.

Le réseau s’est disloqué depuis, les voies dispersées à plus ou moins grande distance du quadrilatère sur la Départementale de Bidache à Saint-Palais et que restitue la carte Michelin.

Pellegrinia n’est plus desservi que par la Départementale 11, encore qu’une liaison ancienne reliait Garris à Arraute et à Came. C’est ce tronçon d’Arraute à Garris que mentionne la carte Cassini, à l’exclusion des autres. Sans doute la grande voie de pénétration de Dax en Espagne avait-elle perdu de l’intérêt au XVIII° siècle, ce qui n’est pas pour surprendre après ce que nous savons de l’abandon de Pellegrinia en tant que relais et de sa reconversion au XVII° siècle.

Qu’est devenue la liaison ancienne de Dax à Pampelune, voie de prédilection des voyageurs et des pèlerins, des messagers et des soldats, entre l’Aquitaine et la Navarre, telle que la connaissaient les envoyés de Charles le Mauvais au XIV° siècle, quand ils faisaient étape successivement à Ronceveaux, à Ostabat, à Garris et à Sorde.

Elle est fixée dans le quadrilatère dans le prolongement de la grand’rue de Garris, à partir de la croix processionnelle qui la désigne entre toutes au débouché sur la Départementale, à quelque 70 mètres de Pellegrinia.

Elle quittait Labets en franchissant à gué le ruisseau de Camito, aux confins des communes de Labets, de Sumberraute et d’Amendeuix,. Le chemin monte à la sortie dugué en direction de Garis, il passe à la limite des communes de Labets et de Sumberraute, puis se perd au milieu des deux communes. Une maison seulement agrémente le paysage, la maisonnoble Landaçahar ou Lannevielle d’Amendeuix.

Il disparaît à la limite de Sumberraute et de Garris et reparaît quelque 250 à 350m avant Pellegrinia pour figurer en bonne place au carrefour et rappeler l’important itinéraire de Dax.

Un autre itinéraire, celui de Bayonne, prenait position sur le quadrilatère. C’est le chemin qui descend vers Luxe entre l’enclos de Pellegrinia et la maison de torchis Brindarienea en train de s’effriter. Il débouchait anciennement entre les maisons Brindarienea et Atsakourtoenia. Il se perd maintenant, se prend en fourré, hors d’usage et hors du temps, comme ses acolytes du quadrilatère et ce qui est un sentier à peine avouable constituait la liaison directe entre Bayonne et Saint-Palais, par Labastide-Clairence, Orègue, Succos, Béguios, Luxe, le carrefour de Pellegrinia et Oneix.

Cet itinéraire est porté sur l’Atlas géographique de Jaillot qui rend compte de la sitaution du réseau routier au XVII° siècle. Ce document comble sur ce point les lacunes de la carte de Cassini, mais omet également l’élément essentiel du quadrilatère, la route de Dax à Pampelune.

Il y a place, à côté du réseau reproduit sur carte, pour un réseau réel, tel qu’il s’inscrivait dans le concret avec les points d’implantation de ses relais, de ses commanderies, de ses prieurés et de ses hôpitaux, de ses ponts et de ses gués, de ses chapelles et de ses croix processionnelles, tel qu’il s’inscrivait dans le tracé des limites de communes.

C’est ainsi qu’un autre itinéraire jacobite indiscutable et de premier plan entre le pont d’Orthez, l’Hôpital d’Orion, Sauveterre et Saint-Palais est omis dans l’Atlas de Jaillot .Ces réserves faites, l’intérêt de ce document est irremplaçable pour l’étude des itinéraires en Basse-Navarre. Il nous a permis de confronter les données de l’observation au carrefour de Pellegrinia à propos du chemin de Luxe, et de vérifier sa concordance avec l’itinéraire de Bayonne. De même à l’occasion de confrontations ultérieures viendra-t-il appuyer l’existence d’autres tracés au XVII° siècle à partir de Navarrenx, comme la route royale de Navarre, tracé certainement ancien, puisque le réseau basque n’a guère subi de modification avant le XIII° siècle.

TRAVERSEE DE GARRIS

La situation de Pellegrinia à l’extrémité du village, au bout de sa grand’rue, est significative pour l’accueil des pèlerins et des voyageurs . Depuis Pellegrinia jusqu’à l’auberge à l’enseigne du Cheval Blanc, les vieilles maisons s’alignent tout au long de cet axe unique sans troubler le plan primitif et les dispositions essentielles du Moyen-Age. Du château, ancienne possession des rois de Navarre et défense avancée de Charles Le Mauvais, bâtiment carré sans caractère, transformé en mairie-école, rien de n otable ne subsiste en dehor sd’un puissant contrefort au Nord, de murs épais dépasant 1,50 m, et de deux meurtrières visibles à l’intérieur des combles. A ses pied se développe le terre-plain où se tenaient les assemblées communautaires du Pays de Mixe.

 


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