A lentrée de Garris
par la Départementale 11 de Bidache à Saint-Palais,
la maison Pellegrinia retient lattention des passants et
des curieux. Son nom évoque les péregrins ou pèlerins
de jadis, et le terme de pellegrino réservé
seulement, selon Dante, aux pèlerins qui effectuaient
le voyage de Saint-Jacques-de-Compostelle.
La maison est de vastes dimensions,
comprenant trois corps de bâtiment . Laile dhabitation
au Nord avec façade à chevrons en bordure de route
et son inscription. La porte dentrée en plein cintre
donne sur la cour et un escalier monumental conduit au premier
étage et aux combles. Laile du fond sorne
dun cadran solaire du côté du Levant. Elle
sert détable et devait être, massure-t-on,
aménagée en dortoir. Au Sud, une aile remaniée
communique avec la précédente à laide
dune passerelle en bois, elle fait office de grange et
de dépendance.
Chacun des bâtiments porte
une date, les deux premiers contemporains de lannée
1654, le troisième postérieur de quelques années
de 1689.
Des retouches sont intervenues
par la suite qui ont effacé les derniers vestiges de fortification,
fermé les meurtrières et rasé la tour. Celle-ci
est signalée par M. Berdeco dans sa monographie sur Garris,
en même temps que la tour carrée toujours debout
de la maison noble Urdos.
Quelques rares habitants nous
ont transmis le souvenir des meurtrières.
Qui tenait cette maison forte
et sentourait ainsi de défenses ? Le rôle
joué dans lessor économique de la foire de
Garris par Pellegrinia et ses chevaliers-hospitaliers ou moines-soldats
a été justement souligné par cet auteur.
Ils patrouillaient journellement sur les routes et assuraient
la protection, le gîte et le couvert et les soins des voyageurs.
Pellegrinia était sans
conteste un relais important sur la route de Dax à Pampelune,
bien que nous ignorions à auprès tout de son histoire.
La tradition a retenu la présence de chevaliers-hospitaliers
sans préciser leur appartenance. Il doit sagir des
chevaliers de lordre de Malte. A défaut de texte,
une indication archéologique peut nous guider et orienter
notre choix : une tête sculptée de moine portant
la croix de Malte et le collier de lOrdre.
Nous lavons observée
sur le montant dune cheminée transfuge de la région
de Garris et secondairement implantée dans un immeuble
de Saint-palais où elle préside nos veillées
familiales . La qualité de la pierre à grain
jaunâtre dénote, à dire de maçon,
une extraction du voisinage. En avant du corbeau de la cheminée
sur le montant gauche, se détache en ronde bosse une tête
stylisée de Basque aux oreilles minuscules, coiffé
dun béret à pointe rigide, surmontant une
simple croix latine.
On voit sur lautre montant
une croix de Malte au-dessus dune tête joufflue au
masque vieillot, que nous avons longtemps considéré
comme le masque dune bonne femme sous sa coiffe. La coiffe
est en réalité une calotte, et les traits ceux
dun moine.
La croix de Malte a été
fréquemment utilisée comme motif de décoration
sur les tombes discoïdales. Mais ici le sculpteur a différencié
croix latine et croix de Malte suivant le personnage, réservant
celle-ci à la dignité de lun et permettant
ainsi lidentification certaine dun chevalier. Le
collier de lOrdre complète du reste ces attributs :
suspendus aux bras de la croix supérieure, de gros grains
entourent le visage et se terminent en sautoir au-devant du cou
sur la croix de malte inférieure.
On peut discuter des rapports
ce de ce moine avec Pellegrinia. Linfluence des prieurés-hôpitaux
limitrophes de Garris, ceux de Luxe et de Saint-palais, ne peut
être retenue, tous deux placés sous la direction
du curé de la paroisse qui en était en même
temps le prieur. Quelques kilomètres plus loin, lhôpital
dAmorots pourrait être invoqué car il dépendait
de la commanderie dIrissarry et partant des chevaliers
de Malte. Nous pensons laisser à Garris et à ses
chevaliers le bénéfice du voisinage et la présomption
dorigine de la pierre.
Ces scupltures qui ne semblent
pas postérieures à la première moitié
du XVII° siècle témoignent de la présence
indubitable des chevaliers de Malte et dune inspiration
artisanale puisée à même leur rang, suffisamment
rare pour être signalée.
INSCRIPTION DE PELLEGRINIA
Linscription de Pellegrinia
nous renseigne-t-elle sur ses occupants ? Elle est gravée
sur latranche en saillie du mur extérieur à hauteur
du premier étage de laile de lhabitation :
G.D. PELEGRI ETGNEDARA
MONBER 1654
Gratia Dei Pelegri Etgne
dAramon Ber 1654
(Par la grâce de
Dieu Maison Pelegrin de Raymond Ber 1654)
La graphie Pelegri etgne
pour pelegri etche peut être considéré comme
une forme de passason de Pelegrin , est ge entre pelegri etche
et pelegriene. Pelegrienea, la maison appelée courramment
Pelegrinia ou Pellegrinia. Le suffixe ene na pas
un sens locatif ou possessif, comme on la écrit
parfois, mais représente une contraction detche
dont il dérive pour désigner la maison.
La date de 1654 est reproduite
sur le bâtiment au fond de la cour, et rappelle une réfection
à peu près totale de Pellegrinia à cette
époque. Lauteur de cette réfection est un
nommé Raymond Ber, patronyme retrouvé au XVIII°siècle
sur une liste dhabitants, Gratien Bert maréchal-ferrant
vers 1730 et qui se perpétue de nos jours à Garris.
Est-ce lartisan qui sest
manifesté sur son ouvrage, ou bien le proriétaire
quisest déclaré sur sa maison ? Leds
inscriptions lapidaires duPays Basque nous ont habitués
à la mention des maîtres de maison dans une région
out toute lorganisation sociale, jurique et politique,
reposait sur la maison, sur la personnalité de la maison,
sur la vocation de maître subordonné à la
maison et finalement souvent confondu avec elle.
Mais Raymond Ber doit être
lartisan restaurateur de Pellegrinia en 1654. Un changement
est intervenu à la tête de létablissement
et dans son orientation au cours du XVII° siècle.
Léclipse du relais de pèlerins doit être
alors complète. Nous touchons en plein XVII° siècle,
comme à regret, au terme de lhistoire jacobite de
Pellegrinia . Linscription se tait sur les moines-hospitaliers
quoi ont pris définitivement congé, car il ne sagit
plus de la maison des pèlerins, mais de maison Pelegrin.
SIEUR DE PELEGRIN,
DEPUTE DE GARRIS
On trouve dès 1669 lexistence
dun sieur Pelegrin marchant de Garris. Le numéro
15 du recueil des règlements des Etats de Navarre, relatif
aux droits de foraine, sexprime ainsi :
« par règlement
du 28 juillet 1669 accordé par Monsieur le Comte de Guiche
à la réquisition des Estats, il est ordonné
que la patente du Roy Henry quatriesme portant exemption des
foraines en faveur des régnicoles sera exécutée
et en conséquence le nommé Monic commis à
la foraine dOloron condamné à rendre et restituer
par corps au Sr Pelegrin marchand de Garris les sommes quil
luy a fait payer pour marchandise quil faisait passer pour
la Navarre dans la d. ville dOloron ».
Un document officiel nous apprend
que trente ans après, en 1684, un sieur de Pelegrin, député
de la ville de Garris, siégeait aux Etats de Navarre.
Un litige sétait élevé entre ceux-ci
et le Parlement de Pau qui refusait denregistrer et de
publier le cahier des Etats de lannée 1682 avant
davoir reçu entre ses mains le serment de fidélité
du nouveau syndic des Etats, noble Jean de Caro, avocat au Parlement.
Cette prétention, les
Etats de Navarre la jugeaient contraire aux privilèges
du Royaume. Leur syndic, estimaient-ils, ne pouvait être
obligé à prêter serment devant la Cour ;
il devait jouir de ses prérogatives, être reçu
à la Cour et intervenir dans toutes les affaires, sans
serment préalable.
Le 8 août 1683, dans le
château de Saint-Palais qui nétait autre que
la gendarmerie actuelle, ancienne maison commune de la ville
et siège de la Sénéchaussée de Navarre,
après les derniersoffices, lassemblée des
Etats confirme la nomination du syndic et délègue
M. de Belsunce en ambassade auprès des membres de la Cour.
Le rapport de M. de Belsunce
aux Etats de 1684 précise que le Parlement a écrit
au Roi sur cette affaire, et que sa Majesté en a saisi
M. de Foucaut, Intendant. Il conviendrait, ajoute le rapporteur,
de fournir des preuves de lusage en la matière des
Etats de Haute-Navarre aussi bien que dautres pays dEtat.
Le sieur de Pelegrin et le syndic
sont chargés de cette mission : « Les
Etats ont délibéré que le sieur de Pelegrin,
député de Garris, sera prié pour avoir les
dits certificats, et quà cet effet le syndic écrira
aux officiers des Etats de Languedoc et au conseil souverain
de la Haute-Navarre, et tâchera aussi davoir lattestation
du Parlement de Toulouse, et que les frais pour le recouvrement
de ces attestations leur seront remboursés par le général,
et que ces attestations seront remises entre les mains de M.
de Belsunce pour conjointement avec le syndic poursuivre le jugement
par devant le Seigneur de Foucaut. »
Le sieur de Pelegrin faisait
partie du troisième groupe de lassemblée
, du tiers-état. La ville de Garris avait le privilège
délire deux députés dans ce corps,
au même titre que Saint-palais, Larceveau, Saint-Jean-Pied-de-Port
et Labastide-Clairence, les autres membres du tiers-état
provenant des différents parsans (pays ou vallées)
de Mixe, Ostabarret, Cize, Baïgorry, Ossès et de
lentité constituée par Iholdy-Armendaritz-Irissarry.
A ce titre le député
de Garris était l élu des jurats et
des maîtres de maison de la localité.
Lappellation de Pelegrin
souligne le lien du député avec sa maison, et non
une quelconque appartenance nobiliaire ; Malgré sa
tour, Pellegrinia nétait pas une maison noble et
ne donnait pas droit dentrée aux Etats dans les
rangs de la noblesse.
Cest probablement à
ce Pelegrin que nous devons la construction de laile Sud
qui porte, nous lavons vu, la date de 1689.
Un hiatus de trente ans sépare
ce sieur de Pelegrin de Raymond Ber ; De lancienne
maison des pèlerins il est resté un toponyme et
issu de lui, un patronyme.
Cette identification se fera
totale au XIX° siècle, par suppression et disparition
de la préposition de indiquant lorigine et la subordination.
Les archives paroissiales de Garris en effet, bien que fort lacunaires,
certifient le décès dun Guillaume Pelegrin
survenu dans la maison du même nom le 14 septembre 1815 : »
.
Ai inhumé le corps de Guillaume Pelegrin, avocat et rentier
du présent lieu, décédé dans la maison
de ce nom, après avoir reçu les Saint Sacrements
hier quatorze du même mois et an que dessus, âgé
denviron soixante-dix ans. Témoins J. Bte Loustalot
régent et Jn Pierre Larraincy huissier qui ont cy signé.
Barbaste prêtre curé de la ville de Garris et ses
annexes » (Luxe et Oneix).
Nous ne connaissons pas de descendance
Pelegrin à Garris.
CARREFOUR DE PELEGRINIA
Linventaire de Pellegrinia
nest pas pour autant achevé, ses réserves
topographiques sont intactes. Il suffit de remembrer les éléments
épars sur le terrain pour voir létablissement
resurgir dans le cadre vivant qui était le sien à
la croisée des chemins.
Face à la maison et en
surplomb de lautre côté de la route, un enclos
dessine un carré de 35 m de côté environ,
que nous désignerons faute de mieux sous le nom de quadrilatère
de Pellegrinia. A lintérieur du mur denceinte,
une vigne et dans langle Sud-Est une laiterie, telles sont
les indications du vieux plan cadastral ; si lon y
ajoute la mémoire de gloriettes aux autres angles, c est
tout ce qui nous a été donné de recueillir
dans un lieu où nous étions disposé à
trouver les traces de la chapelle et du cimetière de Pellegrinia,
suivant une disposition du pèlerinage maintes fois rencontrée,
où chapelle et hôpital se font face de part et dautre
de la route ; Mais loin sont les chevaliers, et demeure
un problème de fouille.
Le quadrilatère a le privilège
de commander sept chemins, en rapport avec lui et orientés
par rapport à lui, et puiquil faut être précis,
au Nord la Départemantale 11 de Bidache à Saint-palais,
et le tronc commun au départ vers Labets et vers Gabat ;
à lEst le chemin dAmendeuix et celui dOneix ;
au Sud le prolongement de la départementale à lintérieur
de lagglomération et un chemin parallèle
derrière les maisons ; à lOuest enfin
le chemin de Luxe.
Le plan cadastral confirme cet
aperçu dont les éléments se retrouvent dans
la carte dEtat-major, dans la carte détaillée
de Roussel-Lablotière ou dans la photographie aérienne
de lInstitut Géographique National.
Tout le réseau du quadrilatère
est ancien et contemporain pour lensemble du Moyen-Age,
sans préjudice dantériorité dune
partie du réseau. Tel quil est, il irradiait vers
les communes environnantes, mais son rôle et son ambition
allaient au-delà. Ce nest pas au hasard mais à
la conjonction des chemins, que lon doit limplantation
ici dun ordre de chevalerie. La route au Moyen-Age avait
déjà ses victimes, et sans renchérir et
son insécurité, il convient dobserver le
choix dune position par ceux qui en assuraient la surveillance.
Le réseau sest disloqué
depuis, les voies dispersées à plus ou moins grande
distance du quadrilatère sur la Départementale
de Bidache à Saint-Palais et que restitue la carte Michelin.
Pellegrinia nest plus desservi
que par la Départementale 11, encore quune liaison
ancienne reliait Garris à Arraute et à Came. Cest
ce tronçon dArraute à Garris que mentionne
la carte Cassini, à lexclusion des autres. Sans
doute la grande voie de pénétration de Dax en Espagne
avait-elle perdu de lintérêt au XVIII°
siècle, ce qui nest pas pour surprendre après
ce que nous savons de labandon de Pellegrinia en tant que
relais et de sa reconversion au XVII° siècle.
Quest devenue la liaison
ancienne de Dax à Pampelune, voie de prédilection
des voyageurs et des pèlerins, des messagers et des soldats,
entre lAquitaine et la Navarre, telle que la connaissaient
les envoyés de Charles le Mauvais au XIV° siècle,
quand ils faisaient étape successivement à Ronceveaux,
à Ostabat, à Garris et à Sorde.
Elle est fixée dans le
quadrilatère dans le prolongement de la grandrue
de Garris, à partir de la croix processionnelle qui la
désigne entre toutes au débouché sur la
Départementale, à quelque 70 mètres de Pellegrinia.
Elle quittait Labets en franchissant
à gué le ruisseau de Camito, aux confins des communes
de Labets, de Sumberraute et dAmendeuix,. Le chemin monte
à la sortie dugué en direction de Garis, il passe
à la limite des communes de Labets et de Sumberraute,
puis se perd au milieu des deux communes. Une maison seulement
agrémente le paysage, la maisonnoble Landaçahar
ou Lannevielle dAmendeuix.
Il disparaît à la
limite de Sumberraute et de Garris et reparaît quelque
250 à 350m avant Pellegrinia pour figurer en bonne place
au carrefour et rappeler limportant itinéraire de
Dax.
Un autre itinéraire, celui
de Bayonne, prenait position sur le quadrilatère. Cest
le chemin qui descend vers Luxe entre lenclos de Pellegrinia
et la maison de torchis Brindarienea en train de seffriter.
Il débouchait anciennement entre les maisons Brindarienea
et Atsakourtoenia. Il se perd maintenant, se prend en fourré,
hors dusage et hors du temps, comme ses acolytes du quadrilatère
et ce qui est un sentier à peine avouable constituait
la liaison directe entre Bayonne et Saint-Palais, par Labastide-Clairence,
Orègue, Succos, Béguios, Luxe, le carrefour de
Pellegrinia et Oneix.
Cet itinéraire est porté
sur lAtlas géographique de Jaillot qui rend compte
de la sitaution du réseau routier au XVII° siècle.
Ce document comble sur ce point les lacunes de la carte de Cassini,
mais omet également lélément essentiel
du quadrilatère, la route de Dax à Pampelune.
Il y a place, à côté
du réseau reproduit sur carte, pour un réseau réel,
tel quil sinscrivait dans le concret avec les points
dimplantation de ses relais, de ses commanderies, de ses
prieurés et de ses hôpitaux, de ses ponts et de
ses gués, de ses chapelles et de ses croix processionnelles,
tel quil sinscrivait dans le tracé des limites
de communes.
Cest ainsi quun autre
itinéraire jacobite indiscutable et de premier plan entre
le pont dOrthez, lHôpital dOrion, Sauveterre
et Saint-Palais est omis dans lAtlas de Jaillot .Ces
réserves faites, lintérêt de ce document
est irremplaçable pour létude des itinéraires
en Basse-Navarre. Il nous a permis de confronter les données
de lobservation au carrefour de Pellegrinia à propos
du chemin de Luxe, et de vérifier sa concordance avec
litinéraire de Bayonne. De même à loccasion
de confrontations ultérieures viendra-t-il appuyer lexistence
dautres tracés au XVII° siècle à
partir de Navarrenx, comme la route royale de Navarre, tracé
certainement ancien, puisque le réseau basque na
guère subi de modification avant le XIII° siècle.
TRAVERSEE DE GARRIS
La situation de Pellegrinia à
lextrémité du village, au bout de sa grandrue,
est significative pour laccueil des pèlerins et
des voyageurs . Depuis Pellegrinia jusquà lauberge
à lenseigne du Cheval Blanc, les vieilles maisons
salignent tout au long de cet axe unique sans troubler
le plan primitif et les dispositions essentielles du Moyen-Age.
Du château, ancienne possession des rois de Navarre et
défense avancée de Charles Le Mauvais, bâtiment
carré sans caractère, transformé en mairie-école,
rien de n otable ne subsiste en dehor sdun puissant contrefort
au Nord, de murs épais dépasant 1,50 m, et de deux
meurtrières visibles à lintérieur
des combles. A ses pied se développe le terre-plain où
se tenaient les assemblées communautaires du Pays de Mixe. |