Dans une Europe en pleine mue, les Etats-nations, constructions artificielles,
semblent aujourd'hui dépassés. Les revendications identitaires
des minorités sont universelles. Pour éviter toute homogénéisation
culturelle, chaque peuple doit prendre conscience de sa réalité
et, pour cela, connaître son passé et retrouver son identité
qu'il doit conserver tout en s'adaptant à la société
moderne. Or, le peuple basque, plus que tout autre, possède des caractères
propres qu'il a préservés tout au long de son histoire, du
moins en Iparralde jusqu'à la Révolution de 1789.
Son système juridique, qui servait de fondement à son organisation
sociale, ne fut pas influencé par le Droit romain qui, partout ailleurs
en Europe occidentale, modifia profondément la tradition juridique
populaire. Conçu par et pour une population rurale, il a été
élaboré à partir des maisons auxquelles s'identifiaient
les familles et qui, comme elles, se perpétuaient à travers
les siècles, donnant à la société basque une
grande stabilité.
A chaque génération, chaque maison était représentée
par un couple de gestionnaires qui devait la transmettre avec ses appartenances
et dépendances, meubles et immeubles, dans son intégralité,
à la génération suivante. Les droits de ces gestionnaires
n'étaient pas ceux d'un propriétaire tel que nous le concevons
de nos jours, dans un système juridique individualiste, héritage
de la civilisation romaine. Leur responsabilité était plus
protectrice qu'autoritaire ; elle impliquait plus de devoirs que de droits.
Elle s'étendait à tous les membres de la famille, morts et
vivants, jeunes et vieux.
Et elle ne se limitait pas à la famille, à ses membres
et à ses biens. Elle s'étendait au groupe social tout entier.
Chaque maison, participait, par l'intermédiaire d'un représentant,
le maître vieux ou le maître jeune, à l'administration
de la communauté paroissiale dans un système de démocratie
directe, à base familiale. Et chaque paroisse déléguait
des procureurs, munis d'un mandat impératif, à l'assemblée
générale du pays, qui était le Biltzar en Labourd,
le Silviet en Soule et les Cours générales des vallées
et des pays composant la Basse-Navarre. Dans une société sans
Etat, le pouvoir appartenait aux maîtres de maison.
Les Etats généraux institués en Basse-Navarre par
Henri II d'Albret, en 1523 après l'invasion de son royaume par Ferdinand
le Catholique en 1512 et la séparation des deux Navarres, furent
calqués sur les antiques Cortes du royaume de Navarre. Dès
lors, ils ne se différenciaient pas des autres Etats généraux
ou particuliers du royaume de France auquel la Basse-Navarre fut incorporée
en 1620. Ils étaient composés de représentants des
trois ordres : Noblesse, Clergé et Tiers-état, chacun ayant
une voix.
En Soule, où la féodalité avait aussi pénétré,
on trouvait une organisation intermédiaire entre celle de droit commun
et celle des assemblées basques ; au Silviet, assemblée populaire,
s'était ajouté le grand corps qui réunissait les nobles
et les clercs, lesquels n'avait, comme le Silviet, qu'une voix. Et, en 1730,
la Soule perdit ses institutions ancestrales et fut assimilée aux
autres pays d'Etats qui subsistaient en France. Seul le Biltzar du Pays
de Labourd conserva jusqu'à la Révolution de 1789, son organisation
ancestrale. Et c'est en Labourd qu'on retrouvait le mieux, à la veille
du grand bouleversement révolutionnaire, les institutions démocratiques
propres au peuple basque.
Celles-ci, issues de la longue et sage expérience des ancêtres,
aboutissaient à un type de société unitaire, où
les hommes étaient libres, où les maisons étaient juridiquement
égales, où régnait l'égalité des sexes,
où la propriété était collective, où
l'individu s'effaçait devant l'intérêt de la communauté
et où tous, solidaires et unis dans une même communauté
d'intérêts, étaient responsables de l'avenir de leur
pays.
Maité Lafourcade, Professeur d'Histoire du droit
à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour,
Faculté pluridisciplinaire de Bayonne |