Dans les lignes suivantes, le lecteur peut lire l'entretien entre
Sophie Hontaas et Mayi Milhou.
" La vie de deux Saints basques", traduction de Mayi
Milhou du livre du Père François Laphitz " La
vie de deux Saints basques : Saint Ignace de Loyola et Saint François-Xavier
", Imprimerie Jean Laffontan (Hendaye).
Le titre en basque de cet ouvrage " bi saindu heskualdunen
bizia, San Iñacio Loyolakoa eta San Franziezko zabierekoarena
" date de 1867
Interview de la traductrice par Sophie
Hontaas.
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Mayi Milhou |
- Sophie Hontaas:
Nous allons commencer par situer le Père François
Laphitz, il est né en 1832, où exactement ?
Mayi Milhou : On dit qu'il était originaire d'Irrissary,
mais en fait, j'ai vu son acte de naissance, il est né à
Arizcun dans le Baztàn en Navarre, mais il était fils
de Bernard Laphitz qui lui était naturel d'Irrissary et de
Maria Josefa de Arriada qui était d'Arizcun
- SH: Il est père
de la congrégation fondée par Saint-Michel Garicoïts
: c'est un Bétharramite
Quel a été son
parcours avant d'y rentrer ?
MM: Il a fait ses études au Séminaire de Bayonne,
après avoir été ordonné, il a été
nommé et il est resté 9 ans Vicaire à Saint-Étienne
de Baïgorry puis quelques mois curé à Alçay,
il n'est rentré à Bétharram et il n'a fait
profession dans cette congrégation du Sacré-Cur
qu'en 1867. Puis très vite il s'embarque pour Montevideo,
où il est resté jusqu'en 1875. Il a été
un des grands ouvriers de l'uvre d'Amérique.
- SH: Ses obsèques
ont marqué les mémoires ? Il décède
en 1905
MM: Plutôt " marqué les esprits
" parce que son uvre ayant marqué les esprits,
il avait été choisi comme évêque d'Asunción.
Mais il avait décliné cet honneur pour retourner en
Argentine et s'occuper presque exclusivement des indigents, créant
l'Euskal Etxea qui s'occupait des Basques, une société
de bienfaisance et d'éducation. Donc il été
excessivement populaire, à ses obsèques, qui durèrent
deux jours, il y eu une foule de sommités...
- SH: Pour situer
sa production littéraire, son talent d'écrivain, combien
d'ouvrages a-t-il écrit ?
MM: Ah ! il n'en a écrit qu'un seul, celui-là
!
- SH: Et la spécificité,
c'est qu'il l'a écrit en basque ?
MM: Oui Absolument, et en très beau basque, un basque
facile à comprendre, facile à lire, et à traduire
- SH: C'est la
modestie qui vous fait parler ainsi
MM: Non pas du tout, il l'a écrit en langue Bas Navarraise,
et je sais d'après Eugène Goyenetxe, qu'à Hasparren
d'où je suis originaire, nous parlons le Bas Navarrais occidental,
ce qui est une découverte pour moi, mais qui a contribué
à ce que je comprenne très bien tout ce qu'à
écrit le père Laphitz !
- SH: Quel a été
le " parcours " de ce livre pour arriver jusqu'à
l'ouvrage dont nous parlons aujourd'hui, traduit par vous Mayi Milhou,
imprimé par les presses hendayaises Laffontan en 2002? On
avait perdu sa trace?
MM: Pas exactement, disons plutôt qu'il n'avait pas
été réimprimé. Or des personnes comme
le Chanoine Laffitte, qui avaient un exemplaire de cette uvre,
prônaient le style du père Laphitz. Par ailleurs, j'ai
lu dans une " histoire de la littérature basque de Luis
Michelena, que Laphitz est un des auteurs d'importance en basque
! Et l'on ne le trouvait pas ou plus ;il fut cependant réimprimé
par Elkar en 1986.
- SH: François
Laphitz est ainsi considéré comme un auteur référent
!
MM: Oui exactement.
- SH: Qu'avait
dit le chanoine Lafitte à son encontre ?
MM: Quand on lui demandait s'il y avait des romanciers en
Pays basque, il répondait : " oui nous avons au moins
Laphitz qui écrit comme un romancier, c'est vrai parce que
son style est très alerte, on le lit comme un roman ! "
- SH: On arrive
à votre traduction et la question que j'ai envie de vous
poser, c'est : Comment en êtes-vous arrivée à
traduire cet ouvrage, Mayi Milhou ?
MM: Un concours de circonstances, j'écris assez souvent
pour rendre service à mes amis Bénédictines
de Urt, qui avaient, comme aumônier, un moine bénédictin
de Belloc, celui-ci était l'arrière petit neveu du
père Laphitz ! Or ce père bénédictin
ne connaissait pas le basque et il aurait voulu connaître
l'uvre de son arrière-grand-oncle ; il a demandé
à une Moniale si quelqu'un - moi en l'occurrence- pouvait
traduire ce livre. L'ayant, lu, je l'ai trouvé très
intéressant et j'ai eu envie de le traduire
- SH: C'est le
moment d'ouvrir une petite parenthèse pour parler de vous
: vous êtes née à Hasparren, quel a été
votre parcours ?
MM: Mon parcours en Faculté ? une licence de Lettres,
puis une licence d'enseignement d'espagnol et puis un doctorat en
Histoire de l'Art.
- SH: Et vous
êtes installée aujourd'hui en Aquitaine ?
MM: Oui au Bouscat, la proche banlieue de Bordeaux
- SH: Et vous
revenez assez souvent à Hasparren où se situe votre
Maison Natale
MM: Exactement !
- SH: D'où
le rapprochement avec les Surs bénédictines
d'Urt chez lesquelles il vous arrive de passer quelque temps ?
MM: Oui, j'y vais souvent
- SH: Dans la
préface de ce livre, j'ai lu que vous vous définissez,
en toute modestie d'ailleurs, comme une " métisse basco-française
"
Pour les lecteurs, pourriez-vous expliciter cette précaution
que vous avez prise ?
MM: Oui je le puis : mon père était Parisien,
ma mère Basquaise originaire d'Hasparren et j'ai été
élevée bilingue. Ma grand-mère et ma mère
parlaient toutes les deux en Basque, et j'ai appris toute petite.
Aussi, je me sens vraiment comme " propriétaire "
ou plutôt comme appartenant aux deux cultures.
- SH: Et vous
prônez une communication entre les deux, comme une passerelle,
pouvez-vous l'expliciter ?
MM: C'est une chose que l'on sent plus qu'on ne peut l'expliciter
: quand je lis une phrase, un texte en Basque, je le sens de l'intérieur
Je
ne trouve la traduction, si je dois le faire, qu'après avoir
respiré le texte, exactement comme en Espagnol, d'ailleurs,
je ne peux me mettre à traduire un texte qu'à partir
du moment où je l'ai beaucoup lu, senti, respiré.
- SH: C'est un
peu ce que vous avez cherché à faire pour ce livre
du père Laphitz, parce que selon l'expression tradutore traditore
en italien
Dès que l'on traduit, on trahit l'auteur
en quelque sorte
Comment vous y êtes-vous prise pour
la traduction ? en collant au plus près du texte ? En trouvant
un équivalent en Français au style de Laphitz ?
MM: Non, tout naturellement et surtout sans forcer ; il me
semble que la traduction se doit d'être " évidente
", on sent le texte et l'on ne le transpose qu'après
l'avoir bien senti, sans effet de style superflu.
- SH: A vous entendre,
je pense que c'est un texte que vous avez particulièrement
apprécié ?
MM: Oh oui, il est très alerte, d'une écriture
très aisée, il y a beau coup de dialogues, d'anecdotes
intéressantes, amusantes parfois
- SH: Précisément
nous pourrions essayer d'en donner un aperçu au lecteur ?
Mais qu'est-ce qui caractérise le style de ce texte de Frantxisco
Laphitz ? Est-ce une biographie classique de St Ignace de Loyola
et de St-François Xavier ?
MM: On pourrait peut-être lui reprocher un manque de
rigueur historique, mais il ne faudrait quand même pas que
j'exagère. Deux ou trois points montrent qu'il s'éloigne
de l'exacte vérité. Il suffit de connaître le
livre de Jean Lacouture sur les Jésuites et la vie de ces
deux Saints Basques ou de lire aussi le livre d'un professeur de
l'université salmantine José Ignacio Tellechea Idigoras
" Ignacio de Loyola solo y a pie " : c'est le parcours
de Saint Ignace, pèlerin à Jérusalem puis fondateur
de la Compagnie de Jésus. Ce livre est tout ce qu'il y a
de plus historique. Et à la lumière de la comparaison,
on peut se rendre compte qu'il y a deux petites entorses à
la petite histoire, je dis bien à la petite
histoire, pas à la grande. Je les ai soulignées
au bas des pages.
J'ai même supprimé deux phrases au début de
la vie de St Ignace de Loyola : il écrit qu'il a été
confié à une tante à la mort de sa mère,
en vérité il est resté au château de
Loyola où il a été élevé avec
ses neveux par sa belle sur, car son frère aîné
avait 20 ans de plus que lui.
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Mayi Milhou
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- SH : On ne peut
pas parler à la place du père Laphitz pour évaluer
le but de ses entorses, mais vous-même, vous avancez une hypothèse
selon laquelle, ces entorses auraient eu un but plus romanesque
qu'autre chose, bien plus qu'une volonté de travestir la
réalité.
MM: Là où le romanesque entre en jeu, c'est
plutôt dans la vie de Saint-François Xavier, dans ce
petit détail : lorsque St François, avec la bénédiction
de Saint Ignace -c'est le sujet de l'uvre du Baciccio que
j'ai choisi de reproduire en couverture-- , passe par Pampelune,
Laphitz prétend que la mère de Saint-François,
au château de Xavier, monte sur la plus haute tour du Château
de Xavier pour guetter l'arrivée de son fils, or, en réalité,
la mère était déjà morte depuis assez
longtemps mais Laphitz a voulu nous livrer l'image d'une mère
aimante qui voudrait revoir son fils au moins une fois.
- SH: ce parti
pris d'épopée romanesque est dû au fait que
le père Laphitz vouait une admiration considérable
aux deux Saints sujets de son ouvrage ?
MM: Oui, éperdue, même, il semblerait que, vu
la longueur du texte sur Saint Ignace, il avait pour lui une admiration
de religieux et qu'en tant que Navarrais, il était excessivement
admiratif de l'uvre et de la personnalité de Saint
François-Xavier.
- SH: pourriez-vous
illustrer, par le choix d'un extrait, cette admiration ?
MM: Plutôt à la fin du livre, page 89 chapitre
VIII :" Au château de Xavier, il y a un crucifix en
bois, duquel, l'année de la mort de François le vendredi,
coulait du sang comme si les souffrances de François étaient
celles du Sauveur lui-même. À cette époque,
cette vision eut des témoins au pays, tout particulièrement
l'Evêque de Pampelune, ainsi que le maire de cette ville qui
nous en laissèrent mémoire dans des témoignages
écrits. Quand il était enfant, François était
très attaché à ce crucifix ; sa mère
aussi y tenait beaucoup ; elle aimait rester à ses pieds,
lui parler de son fils. Elle se relevait toujours plus forte après
lui avoir demandé les mêmes grâces pour elle
et pour son fils. Ce crucifix a été enfermé
entre des vitres, à sa place dans la vieille chapelle. Les
larmes de sang d'alors, on peut encore les voir, en regardant le
crucifix, par-dessus l'autel
"
- SH: Il y a aussi
cet autre caractère au style du père Laphitz, celui
d'affectionner les anecdotes, et cela est assez convaincant dans
l'ouvrage. Pourriez-vous en donner un exemple ?
MM: " A cette époque la France et l'Espagne
étaient en guerre. Leurs troupes occupaient toute la Lombardie.
Un jour notre Saint échoua au milieu de soldats espagnols.
Pensant que c'était un espion, ils le prennent, le ligotent.
De peur que quelques Espagnols le reconnaissent, le fils de la maison
de Loyola se donne l'allure d'un garçon demeuré, il
ne répond à aucunes des questions que lui posent les
soldats. Alors, ils le déshabillent, au cas où il
porterait un message entre ses Hardes minables. Comme ils ne trouvaient
rien, ils l'amènent déshabillé devant un des
chefs de la troupe.
- D'où êtes-vous lui demande le chef, d'où venez-vous
?
Ignace ne répond pas
- Où allez-vous ?
- À Gènes
- Ne seriez-vous pas un espion ?
- Non
- De quelle région êtes-vous ? Que faites-vous dans
ces parages ?
Ignace ne répond pas
- Cet homme est idiot, dit l'officier à ses soldats, comment
avez-vous pu prendre cet idiot pour un espion ? Laissez-le passer
son chemin.
Au retour, les soldats le tiraillent, le malmènent, rient
et se moquent de lui, le frappant au visage. Ces outrages et ce
mépris, Ignace les supporte en l'honneur du Seigneur. Un
capitaine cependant s'apitoie et le garde chez lui pour un repas
et une nuit. Un peu plus loin, il rencontre le campement des Français.
Ici aussi, il voudrait être mal vu, mal perçu, endurer
quelque chose pour la gloire de Dieu. Mais la volonté du
Seigneur est autre.
- D'où venez-vous ? lui demande un officier
- Je reviens de Terre Sainte.
- Où allez-vous ?
- À Gène et de là en Espagne
- Quel homme êtes-vous ?
- Basque !
- Ah, vous êtes Basque ! N'ayez aucune crainte, ami, nous
vous traiterons bien. Je suis moi aussi Basque de naissance et je
ne laisse pas un compatriote n'importe comment.
Ayant passé quelques bons jours en compagnie des Français,
et avoir refait ses forces, il prit à pied la route de Gène,
puis de Barcelone par mer "
- SH: C'est vrai
que dans cet extrait que vous avez la gentillesse de nous faire
partager, on sent bien le style particulier du Père Laphitz
ainsi que son aisance dans les dialogues.
MM: Je ne peux que vous approuver !
- SH: Qu'auriez-vous
à ajouter pour donner au lecteur envie de lire votre traduction
? sur le plaisir que vous avez eu dans cette traduction ?
MM: Je laisse aux autres le soin de juger, mais je crois
que mon plaisir a été évident. J'ajouterais
que l'ouvrage est illustré par les photos que j'ai faites.
- SH: Oui, une
sélection de photos présentes au cur du livre.
Qu'est-ce qui a présidé à votre sélection
?
MM: Je me suis rendue au château de Loyola, à
Xavier et aussi j'ai pris des clichés des fresques de Sauvage,
présentes à la chapelle des Missionnaires d'Hasparren,
où il y a toute une série de Saints et en particulier
les deux Saints en question. J'ai fait moi-même les photos.
NB: Ce livre de 96 pages au prix de 23 euros, est édité
à compte d'auteur. Il est édité aux imprimeries
Laffontan d'Hendaye. On peut le trouver à Bayonne chez Pradier,
Mattin Megadenda, au centre diocésain de catéchèse,
avenue Jean Darrigrand. À la Librairie Ezkila de l'Abbaye
de Belloc (Urt), à l'accueil chez les Bénédictines
et aussi dans certaines maisons de la presse : Hasparren, Cambo,
Saint-Pée-sur-Nivelle, Saint-Jean-de-Luz et à Saint-Jean-Pied-de-Port.
À Dax, Tournay, à la librairie Saint Joseph de Pau
Écrire à Mayi Milhou : 84 rue Marceau 33110 Le Bouscat.
Sophie Hontaas
Photographie: Sophie Hontaas |